Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
L

Léautaud (Paul)

Écrivain français (Paris 1872 – Robinson 1956).

Longtemps chroniqueur dramatique (Théâtre de Maurice Boissard, 1907-1943), connaisseur du monde littéraire parisien (il fut secrétaire du Mercure de France de 1908 à 1941), qu'il juge volontiers à la mesure de ses propres désillusions, il cultiva sa vie durant son égotisme en toute indépendance d'esprit. On lui doit un roman (le Petit Ami, 1903), des récits (In memoriam, 1905), une Anthologie des poètes d'aujourd'hui (1900-1929). La célébrité lui vint en 1951 avec, à la radio, une longue série d'Entretiens avec Robert Mallet, où la liberté des propos annonce le ton du Journal littéraire (19 volumes, 1954-1965), qui couvre la période 1893-1956. Exaspérant et attachant tout à la fois, Léautaud – dans une visible jouissance de l'écriture quotidienne – note tout : ses pensées, ses rencontres, ses bons mots, les « séances » qu'il partage avec ses maîtresses, sa vision négative de l'humanité et celle toujours positive de la ménagerie qui partage son existence. Scepticisme et ironie s'affirment tout au long du Journal, tandis que grossit le « personnage » Léautaud, qui finit par n'être plus qu'une caricature, misanthrope grimaçant au milieu de ses chats. On a publié ses Lettres à sa mère (1956), ses Lettres à Marie Dormoy (1966) et une Correspondance générale (1972).

Lebert (Hans)

Écrivain autrichien (Vienne 1919 – id. 1993).

Son chef-d'œuvre, la Peau du loup (1960), polar métaphysique qui relate 99 jours d'angoisse dans un village autrichien isolé, hanté par les crimes nazis, fascine par sa violence expressionniste et son esthétique néognostique. Sa description vitriolée d'une société aveugle et dépravée aura influencé Bernhard ou Jelinek. Obsédé par la question du mal, il poursuit la perversion du genre régionaliste dans le roman wagnérien le Cercle de feu (1971) et dans les nouvelles du Bâteau dans la montagne (1993).

Leblanc (Maurice)

Journaliste et écrivain français (Rouen 1864 – Perpignan 1941).

Il débuta par des romans dans la lignée de Maupassant (Des couples, 1892), puis créa en 1905, dans Je sais tout, le personnage d'Arsène Lupin auquel il consacra une grande partie de son œuvre. Un premier récit, l'Arrestation d'Arsène Lupin, ouvrit le recueil de nouvelles Arsène Lupin, gentleman cambrioleur (1907). Avec des intrigues habiles et un sens du mystère, Leblanc a créé un personnage fascinant et attachant. Le succès fut confirmé par une pièce de théâtre, Arsène Lupin (1908, avec Francis de Croisset), et d'autres aventures qui suivirent : Arsène Lupin contre Herlock Sholmès (1906-1907), l'Aiguille creuse (1909), la Comtesse de Cagliostro (1924). Leblanc tenta de s'éloigner de son personnage en écrivant, entre autres, un roman historique (la Frontière, 1911), un recueil de contes (la Robe d'écailles roses) et des récits de science-fiction (les Trois Yeux, 1919).

Leblond (Marius et Ary)

Pseudonymes de deux écrivains français, Georges Athenas (Saint-Denis, la Réunion, 1877 – Paris 1955) et Aimé Merlo (Saint-Pierre, la Réunion, 1880 – Paris 1958).

Ils ont inauguré, avec le Zézère (1903), Ulysse Cafre (1927), les « romans des races », dépeignant les conflits ethniques à la Réunion. En France (1909) ouvre une autre série, la Métropole, sur les expériences des jeunes créoles à Paris. Les Leblond prônèrent la « littérature coloniale » réaliste contre l'exotisme factice d'un Pierre Loti ; ils publièrent une Anthologie coloniale (1905) et une étude sur le Roman colonial (1929). On leur doit aussi la fondation de la Société des écrivains coloniaux (1926).

Lebrun-Pindare (Ponce-Denis Écouchard Lebrun, dit)

Écrivain français (Paris 1729 – id. 1807).

Son talent n'a pas toujours été à la hauteur de son ambition encyclopédique et de son rêve d'une poésie scientifique qui s'exprime dans l'Ode sur Lisbonne et sur les causes physiques des tremblements de terre (1756) ou l'Ode à Buffon (1779). La Révolution lui donna un souffle épique sensible dans les Odes républicaines au peuple français (1792). Ses vers sur le naufrage du vaisseau le Vengeur (1795) sont restés célèbres.

Lebrun (Pierre Antoine)

Écrivain français (Paris 1785 – id 1873).

Son Ode à la Grande Armée (1805) lui valut la célébrité et une pension de Napoléon. À la scène, ses tragédies Pallas (1806), Ulysse (1814) et Marie Stuart (1820), imitée de Schiller, marquèrent la transition avec le drame romantique, tandis que son long poème, le Voyage en Grèce (1828), en faisait l'une des figures littéraires du courant traditionnel : dès lors, il connut tous les honneurs, fut directeur de l'Imprimerie nationale, conseiller d'État, pair de France, et acheva sa carrière dans le Sénat de Napoléon III.

