Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Rusiñol (Santiago)

Écrivain espagnol d'expression catalane (Barcelone 1861 – Aranjuez 1931).

Il fut un des chefs de file du mouvement moderniste, écrivit des poèmes lyriques (L'alegría que passa, 1891), des drames (El mistic, 1904), des petites pièces en un acte où il put donner libre cours à un humour souvent corrosif (Gente bien, 1914). Dans son roman L'auca del senyor Esteve (1907), il aborda avec moins de manichéisme et plus d'humanité l'antagonisme entre artistes et bourgeois.

Ruskin (John)

Critique d'art et écrivain anglais (Londres 1819 – Brantwood, Cumberland, 1900).

Fils d'un riche commerçant, il écrit son premier ouvrage, les Peintres modernes (1843-1860), pour défendre Turner et les préraphaélites. Il développe ses idées esthétiques dans les Sept Lampes de l'architecture (1849), les Pierres de Venise (avec un chapitre à la gloire de l'art gothique, 1851-1853), ses Conférences sur l'architecture et la peinture (1853). La seule voie à suivre pour le créateur passe par celle que lui offre le spectacle de la nature. Il doit s'inspirer de la perfection de ses moindres détails, dont chaque partie, parfaitement finie, atteste une volonté supérieure et constitue un hymne à cette volonté qui nous dépasse. Il faut que la pâte du tableau ou la pierre travaillée deviennent le reflet d'une âme et atteignent à l'acte de foi. Sacrifice, vérité, force, beauté, vie, souvenir et obéissance, ces « sept lampes de l'architecture » guideront la main de l'homme, seule capable de donner naissance au beau. Ruskin ne peut apporter son aval à une société qui ne produit que de la laideur et où la machine tend à écraser l'homme. Le combat pour la beauté s'inscrit dans un contexte plus général de lutte pour la vie, pour la civilisation. Ainsi, les problèmes sociaux nés de la civilisation moderne sont examinés dans l'Économie politique de l'art (1857), Sésame et les Lis (1865), la Couronne d'olivier sauvage (1866), la Bible d'Amiens (1880-1885), qui déterminera Proust à donner à sa Recherche du temps perdu l'architecture d'une cathédrale. Cette action prend aussi un aspect épistolaire : Flux et Reflux (1872), Fors Clavigera (1871-1887), adressé « aux ouvriers et travailleurs d'Angleterre ». Professeur d'histoire de l'art à l'université d'Oxford (1869-1878 et 1883-1884), Ruskin entreprend une autobiographie demeurée inachevée, Praeterita (1885-1889), et dépense sa fortune à créer des œuvres sociales. Carlyle fut son ami et, souvent, son inspirateur.

Russell (George William)

Écrivain, peintre et sociologue irlandais (Lurgan, comté d'Armagh, 1867 – Bournemouth 1935), connu sous le pseudonyme de Æ.

Il compte parmi les fondateurs de l'Abbey Theater. Introduit par Yeats à la théosophie, il renouvelle le mysticisme celte et se fait l'organisateur de la révolution agricole coopérative. De 1904 à 1924, il dirige la revue The Irish Homestead (la Ferme irlandaise), qui introduit chez les paysans une conscience nouvelle, pratique et spirituelle, puis, en 1923, The Irish Statesman (l'Homme d'État irlandais). Les Chants du retour (1894), le Souffle de la terre (1897), Imaginations et Rêveries (1915), la Chandelle de la vision (1918) révèlent un visionnaire serein, sûr de sa terre et de son peuple. Son drame poétique Deirdre (1907) annonce son désarroi devant l'adhésion de l'Irlande au projet industriel. Il mourra en exil.

Russie

Partagée entre les influences venues d'Europe et le vieux fonds asiate, lente à forger sa langue et à se libérer des emprunts, la littérature russe doit beaucoup de ses traits spécifiques à son histoire et à sa géographie. Lorsque le prince varègue Vladimir, qui règne à Kiev à la fin du Xe siècle, se convertit au christianisme et épouse la fille de l'empereur de Byzance, il introduit en Russie un double courant culturel, la civilisation byzantine et bulgare d'une part, l'Antiquité gréco-latine d'autre part : ce double courant, chrétien et antique, survivra longtemps dans la poésie. La longue domination tartare n'a sans doute pas marqué en profondeur la Russie ; mais, en la coupant tragiquement de Byzance, elle développe en elle l'idée d'une mission particulière, puisée dans les Écritures, celle d'incarner la troisième Rome, citadelle de la vraie foi. C'est au nom de l'Église orthodoxe que les Russes ont lutté contre les Tartares, et la faillite de Constantinople les confirme dans une mission messianique, prophétique, dévolue non seulement aux autorités religieuses, mais à tout un peuple, « inspiré de Dieu ». Ce thème reviendra constamment dans la littérature russe, et jusque dans la poésie soviétique.

