Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
A

Allemagne (suite)

Le romantisme

Le siècle de Goethe s'achève en apothéose sur le romantisme. C'est sans doute l'apport le plus original de l'Allemagne à la littérature universelle. Il se développe en plusieurs phases et présente des différences notables suivant le lieu et le moment, mais il trouve son unité dans une volonté farouche de dresser, face à la réalité, un univers différent : le monde de l'esprit et de l'imagination.

   Une des caractéristiques du romantisme est la référence au passé. Les romantiques y trouvent, dans la ligne de Herder, les sources authentiques de la poésie en général, de la culture allemande en particulier. Les frères Grimm et J. Görres exploreront systématiquement ce passé : le Moyen Âge, notamment, fournira aux romantiques nombre de thèmes, de personnages et de modèles. Un autre élément typiquement romantique est le recours à l'irrationnel. Face au culte de la raison, les romantiques remettent en honneur l'intuition et le sentiment, le rêve, le surnaturel, la « face nocturne de la nature », les profondeurs de l'âme humaine. On assiste là aussi à une résurrection des courants mystique, piétiste, panthéiste. La théologie de F. Schleiermacher et la « philosophie de la nature » de F. W. Schelling développeront ces tendances. Par bien des aspects, le romantisme déborde du domaine littéraire pour devenir une vision du monde. Enfin l'univers romantique ne cherche pas, comme le classicisme, à réconcilier le moi et le monde, mais affirme la prééminence du premier sur le second. C'est une sorte de radicalisation de la philosophie idéaliste. Sur cette primauté du moi se fonde l'ironie romantique : la liberté absolue de l'artiste vis-à-vis du monde qu'il a créé. Le romantisme aboutit ainsi à une sorte de religion de l'art.

   Le romantisme présente tous ces traits dès son apparition, vers 1798-1800, dans le « groupe d'Iéna » constitué autour de W. A. Schlegel et de sa revue Athenäum. Ce groupe, où l'on trouve aux côtés du fondateur et de son frère Friedrich Schlegel, W. H. Wackenroder, L. Tieck et surtout F. von Hardenberg, jeune ingénieur des mines qui écrit sous le nom de Novalis, donnera au romantisme ses plus grandes œuvres.

   Moins spéculatif, plus tourné vers l'histoire, moins marqué aussi par le côté nocturne, le « romantisme de Heidelberg » se forme après 1804 autour de deux amis, C. Brentano et A. von Arnim. Bettina Brentano, Karoline von Günderode, J. Görres, F. Creutzer, les frères Grimm et J. von Eichendorff fréquentent également ce cercle. À partir de 1810, le centre de gravité se déplace vers Berlin. On y retrouve les Schlegel, les Brentano, Arnim, Eichendorff, mais aussi quelques personnages nouveaux : A. von Chamisso, F. de Lamotte-Fouqué et E. T. A. Hoffmann. C'est ici que se forme ce romantisme de l'étrange et du fantastique, qu'on confond parfois à tort avec le romantisme tout entier.

   Les genres littéraires privilégiés par les romantiques sont le lyrisme et le fragment, ainsi que toutes les formes de prose narrative. Au théâtre, les réussites manquent, malgré les efforts de Schlegel et de Tieck. En dehors de Kleist, qui n'appartient pas au mouvement, on peut citer Z. Werner, A. Müllner et C. E. von Houwald. De toute manière, le public allemand réserve ses applaudissements aux œuvres d'habiles faiseurs comme A. von Kotzebue, A. W. Iffland ou E. Raupach, alors que Kleist n'arrive pas à se faire jouer. De même en librairie, les plus importants succès sont ceux des intarissables auteurs de romans d'amour ou d'aventures comme C. A. Vulpius ou A. Lafontaine. Après le congrès de Vienne (1815), l'Allemagne semble s'assoupir sous la garde de ses 35 souverains et de la police de Metternich. Si, entre 1815 et 1832, Goethe parachève son œuvre, les talents nouveaux sont rares. Seul, un dernier rameau du romantisme fleurit en Souabe, autour de L. Uhland, J. Kerner et G. Schwab : c'est un romantisme aimable et populaire qui appartient déjà à l'époque Biedermeier.

