Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
B

Blaga (Lucian)

Écrivain et philosophe roumain (Lancram, près de Sibiu, 1895 – Cluj 1961).

S'appuyant sur son œuvre philosophique, sa poésie définit un lyrisme qui aspire à la connaissance totale, non par l'éclaircissement du mystère, mais par sa présence ressentie intuitivement (Poèmes de la lumière, 1919). Les Pas du Prophète (1921) marquent le passage de la connaissance païenne à la sagesse chrétienne et Dans le grand passage (1924) exprime la « tristesse métaphysique » face aux mystères de la mort et de la transcendance. Les cycles le Partage des eaux, 1933 ; la Cour du désir, 1938 ; les Marches insoupçonnées, 1943, portent sur la rupture entre civilisation et nature, réconciliées dans le village archaïque et « l'espace mioritique » (de Mioritsa, « poème populaire »). Ses drames (Zamolxe, 1921 ; Maître Manole, 1927 ; la Croisade des enfants, 1930) développent en une tonalité expressionniste les thèmes du mythe et de l'histoire.

Blahoslav (Jan)

Écrivain, historien et philologue tchèque (Přerov 1523 – Moravský Krumlov 1571).

Évêque de l'Union des frères moraves à partir de 1557, il contribua par sa traduction du Nouveau Testament, intégrée à la Bible de Kralice, à la renaissance de la langue littéraire tchèque. Il est l'auteur d'une Philippique contre les ennemis des Muses (1567) et d'un traité de théorie musicale (Musica, 1558).

Blair (Robert)

Poète écossais (Édimbourg 1699 – Athelstaneford 1746).

La Tombe (1743), complainte baroque sur la fatalité de la mort, fut illustrée par Blake (1808). Cette méditation lugubre inaugure la « poésie des cimetières » dont Thomas Gray sera le plus illustre représentant.

Blais (Marie-Claire)

Romancière québécoise (Québec 1939).

Remarquée dès ses premiers récits (la Belle Bête, 1959 ; Tête blanche, 1960) dans lesquels s'incarne la rupture avec l'éducation et les valeurs traditionnelles, elle s'établit aux États-Unis en 1963 et vit aussi en Europe, le plus souvent en France. Une saison dans la vie d'Emmanuel (1965), évocation hyperréaliste et surréaliste d'une innombrable et innommable famille québécoise, lui vaut le prix Médicis et la célébrité. Depuis lors, la romancière poursuit sa vision ardente et sa critique d'un monde livré aux conformismes sociaux et esthétiques : le Loup, 1972 ; Une liaison parisienne, 1975 ; Visions d'Anna, 1982. Soifs (1995) inaugure un ambitieux triptyque, fresque ou orchestration où elle « rapproche tous les extrêmes ».

Blake (William)

Poète, peintre et graveur anglais (Londres 1757 – id. 1827).

Fils de bonnetier, apprenti graveur à 14  ans chez James Basire, enraciné dans le milieu artisanal, il demeure toute sa vie en marge du beau monde pictural et littéraire. Mêlé au tourbillon révolutionnaire (1785-1794), il n'exposera qu'une fois (1809) avant de se consacrer à une œuvre « invendable » (2 exemplaires, pour Jérusalem). De jeunes disciples entoureront « l'interprète » à la fin de sa vie.

   Ses premiers poèmes enluminés (Chants d'innocence, 1789, suivis de Chants d'expérience, 1794, après l'effondrement des espoirs révolutionnaires) reflètent une foi naïve dans la bonté des êtres, des choses et de Dieu, en même temps qu'un sentiment de révolte face à l'injustice et à la souffrance. Réalisme et symbolisme se mêlent pour exprimer l'indignation et l'émerveillement face à la condition humaine telle que Blake la perçoit à travers la vie quotidienne à Londres. Dans ce chef-d'œuvre romantique se fondent l'actuel et l'archétype : la misère urbaine (« Londres »), la puissance de l'instinct (« le Tigre »), l'abandon (« le Petit Garçon perdu », « la Petite Fille perdue »), le rejet de la mère charnelle (« À Tirzah »).

   Les illustrations dont il orne ses textes mettent l'accent sur la ligne, le contour, l'énergie vitale. La haine de l'autorité et l'apologie du désir commandent toute son œuvre. Blake clame son christianisme libertaire (Il n'y a pas de religion naturelle, 1789 ; Toutes les religions sont une, 1789). Dans le Mariage du ciel et de l'enfer (1793), sa haine des mystères, qui masquent l'oppression, le mène à s'inscrire contre le conformisme et le mysticisme des Églises et de Swedenborg. Pour Blake, l'ange, c'est la soumission. L'enfer, c'est l'énergie, qui est le corps, la portion de l'âme saisissable par les cinq sens. L'énergie est plaisir éternel. Mieux vaut mal actif que bien passif. Sans contraires, il n'est pas de progrès.

   Il se lance dans l'apocalypse individualisée des Livres prophétiques (Urizen, 1794 ; Los, 1795). Dans l'épopée Jérusalem (1804-1820), Albion (l'homme, la liberté), incapable de fraternité, jalouse Jérusalem (femme et cité), qui est aussi l'épouse de l'Agneau. Il devint spectre, elle devint ombre. Vala (mère de toutes les cruautés) et la Volonté féminine (envie, vengeance) règnent. Los, imagination déchue mais tenace, sauve l'art. Albion, las du malheur, révolté par la stérilité du sacrifice, libère Jérusalem, restaurant la fluidité du plaisir, du corps, et retrouve ses quatre visages, réintègre la paix active de Jésus l'Imagination. Le mal, séparation fondée sur la haine du sexe et de soi, succombe aux noces de l'Imagination et du Féminin : une anticipation essentielle des théologies de la libération, la plus ferme des poétiques de l'énergie.

   Dans Milton (1800-1808), l'auteur du Paradis perdu, « du côté de Satan sans le savoir », dépasse la pitié par science de la Colère, plonge dans le désert de la prophétie, rejette les consolations de la pastorale pour retrouver l'énergie sans fin d'Éden : son parcours est celui d'une théodicée intérieure qui fonde la théorie de l'Inspiration.

   Face au désir d'uniformité (l'Empire, la Raison, Urizen) rongé par la terreur de la liquéfaction, se dressent les Fils Révoltés (Los, Orc) qui allient Pitié et Colère. Piégés par le conflit, ils finissent par ressembler à leur ennemi, perdant contact avec leur rêve (Beulah) et suscitant la hargne d'un Féminin cruel et dévoyé : le Vouloir féminin. Le Spectre (posséder) et l'Émanation (aimer) deviennent alors également dangereux, parce que dissociés : la volonté de Puissance se substitue à l'amour. Seules la révulsion (« j'ai tourné le dos à ces paradis bâtis sur la cruauté ») et la création permettent de féconder le désir en lui faisant découvrir ses limites. Vient alors la sérénité active que symbolise l'Art. La politique de la vision, aimantée par l'image de l'androgyne, permet ainsi à Blake de dire pour la première fois la nature libidinale de la Révolution. L'œuvre de Blake est l'incarnation foisonnante et pure de la révolte et de la prophétie romantiques.