Lecomte (Marcel)

Écrivain belge de langue française (Saint-Gilles 1900 – Bruxelles 1966).

Très lié à Magritte et aux surréalistes bruxellois, il fit de son œuvre la quête d'un secret que découvre parfois le réel et qu'il s'efforça de capter dans des moments et des textes brefs : Applications, 1925 ; les Minutes insolites, 1936 ; l'Homme au complet gris clair, 1931, son premier récit, qui développe le thème de la rencontre et des coïncidences ; la Servante au miroir, 1941 ; l'Accent du secret, 1944 ; le Carnet et les Instants, 1964.

Leconte de Lisle (Charles Marie)

Poète français (Saint-Paul, la Réunion, 1818 – Louveciennes, 1894).

Chef de file du Parnasse, Leconte de Lisle n'a pas eu les faveurs de la postérité, qui a rejeté l'auteur semi-officiel et le poète impassible ; l'existence comme l'œuvre sont pourtant moins sereines qu'il n'y paraît. Dans l'île Bourbon, où son père possède plantations et esclaves, il passe sa première enfance et son adolescence, compose ses premiers vers, s'imprègne des idées de Rousseau et s'enthousiasme à la lecture de Walter Scott ou de Lamennais. Mais la révélation lui vient des Orientales, qui lui font pressentir sa voie. En France, il abandonne ses études de droit, tente vainement de publier un recueil, Cœur et Âme, avec un clerc de notaire, Rouffet, fonde en 1840 une revue, la Variété, qui aura quarante abonnés et durera un an, échoue encore avec un journal satirique, le Scorpion, qui déplaît aux autorités, et rentre enfin à la Réunion, où il relit attentivement Chénier. Les propositions de l'école phalanstérienne le rappellent à Paris : il participe à la Démocratie pacifique et à la Phalange, organes fouriéristes. Son militantisme actif dans la campagne électorale de 1848 lui vaut de retentissants revers, et le poète va désormais ne songer qu'à son œuvre. Dès lors, il accepte une quasi-pauvreté, tempérée par la collaboration à quelques revues (Revue contemporaine, le Nain jaune) ou par une pension de son île natale. Ses premières publications, les Poèmes antiques (1852) et Poèmes et Poésies (1855), lui valent en 1856 un prix de l'Académie française et quelques subsides de la cassette secrète de l'empereur (ce qui lui attirera quelque mépris après la Commune et l'incitera à publier des pamphlets républicains et anticléricaux). Pour survivre, Leconte de Lisle se fait traducteur de Théocrite, d'Homère, d'Hésiode, d'Horace, de Sophocle et d'Euripide. Ni les Érinyes, tragédie en vers avec une musique de Massenet (1873), ni, plus tard, l'Apollonide (1888) ne lui assureront un succès véritable. Sa réputation s'est cependant affirmée : il participe aux trois Parnasse et reçoit dans son salon de jeunes poètes admiratifs comme Dierx ou Heredia. Sous-bibliothécaire du Sénat, il termine glorieusement sa carrière : la Légion d'honneur, puis l'Académie française en 1889. On peut cependant se demander si ses œuvres les plus importantes, les Poésies barbares (1862), devenues Poèmes barbares, et les Poèmes tragiques (1884), sont vraiment d'un poète officiel et d'un érudit impavide. Certes, à l'inverse d'un Lamartine qu'il ne cesse de vilipender, Leconte de Lisle proscrit l'expression du moi ; l'impersonnalité qu'il prône n'est pourtant pas celle de Mallarmé ; il ne s'agit nullement de « céder l'initiative aux mots », mais de faire resurgir de ses cendres la voix des civilisations disparues. Si le « je » s'anéantit volontairement, c'est donc au profit d'une collectivité ; et la haine du lyrisme, explicite dans le célèbre sonnet des « Montreurs », tient à ce propos de ressusciter les peuples morts, de retrouver leurs sanglots enfouis, leurs chants de guerre, de mort ou d'amour. La démarche du poète, qui veut transcrire le cheminement de l'humanité jusqu'à l'époque moderne, sera aussi bien diachronique que synchronique et son « histoire » s'appuiera essentiellement sur quelques créations humaines comme les rites, les mythes et les cosmogonies. Sans croire à la pertinence du parallèle entre diverses mythologies, à une époque où le syncrétisme suscite bien des engouements, Leconte de Lisle s'intéresse à la spécificité, à l'irréductibilité des phénomènes culturels. En mettant l'accent sur les différences entre les mœurs, les religions, il découvre la triste loi de leur immanquable permutation et c'est là, dans cette certitude de la mort conjointe des nations et de leurs divinités, dans cette inéluctable fragilité, que prend sa source son pessimisme souvent souligné.