Entre romantisme et naturalisme

La mort de Goethe est ressentie par les contemporains comme la fin d'une époque. Mais, depuis plusieurs années, une nouvelle génération d'écrivains s'apprête à entrer en lice. Le Vormärz, c'est-à-dire la période qui va de 1830 à la révolution de mars 1848, est caractérisé par deux courants principaux dans la littérature allemande. Le premier reste très attaché à la tradition, qu'elle soit classique ou romantique, tout en cherchant à la dépasser. Il est principalement représenté par les écrivains du Biedermeier, dont les œuvres intimistes et régionalistes mêlent le fantastique au réalisme, l'idylle à l'expression des déchirements intimes (E. Mörike, A. von Droste-Hülshoff, W. Hauff, K. L. Immermann et F. Grillparzer en Autriche). Le byronisme et le mal du siècle donnent leur tonalité dominante aux œuvres de N. Lenau, tandis que A. von Platen ou F. Rückert retrouvent un certain culte de la forme en même temps qu'ils introduisent l'orientalisme dans la poésie allemande. Le second courant, qui se manifeste surtout à partir de la révolution de 1830, rejette la tradition et s'engage résolument dans les luttes du temps. Matérialistes, disciples de Hegel (hégéliens de gauche) ou libéraux, tous mettent leur plume au service d'un idéal politique et social et partent en guerre contre toutes les formes d'oppression politique, morale ou intellectuelle. Le groupe de la Jeune-Allemagne, au sens propre, comprend K. Gutzkow, H. Laube, T. Mundt et L. Wienbarg. À ces noms on peut ajouter ceux de L. Börne, de G. Herwegh, F. Dingelstedt, F. Freiliggrath, G. Weerth, ou A. H. Hoffmann von Fallersleben, l'auteur du Deutschland über alles. Un nom domine ce groupe : H. Heine, le « romantique défroqué », un des plus grands poètes et prosateurs de langue allemande qui décochera, de Paris, les flèches les plus acérées aux tenants de la réaction.

   Trois auteurs dramatiques émergent cependant dans la première moitié du XIXe s. : trois isolés, trois talents originaux, longtemps méconnus. C. D. Grabbe traduit son nihilisme dans des drames noirs, à peine jouables, où de grandes individualités affrontent leur destin. G. Büchner, mort à 23 ans, a laissé plus que des promesses : aucune œuvre de ce temps n'a gardé autant d'actualité que celle de ce révolté généreux et lucide. Enfin, F. Hebbel, dont l'œuvre se poursuit jusqu'en 1863, malgré un penchant parfois excessif pour la spéculation philosophique, a écrit des pièces réalistes, d'un profond pessimisme, dont certaines font partie de l'héritage vivant du XIXe s. Il n'en est pas de même du théâtre de O. Ludwig, tandis que les livrets de R. Wagner ne survivent que grâce à la musique qui les porte.

   L'année 1848 marque en Allemagne aussi un tournant dans l'histoire littéraire. L'idylle Biedermeier s'achève, en même temps que la littérature militante de la Jeune-Allemagne. Les décennies suivantes seront placées sous le signe de la philosophie pessimiste de A. Schopenhauer, et – surtout après 1870 – de l'historisme. Elles n'ont pas produit beaucoup d'œuvres de premier plan. Dans cette période de 1850 à 1890, qui voit se réaliser l'unité de l'Allemagne sous la direction de la Prusse et s'amorcer son accession au rang de puissance mondiale, la littérature allemande est au creux de la vague. À la génération des Lenau, Heine, Mörike, succèdent les poètes de l'école de Munich (E. Geibel, F. von Bodenstedt, V. von Scheffel), portés au pinacle par leurs contemporains et que la postérité a relégués dans un oubli mérité. Même D. von Liliencron, accueilli comme un rénovateur, n'a pas résisté à l'épreuve du temps. Au théâtre, entre la mort de Hebbel et l'avènement du naturalisme, le répertoire est dominé par P. Heyse, qui trouvera en E. von Wildenbruch un digne successeur. Il n'en reste plus rien. Seule la prose narrative échappe dans une certaine mesure à ce constat de carence. Elle est placée sous le signe du réalisme. Mais, qu'il s'agisse de romanciers qui, comme K. Gutzkow, F. Spielhagen ou G. Freytag, veulent montrer les transformations de la société bourgeoise ou de ceux qui, comme T. Storm ou W. Raabe, s'attachent à peindre les petites gens, la province, tout un univers destiné à disparaître, c'est toujours une réalité idéalisée ou poétique qui est présentée au lecteur. On est plus près de Dickens que de Zola. Le recours à l'humour permet d'exprimer à la fois la critique et la résignation, sur un fond de nostalgie. Le « réalisme poétique » aboutit, dans les derniers romans de T. Fontane, à une tardive réussite qu'avait déjà préparée le Suisse G. Keller. Les nostalgies qu'éprouve une société en train de se transformer rapidement se traduisent également dans la vogue du roman historique (de W. Alexis à F. Dahn), et dans un renouveau de la littérature régionale et dialectale. Il faut citer surtout B. Auerbach, auteur de nouvelles villageoises, K. Groth, et F. Reuter. Malgré quelques réussites, le bilan de la littérature alle– mande, après les deux premières décennies du nouveau Reich, est donc très décevant, tout comme le bilan de la vie culturelle et artistique en général. Ce sera pour Nietzsche l'occasion de ses diatribes contre l'esprit du siècle.