Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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France (XVIIe siècle)

Visages du Grand Siècle

L'accession au rang du mythe du XVIIe s. littéraire français s'explique en partie par la suprématie politique conquise à cette époque par la France en Europe, la splendeur soigneusement orchestrée de Louis XIV, et l'expansion que connut la littérature, en ce temps où se fixaient la langue et la poétique modernes. Le XVIIe s. a de plus construit, par la « querelle des Anciens et des Modernes », une image de lui-même, où il affirme son unité et son caractère exceptionnel. Les Modernes « inventent » le Grand Siècle, égalant leur époque à celles des apogées de l'histoire grecque et latine (les « siècles » de Périclès et d'Auguste), et leurs écrivains aux plus grands des Anciens : Racine, pourtant tenant des Anciens, est mis à égalité avec Sophocle et Euripide. Dans le jugement esthétique, les Modernes sont les égaux des Anciens, en français ; pour le public, ils deviennent les modèles à suivre.

   Au XVIIIe s., Voltaire donne à ce mythe son accomplissement dans le Siècle de Louis XIV (1751). Les érudits entreprennent de rechercher et de publier les documents littéraires du siècle précédent, les écrivains comme le public vivent dans la répétition des modèles : à la Comédie-Française, le répertoire a d'ores et déjà trouvé dans les dramaturges du XVIIe s. ses bases intangibles. Les auteurs comiques sont obsédés par Molière, et Voltaire par le théâtre tragique racinien. Les innovations du XVIIIe s. littéraire se situeront en dehors de ces modèles, mais pas encore contre eux. Leur remise en question s'engage avec Rousseau, mais il reste isolé. Cependant, au début du XIXe s., si les institutions (Académies, Université) restent fidèles à des auteurs pour lesquels elles inventent le sens actuel de classique, en réaction contre elles, les romantiques récusent l'esthétique dite « classique », et promeuvent de nouvelles lectures du siècle. L'image du XVIIe s. devient alors double : d'un côté, de Corneille à Racine, de Molière à La Fontaine, régularité, grandeur, rigueur ; de l'autre, fantaisie, liberté, réalisme avec Saint-Amant, T. de Viau, Cyrano, les Grotesques redécouverts par T. Gautier (1844). Vision plus riche donc, mais pas plus juste, qui gagnera cependant en nuances quand s'opère avec Sainte-Beuve la redécouverte du jansénisme (Port-Royal, 1840-1859). Au XXe s., dans un enseignement devenu beaucoup plus démocratique, les « classiques » sont les piliers du répertoire à l'école. Mais, à partir des années 1930, la vogue des études sur le baroque provoque un renforcement dans l'Université de la dichotomie instaurée au siècle précédent. Deux images du XVIIe s. littéraire se trouvent donc aujourd'hui en concurrence.

