Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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France (XVIe siècle) (suite)

L'émergence d'une dramaturgie nouvelle

Le théâtre médiéval et ses conditions tant matérielles, sociologiques qu'esthétiques, ne sont que lentement renouvelés : à quelques exceptions près, les acteurs n'acquièrent qu'à la fin du siècle un statut professionnel, notables et lettrés prenant en charge les rôles, parfois regroupés au sein de confréries ; le théâtre à l'italienne se répand, permettant de jouer de l'illusion d'optique permise par un plateau en profondeur et par l'insertion de décors et de machines.

Les survivances des genres médiévaux

Les représentations de rue traditionnelles où se succèdent les moralités – pièces courtes faisant le procès d'une idée ou d'une valeur –, les sotties s'attaquant à certains types sociaux, la farce que vient renouveler le succès de la comedia dell'arte dans la seconde moitié du siècle, la passion et les mystères – grands drames liturgiques associant le public dans une vaste adhésion spirituelle –, rythment toujours la vie culturelle des grandes villes. Toutefois, ce théâtre, fortement critiqué par les humanistes tant catholiques que protestants, tend à subir une désaffection certaine à partir du règne de François Ier, laissant ainsi émerger de nouvelles formes.

Renaissance des genres antiques

Trois genres sortent progressivement de l'oubli, revivifiés notamment par les membres de la Pléiade : la comédie, la tragédie et la pastorale. La comédie vient fustiger les travers moraux et concurrencer farces et soties sur leur terrain. À partir de la Pléiade, les modèles antiques s'imposent plus nettement, sur des canevas tirés de la prose narrative italienne, notamment de l'œuvre de Boccace : si Baïf (le Brave, 1567) comme Belleau (la Reconnue, 1577) s'inspirent de Plaute, c'est Terence qui offre au premier chef une source d'imitation. La fin du siècle voit un retour au pur divertissement adapté du corpus italien, surtout avec les comédies érudites de Pierre de Larivey (1579).

   La tragédie française voit le jour par le biais d'un retour à l'antique semblable, tout d'abord théorique, avec la traduction de l'Art poétique d'Horace par Peletier du Mans (1541), et précisée par son Art poétique françois en 1555. Les cinq actes resserrés autour d'une action courte, la condition élevée des personnages, le dénouement tragique sont donnés comme règles pour lesquelles l'influence de Sénèque a été décisive. Jodelle réalise la première tragédie humaniste en langue française en 1553, Cléopâtre captive, suivie de près par la Médée de La Péruse. Les auteurs, sur le modèle de Bèze et de son Abraham sacrifiant joué à Lausanne en 1550, ne tardent pas à s'engager en trouvant dans la tragédie un moyen privilégié de faire vivre au public une expérience spirituelle, ou de le conduire à une réflexion théologico-politique. Louis des Masures et sa Trilogie de David (1566), André de Rivaudeau et son Aman (1566) ou Jean de La Taille et son Saül le furieux (1572) illustrent la volonté de recentrer la tragédie autour d'une matière biblique ; cette voie de la tragédie religieuse est poursuivie chez les catholiques par Robert Garnier, qui trouve dans des sujets romains le miroir de la cruauté des guerres religieuses de son temps. La tragédie connaît parfois des inflexions thématiques ou même structurelles, intégrant des sujets et des personnages issus de la comédie, comme dans la Bradamante de Garnier (1580) qui annonce les tragi-comédies à succès du siècle suivant.

La pastorale apparaît à la fin du siècle

Mettant en scène les métamorphoses de l'amour au sein d'une nature mythique préservée de la corruption propre à toute civilisation, Jacques de Fonteny et Siméon-Guillaume de La Roque chantent des idylles inspirées des modèles antiques (Virgile et Théocrite) comme des textes récents du Tasse ou de Guarini.

La prose

Souffrant d'une image moins noble que la poésie et prenant peu à peu le relais des modes oraux de diffusion hérités du Moyen Âge, la prose se développe de manière expérimentale en lien direct avec les pratiques orales traditionnelles de la narration. Puisant dans le réservoir des Fabliaux, mais aussi dans les recueils d'amour courtois ou dans les courts récits du legs italien (notamment le Décaméron de Boccace et les Facéties latines du Pogge), elle se développe sous des formes brèves et fragmentées – reflet de leur récitation orale passée – qui mettent en scène le plus souvent des situations de communication orale comme la conversation de devisants réunis en petits cercles et prenant tour à tour la parole pour proposer un récit.

Nouvelles et formes brèves

Les recueils, inspirés des histoires bourguignonnes de Philippe Pot (1485), se forment par agglomération d'arguments tirés de traditions diverses : le terme de nouvelle apparaît avec les Cent Nouvelles nouvelles de Philippe de Vigneulles (vers 1515), chroniques de faits divers facétieux tirés de la vie à Metz. Dans la plupart des recueils, comme dans les Propos rustiques de Noël du Fail (1547), les valeurs morales traditionnelles sont exaltées, tout comme les lieux communs relatifs au mariage. Les recueils issus des milieux évangéliques (l'Heptaméron de Marguerite de Navarre, 1559, et les Nouvelles récréations et joyeux devis de Bonaventure Des Périers, 1558) se singularisent à la fois par une critique récurrente de certains ordres religieux et par une suspension du sens liée à l'éclatement narratif, laissé à la seule interprétation du lecteur. Vers la fin du siècle, le goût pour le frisson, déjà perceptible en maints passages de l'Heptaméron, se développe grâce au Printemps de Jacques Yver (1572) et aux Histoires tragiques de P. Boaistuau (1560), relayé par F. de Belleforest qui, jusqu'en 1583, emprunte son matériau à la grande histoire.