   Pourtant, l'utopie n'est pas absente de cette œuvre vouée avant tout à la nostalgie ; Leconte de Lisle n'a-t-il pas cru un moment avec Fourier que l'âge d'or était à renaître ? Les poésies antiques, même si elles participent d'une mode, s'inscrivent dans un système qui idéalise les origines de l'univers et de la civilisation, et dans un courant scientifique qui renouvelle les études sur la période alexandrine. Les recherches de Leconte de Lisle s'attacheront vite à témoigner d'une plus haute ou plus lointaine antiquité ; ses poèmes indiens, qui étonnèrent avant de susciter une vogue, et qui s'appuyaient sur les récents travaux des orientalistes comme Burnouf, regorgent certes de verts perroquets, de colibris au bec pourpre ou de lotus bleus. Mais Daudet ou Barbey d'Aurevilly ont beau railler : l'exotisme y reste secondaire, tandis que s'affirme la quête d'une voix originelle, d'une aurore du chant et d'une religion pacifiée où le cosmos et le vivant ne seraient plus séparés, où la frontière entre l'être et le néant s'abolirait. À partir de cette aube bénie va commencer le calvaire chaotique des déchéances ; après le paradis s'amorcent les tragédies et la barbarie (d'où le titre des recueils). Quand Zeus triomphe des Titans (« Niobé »), quand le christianisme met à bas les dieux grecs (« Hypatie et Cyrille ») ou scandinaves (« le Runoïa »), c'est un peu de paix et de bonheur qui disparaît, un peu de violence qui surgit. Avec les premiers chrétiens s'instaure d'ailleurs une intolérance utilisée à des fins de pouvoir temporel par une Église qui trahit Jésus, son apôtre de douceur (on décèlera ici des accents voltairiens). Le Moyen Âge, courbé de terreur devant un dieu sanguinaire, n'est qu'un épisode dans ce triomphe maléfique des religions révélées sur le panthéisme et le paganisme harmonieux, et le XIXe s., amnésique, vautré dans son mercantilisme, se situe seulement à l'apogée d'un long mouvement de dégradation. Quant au poète, qui seul se souvient, et qui doit rendre compte, dans une expression fidèle et parfaite, du passé glorieux du genre humain, il se trouve séparé de son temps. Jadis élu des peuples qui lui donnaient fonction de parler en leurs noms, il sera dorénavant la lumière méconnue de son siècle, un prophète. Une telle conception s'insère dans une pensée politique aussi aristocratique qu'ambiguë, puisque la République, selon les vœux de Leconte de Lisle, doit être guidée par des esprits supérieurs, par ces mages éclairés que sont les poètes en particulier. Mais l'incitation à l'insurrection dans « le Sacre de Paris », daté de janvier 1871, se transforme rapidement en horreur devant les communards et la haine alterne avec la pitié. Plus théoricien que fin politique, Leconte de Lisle a établi son œuvre sur une charpente définie dès les préfaces des recueils de 1852 à 1855. À côté de l'idée fondamentale de la décadence, il montre la supériorité du beau sur l'utile et c'est pourquoi il fut le pape du Parnasse : il y avait aussi quelque inclination. Assimilant l'exercice de la poésie à un sacerdoce, il jette l'anathème sur la plupart de ses contemporains, et presque seuls parviennent à échapper à ses rejets péremptoires Baudelaire, qu'il défend, Hugo, auquel il reste fidèle malgré tout, et Vigny, dont il apprécie le stoïcisme. Mais il cultive la voie solitaire que lui dicte sa philosophie et qui se traduit au niveau esthétique par le choix d'un genre privilégié, l'épopée ; il entend la faire renaître sans que le pittoresque, la modernité sous-jacente, fréquents chez Hugo (la Légende des siècles paraît entre 1859 et 1883), ou que ses convictions personnelles entachent le respect de la vérité historique, comprise au sens d'un esprit particulier à chaque siècle. Mais était-il possible de faire revivre les morts ? Et les méthodes employées, ici style vaguement moyenâgeux, là abondance de noms propres exotiques, étaient-elles appropriées ? Le propos, parfois mal dissimulé, tend à se développer dans des juxtapositions d'arguments et l'exposé des théogonies s'accommode mal d'une poésie subtile. L'œuvre ne saurait néanmoins qu'excéder les limites d'une poésie démonstrative ou déclamatoire. Les lignes de force trop appuyées s'effacent devant la vigueur des représentations car le poète, plus descriptif que visionnaire, a le don des images éclatantes. Les évocations précises de la flore tropicale, des grands fauves, les poèmes animaliers en général, même si on peut y trouver parfois quelque leçon, comme l'accord avec le darwinisme dans « Sacra Fames », – selon le projet d'allier l'art et la science –, n'ont nul besoin de support théorique. En outre, la métrique s'assouplit, atteint même le raffinement, dans des pièces attendries comme « le Manchy », dans des pantoums ou des villanelles. C'est en cela, plus qu'en ses longs poèmes métaphysiques, ses pastiches d'Anacréon ou ses scènes de carnage, que Leconte de Lisle a pu vaincre l'oubli où ont voulu le reléguer les symbolistes, qu'il voulut méconnaître, et qui s'agacèrent de la cadence impeccable et trop lourdement rythmée de son vers.