   Le mythe du « Grand Siècle » classique subsiste. Citations célèbres, programmes scolaires, « classiques » de l'édition : autant de preuves de la permanence du modèle classique comme substrat culturel essentiel. Une enquête de R. Escarpit (la Notoriété des écrivains chez les jeunes recrues, 1963) montre que les auteurs du XVIIe s. restent massivement installés dans le peloton de tête des célébrités littéraires, et, fait significatif, ce sont les catégories les moins instruites qui mentionnent le plus souvent les « classiques », c'est-à-dire les auteurs des années 1660-1680, où se conjuguent les succès politiques, la splendeur de la vie de cour et les réussites littéraires. Vision qui est celle de l'école et des manuels : ainsi procède le « Lagarde et Michard », qui prône « nos grands classiques », mais aussi une histoire plus savante, universitaire, qui fait de l'époque de Boileau et Molière « l'apogée du siècle » (A. Adam, Histoire de la littérature française du XVIIe s., t. 3). Cependant, de nouveaux regards gagnent du terrain auprès d'un public universitaire ou simplement cultivé. La notion de baroque (J. Rousset, la Littérature de l'âge baroque en France. Circé et le paon, 1953) divise, plus radicalement que jamais, le siècle en deux périodes égales en créativité et dignité. Source d'infinies polémiques : tandis que certains récusent jusqu'à sa pertinence (parce qu'empruntée à l'histoire des arts plastiques), d'autres l'étendent au maximum, relevant maints aspects baroques dans les œuvres tenues pour les plus classiques. Ainsi cette perspective tend-elle parfois à modifier la vision du répertoire sans l'enrichir véritablement. Cependant, elle provoque des réaménagements hiérarchiques : plusieurs « parangons » du classicisme ont vu leur considération décroître sensiblement (Malherbe, Boileau, Bossuet), tandis que des auteurs « baroques », ceux que G. Lanson qualifiait d'« irréguliers », sont l'objet d'attentions nouvelles : T. de Viau, Saint-Amant, Tristan l'Hermite, Scarron et Cyrano de Bergerac sont à leur tour en situation de nourrir de nouveaux mythes, ceux de la fantaisie débridée, du burlesque, du rire de dérision. Des travaux ont révélé des mouvements en profondeur jusque-là mal connus, mais indispensables à la juste saisie du temps : les philosophes de la première moitié du siècle (R. Pintard, le Libertinage érudit, 1943), les inquiétudes des années 1680-1700 (P. Hazard, la Crise de la conscience européenne, 1935), ou encore des faits sociolittéraires comme la préciosité, la galanterie, la vogue du roman. Les historiens de la société ont largement contribué à redessiner ce portrait d'un siècle plus que tout autre ambigu. Jadis, F. Gaiffe avait hargneusement attaqué l'imagerie conventionnelle en dénonçant l'Envers du Grand Siècle (1923). Depuis, des travaux comme ceux de P. Goubert ou R. Mandrou ont mis en lumière les diversités et les difficultés du temps (crise économique, révoltes paysannes, etc.).

   En perdant sa netteté d'épure, l'image du XVIIe s. a aussi perdu sa fonction ancienne. En célébrant les œuvres classiques, on vantait et enseignait, fût-ce au prix de distorsions, une esthétique et un ensemble de valeurs, de croyances, d'idéaux moraux et sociaux, bref une idéologie, une vision de l'homme et du monde, posée comme universelle. Le mythe classique est aujourd'hui frappé de suspicion, contesté, honni parfois (« classique » signifiant souvent « académique », « conservateur », voire « réactionnaire »). D'où une désaffection sensible et une méconnaissance grandissante. Pourtant, ce siècle reste un siècle de référence. D'une part, pour les spécialistes de l'analyse culturelle, la conscience que nombre de normes linguistiques, esthétiques, culturelles ont pris naissance à cette époque conduit à l'interrogation sur le temps des origines pour comprendre le présent. La littérature du XVIIe s. est devenue une pierre d'achoppement, une épreuve obligée pour les démarches de recherche d'histoire, de critique et d'esthétique. Pour que sa validité soit reconnue, un système d'interprétation doit faire la preuve de son aptitude à rendre convenablement compte des faits et des œuvres de cette époque fondatrice. Ainsi, dans les années 1950-1970, la « nouvelle critique » a fait du XVIIe s. le terrain privilégié de démonstration de la pertinence de ses méthodes. La psychocritique (Ch. Mauron, Racine, 1961), la sociocritique (L. Goldmann, le Dieu caché, 1956), la critique idéologique (S. Doubrovsky, Corneille et la dialectique du héros, 1963) ont, pour s'affirmer, affronté la difficulté qu'il y a à re-lire et ré-interpréter les classiques : ce qui a provoqué la retentissante querelle, à propos des méthodes de la critique, entre R. Barthes et R. Picard. D'autre part, dans le large public, reste une imagerie forte du XVIIe s., dont témoigne la mode de cette époque au cinéma et à la télévision, signe que sa littérature conserve aujourd'hui, à côté des travaux des spécialistes, une audience populaire. Dans le domaine théâtral, les metteurs en scène les plus novateurs (R. Planchon, A. Vitez, le Théâtre du Soleil, D. Mesguich) éprouvent eux aussi le besoin de se colleter avec les classiques, en une sorte d'épreuve initiatique. Par sa plasticité même, le mythe des origines reste singulièrement fécond.

L'arrière-plan historique et religieux

Lire la littérature du XVIIe s. requiert de comprendre le contexte politique et religieux qui lui lui sert de cadre, et de s'interroger sur les limites et les articulations de la période.