Romans et récits longs

Les romans de chevalerie conservent les faveurs du public : ainsi Pierre Sala réécrit en les dérimant à la fin des années 1520 Lancelot, Perceval, Perceforest ou encore Tristan. L'Amadis arthurien de l'Espagnol Montalvo (1508) est traduit et adapté par Heberay des Essarts en 1540 et devient un véritable phénomène de société : les aventures du chevalier héritier des Gaules deviennent le bréviaire de l'Europe tout entière. La veine sentimentale dont il participe fleurit dans les Angoisses douloureuses qui procèdent d'amours (1538) d'Helisenne de Crenne, roman-confession violent et tragique délibérément tourné vers un public féminin, qui constitue une étape importante dans l'élaboration du roman psychologique ; ce dernier trouvera dans la Marianne du Filomène (1596) un véritable aboutissement, lié cette fois à un cadre historique. L'œuvre de François Rabelais est pour sa part parfaitement originale, même si elle puise dans les genres traditionnels du récit de chevalerie, de l'épopée ou du dialogue philosophique. Après deux premiers romans relatant la naissance et l'affirmation progressive du Prince à travers une Illiade en réduction et ce, malgré les déséquilibres qui bouleversent le corps privé comme le corps social (Pantagruel, 1532, et Gargantua, 1535), Rabelais propose deux odyssées liées à la quête du sens, celle du Tiers Livre où Panurge interroge le sens de son existence (1546) et celle du Quart Livre où un voyage argonautique explore un univers merveilleux idolâtre et contrevenant systématiquement à la Charité chrétienne, miroir de celui qui ne cesse de rejeter Maître François au nom de la Vérité. Mettant en scène dans ses prologues comme dans ses récits les difficultés de l'accès à cette dernière et les apories de la quête du sens, Rabelais jette les fondements du genre romanesque tout en s'ingéniant à suspendre le sens et la valeur exemplaire de ses propres personnages, proposant ainsi une œuvre ouverte où la cohérence sans cesse contestée pourrait être le miroir de la Révélation divine, elle-même voilée.

Dialogues, paradoxes, essais

Rabelais a proposé la synthèse d'une double vocation prise en charge par la prose : divertir, mais aussi provoquer la réflexion. L'investigation philosophique, sur le modèle maïeutique redécouvert dans les dialogues de Platon, a trouvé dans le dialogue philosophique un genre apte à inviter le lecteur dans un cheminement intellectuel. Ce dernier, libre en théorie, est en fait nettement balisé et, comme dans les Dialogues de Guy de Bruès (1557) ou les Dialogues de Louis Le Caron (1556), un point de vue dogmatique univoque est imposé à la fin du texte. L'ouverture du sens est davantage assumée par le genre du paradoxe, discours en forme de plaidoyer pour une cause choquant les opinions reçues. Si l'Éloge de la folie d'Érasme (1511) ou le De incertitudine d'Agrippa (1532) offrent des modèles faciles à intégrer dans une pensée paulinienne elle-même paradoxale, le fameux « éloge des dettes » du Tiers Livre offre une tout autre résistance à une interprétation univoque.

   La vocation réflexive de la prose trouve certainement son point culminant dans les Essais de Montaigne (1580-1592), livre unique par sa vocation : peindre l'être dans le passage, et ainsi coucher la conscience de l'auteur au moment-même où elle s'essaie sur les sujets les plus divers. Ce texte, sceptique en ce qu'il constitue l'étude de l'individu par lui-même plus que l'exposition d'une quelconque doctrine – étude qui revient sans cesse sur ses propres acquis par l'ajout d'additions dont le foisonnement crée une complexe bigarrure –, intègre pour les subvertir bien des genres préexistants : commentaire, leçon, littérature morale sont ici subordonnés à un perpétuel essai des facultés humaines aboutissant, au fil des pages, à une seule permanence : celle de l'inconstance perpétuelle qui nous coupe de toute « communication à l'être », et de la vanité sur laquelle la poétique baroque est en train de se forger. Les lectures de Montaigne donneront lieu à des extensions convergeant vers une anthropologie fidéiste qu'on a pu lui prêter (Charron, La Mothe Le Vayer) ou à des critiques partielles (Pascal) ou totales (Arnaud et Nicole), mais les Essais ne se seront pas bornés à ouvrir un débat philosophique aujourd'hui encore vivace : ils auront ouvert un genre original pétri d'une démarche propre à la recherche philosophique pyrrhonienne.

   Quel que soit le genre, le retour à l'antique auquel on réduit parfois le XVIe s. n'a pas eu pour effet de substituer un modèle fermé aux modèles préexistants. Les genres, qu'ils découlent d'une mutation de ceux du Moyen Âge ou de leur pur et simple remplacement, demeurent ouverts et adaptés à une réflexion permanente sur la place de l'homme dans l'univers, sur ses relations avec le Créateur et sur sa possibilité d'établir ici-bas la Jérusalem céleste. Les questions fondamentales posées par l'humanisme ont trouvé jusque dans les apories des chroniques rabelaisiennes ou des investigations montaigniennes, dans les incertitudes des devisants des recueils de contes et nouvelles ou dans l'émerveillement constant des poèmes cosmogoniques, un foyer de réflexion à la fois riche et inquiète. Mise à part l'illustration croissante de la langue française, c'est certainement le « moi » – la personne même de l'auteur, à la fois fonction assumée et entité psychologique hésitante –, qui s'est le plus nettement affirmé au cours de cette période.