   L'ouverture sur l'Europe, amorcée par Pierre le Grand, s'accompagne d'un renouveau de la culture. Les XVIIe et le XVIIIe siècles sont deux siècles d'apprentissage et de cheminement souterrain. Mais les emprunts à l'étranger retardent aussi le retour aux thèmes nationaux. Si la poésie s'en libère plus vite en puisant dans les traditions populaires, la prose, elle, assimile mal les leçons des encyclopédistes, les problèmes politiques ou philosophiques de l'Europe, qui lui sont étrangers. L'assise culturelle est encore faible, reposant sur la société aristocratique. Ce n'est qu'au tournant du XIXe  siècle, avec le miracle de Pouchkine, que les écrivains prennent conscience de l'unité et des aspirations russes. En moins de trente ans, la littérature accédera à la maturité et à l'indépendance, et brillera d'un rare éclat. Un rôle exceptionnel lui échoit, celui de traduire la vie spirituelle d'un peuple : c'est de la littérature que Dostoïevski attend « la justification de la Russie ». La littérature cesse d'imiter l'étranger ; elle se fraie une voie originale entre les grands courants européens, classique, romantique ou réaliste, et elle tente de combler le fossé qui sépare le peuple de son élite. À travers ses romans, elle porte le débat sur les grandes interrogations sociales et métaphysiques. Pauvre en recherches formelles, elle se veut militante, contestataire, didactique, morale, et la fiction romanesque n'est jamais qu'un support destiné à exprimer une conception du monde : les écrivains s'affirment des maîtres de vie plus que des maîtres de l'art. Cependant, la vague décadente et symboliste de la fin du XIXe siècle touche aussi la Russie. La pensée religieuse connaît un renouveau, l'art est resacralisé et les premiers manifestes symbolistes inaugurent l'âge d'argent de la littérature russe. La poésie puis la prose renouent avec les recherche formelles, cette période de bouillonnement créatif engendre une multitude d'écoles et de courants dont l'aspect souvent superficiel ne doit pas faire oublier qu'ils modifient en profondeur le visage de la littérature russe. La Révolution ne met pas un terme à cette effervescence esthétique, ses premières années sont une période de créativité, de liberté intenses. Mais, peu à peu, la mise au pas s'organise ; les uns connaissent l'exil, les autres la misère et les persécutions ; le « réalisme socialiste » devient la « méthode fondamentale » de la création littéraire. Il faudra attendre 1956 et le « dégel » pour voir une relative libéralisation, qui ne deviendra complète qu'avec la chute de l'U.R.S.S., en 1991.

La littérature de la Russie ancienne (XIe-XVIIe siècles)

Une des premières manifestations du génie littéraire de la Russie est le développement de l'art oral populaire, avec les bylines, qui fleurissent du XIe au XIIIe siècles, mais aussi les contes et les chansons. La littérature écrite s'épanouit autour des monastères et dans les cours princières. Héritière des chroniques byzantines, elle utilise le slavon, la langue d'Église, parfois émaillée d'expressions locales : calligraphies des Écritures, vies de saints, récits édifiants. Les sermons du métropolite Hilarion (1re moitié du XIe s.), la Chronique de Nestor (XIIe s.), le Voyage de l'hégoumène Daniel en Terre sainte (XIIe s.), l'Instruction de Vladimir Monomaque constituent cependant des œuvres originales, surtout lorsqu'elles mêlent, comme ces deux dernières, slavon et russe parlé. Mais le joyau de la culture kiévienne est alors le Dit de la campagne d'Igor, anonyme, qui fait la synthèse entre les chansons épiques, l'art oratoire et le folklore oral. La vie culturelle stagne ou régresse aux XIIIe et XIVe siècles, du fait des assauts de nomades sur les principautés méridionales. Mais, peu à peu, le royaume de Moscou s'élabore sur les ruines causées par la Horde d'or. La dernière œuvre poétique de la Russie méridionale est la Zadonchtchina, qui célèbre la bataille de Koulikovo, où le prince Dimitri Donskoï écrase les Tartares. Au XVe siècle, un curieux traité de morale familiale appartient encore à la littérature monastique, attribué au prêtre Sylvestre, conseiller du jeune Ivan IV. À la même époque naissent les tcheti-minei, compilation des vies de prophètes et d'apôtres, faite par le métropolite Macaire et destinée à étayer la vie religieuse et à accroître l'instruction du clergé. L'échange de lettres véhémentes et de style savoureux entre Ivan le Terrible et le prince Kourbski, boyard rebelle réfugié en Lituanie, constitue à la fin du XVIe siècle un document littéraire et psychologique de première importance. La Russie plonge alors dans une période de guerres civiles et de crise dynastique, mais elle commence à s'ouvrir aux courants étrangers. C'est un exilé, Kotochikhine (vers 1630-1667), qui donne le meilleur, mais sombre, tableau de la cour de Moscou. Pourtant, le second des Romanov, Alexis Mikhailovitch, s'efforce d'arracher son peuple à la barbarie, en encourageant des écrivains tels que Siméon de Polotsk (1629-1680), auteur de drames liturgiques, qui plaisent beaucoup à la cour ; il favorise les premiers pas du théâtre russe, et introduit la poésie syllabique. Mais c'est encore en dehors de la littérature que germe la plus originale des œuvres de cette époque, la Vie d'Avvakoum (1620-1682). Avec ce dernier, une période se termine, celle de la vieille Russie, pieuse, conservatrice, théocratique. De nouvelles élites, occidentalisées, vont apparaître.