Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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roman d'analyse

Le roman d'analyse s'attache à décrire les variations et les contradictions de la passion, et à les lier à des notations morales, à des aperçus sur les constantes et les mécanismes de la psychologie humaine. Bernard de Ventadour, Chrétien de Troyes offriraient les premiers exemples de cette alliance de l'analyse et du récit. Le XVIIe siècle, avec l'Astrée, les œuvres de Mlle de Scudéry, de La Calprenède, de Gomberville, de Mme de La Fayette, s'attache à de subtiles distinctions sur l'amour, l'ambition, la gloire, la politesse. La réalisation romanesque de l'analyse suppose le raffinement de la langue et des mœurs, le développement de la réflexion morale et l'aptitude à intégrer ces données au récit. La perfection du roman d'analyse, habituellement reconnue à la Princesse de Clèves de Mme de La Fayette, est de faire que l'analyse prenne à son compte le jeu de la durée, indissociable du genre romanesque. Le roman d'analyse est ainsi un roman de l'immobilité, pris dans les allers et retours des constats, des aveux, des échecs de l'amour, considéré en lui-même ou rapporté à la règle morale. Les limites du roman d'analyse sont celles de ces constats : le personnage n'est que le support du drame que révèle l'analyse. L'effacement du roman d'analyse correspond à la constitution d'une individualité romanesque qui apparente passion et affect et qui échappe à la clôture mondaine du roman d'analyse. La forme du roman par lettres montrerait, dans les Liaisons dangereuses, l'impasse de l'analyse qui ne peut rendre compte de ce que porte obscurément la notation des ambiguïtés de la passion : le sentiment. La forme épistolaire reprend, à travers le septicisme libertin, la rigueur de l'analyse, en même temps qu'elle assure la suggestion de l'affect. La critique reconnaît cependant une tradition du roman d'analyse, lisible dans Adolphe de Benjamin Constant, dans Armance de Stendhal, dans la Porte étroite de Gide, dans le Bal du comte d'Orgel de Radiguet. Chez Constant et Stendhal, l'analyse correspond à un mélange de sentiment et d'abstraction et à la notation de la solitude et de l'échec du héros masculin, inséparable de l'impossibilité, symbolique ou réelle, de l'amour. Gide et Radiguet poursuivent cet examen de l'obstacle à une vie sentimentale et mondaine, qui commande précisément l'analyse psychologique.

roman d'aventures

Ce genre romanesque, construit sur les péripéties qui surviennent à un personnage, est peut-être aussi ancien que la littérature. On le trouve déjà dans l'Égypte antique (le Conte du naufragé remonte à 2000 avant notre ère). Dans la civilisation européenne, il est l'héritier de certains romans grecs du IIe siècle (les Aventures de Leucippé et de Clitophon d'Achille Tatius, les Aventures de Chréréas et de Callirhoé de Chariton d'Aphrodise), de romans latins (Apulée), du roman de chevalerie du XIIe-XIIIe siècle et du roman picaresque. Le roman d'aventures s'épanouit dans la littérature française grâce à une large diffusion : à partir du XVIIIe siècle dans la « Bibliothèque bleue » et la collection des « Voyages imaginaires », puis aux XIXe et XXe siècles dans de nombreuses collections de romans populaires, mais il en dépasse parfois le cadre.

   Sous ses formes archaïques comme dans les œuvres contemporaines, il montre son aptitude extrême à jouer du temps et de l'espace. Le développement du genre romanesque, depuis la Renaissance et, particulièrement, depuis le XVIIIe siècle, est marqué par l'importance d'une temporalité qui suit le devenir d'un personnage. Le roman d'aventures ignore cette linéarité et, entre le début d'un récit et sa fin, intercale un ensemble d'événements qui vient perturber le cours normal des choses (séparation, naufrage, poursuite, capture, prison, etc.). L'un des premiers grands romans d'aventures, Robinson Crusoe (1719) de Daniel Defoe, montre bien combien l'aventure touche au hasard un personnage que rien n'y préparait, que les événements les plus variés peuvent lui survenir et que le déroulement du récit peut prendre place sur un fond géographique très vaste.

   Si le roman d'aventures apparut en tant que tel au XVIIIe siècle (Defoe, Smollett), c'est au XIXe qu'il s'épanouit dans les œuvres de W. Scott (Rob Roy), F. Cooper (le Dernier des Mohicans), E. Sue (la Salamandre), A. Dumas (le Capitaine Paul), G. Aimard (les Trappeurs de l'Arkansas), J. Verne (le Tour du monde en quatre-vingts jours), R. L. Stevenson (l'Île au trésor). Le début du XXe siècle s'interrogea sur sa valeur littéraire (jusque dans la N.R.F.) et l'on constatera que le genre se retrouve dans des romans aussi divers que ceux de G. Leroux, J. London, J. Conrad, P. Benoit, J. Kessel, A. Malraux ou J.-M. G. Le Clézio. Des sous-genres du roman d'aventures populaire poursuivent aussi une existence (parfois prolongée au cinéma et à la télévision) : roman maritime, western, espionnage.

   Au fil des siècles, le roman d'aventures s'est pourvu de caractéristiques qui le distinguent d'autres types de romans populaires comme le roman policier, le récit fantastique, la science-fiction ou le roman sentimental. La présence de l'exotisme est constante : les romans d'aventures se déroulent fréquemment dans des pays peu connus, voire inconnus. Defoe, Cooper ou Verne associent l'aventure à une recherche parfois impossible qui devient quête. Toujours subsistent la certitude de l'ailleurs et l'opposition du même et de l'autre, où il faut voir la raison de toutes les étrangetés caractéristiques du genre. Tous les continents sont bons pour l'aventure, y compris les pays imaginaires. Le thème de la survivance de mondes disparus, traité par divers romanciers (Rider Haggard, Benoit, La Hire, H. Vernes), en fait le symbole de l'ouverture sur un espace démultiplié. L'exotisme peut être temporel lorsque l'action se situe dans le passé (romans préhistoriques de Rosny, récits de chevalerie ou de cape et d'épée). Ainsi, le romancier est libre d'inventer des péripéties et de modifier le réel, insérant des personnages fictifs dans des événements historiques ou bâtissant une autre géographie.

   La construction du récit est une deuxième caractéristique générale du roman d'aventures. L'auteur cherche à tenir son lecteur en haleine, utilisant souvent le suspense et provoquant un enchevêtrement des intrigues où le hasard joue un rôle important. Le dénouement est fréquemment heureux et, même s'il est en demi-teinte, il voit le triomphe du héros. Comme le dit Jean-Yves Tadié, « l'aventure est l'irruption du hasard, ou du destin, dans la vie quotidienne, où elle introduit un bouleversement qui rend la mort possible, probable, présente ». Mais pas nécessaire !

   Enfin, le héros donne au roman d'aventures sa caractéristique essentielle. Chevalier errant, souvent sans lien familial, voire asocial, il est en quête d'un inaccessible but qui dépasse les seuls objectifs matériels et renvoie à la soif d'inconnu, de surprise, de changement que le lecteur peut partager. De Lancelot à Bob Morane en passant par Rocambole, Monte-Cristo, Nemo, Tarzan et Arsène Lupin, le héros est le fil conducteur du récit, celui qui subit des épreuves, reçoit l'appui d'aides et remporte la victoire finale, malgré des obstacles et des ennemis qui s'opposent à son action. Ce héros est donc moins défini par un projet ou par des traits de caractère que par son aptitude à surmonter les épreuves que constituent les divers événements.