Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
C

Corman (Cid)

Poète américain (Boston 1924– Kyoto 2004).

Son œuvre joue du silence et d'une certitude : il y a des objets qui doivent être dits même lorsque le ciel est vide. Des références à l'Europe et au Japon n'empêchent pas ses recueils (Soleil roc homme, 1962 ; À temps, 1964 ; Des mots pour l'autre, 1967) de rappeler la simplicité de la terre élémentaire et l'évidence de la vie qui va (Respirations, 1973 ; Aegis, 1983).

Cornaros (Vicenzo)

Poète crétois (Sitia, Crète, fin XVIe s. – id. v. 1677).

En l'absence d'éléments biographiques certains, on s'accorde à voir en Cornaros un Crétois originaire d'une famille, peut-être noble, de l'est de l'île ; on lui attribue le Sacrifice d'Abraham écrit vers 1635 et publié en 1696-1697. Ce drame religieux, librement adapté de l'Isaac de L. Groto, s'enracine dans la tradition crétoise, en utilisant de nombreux éléments populaires. Mais le chef-d'œuvre de Cornaros est l'Erotocritos, roman sentimental écrit peut-être pendant le siège de Candie (1645-1669) et publié à Venise en 1713. Ce long poème (plus de 10 000 vers politiques jumelés) décrit les amours longtemps contrariées d'Arétousa, fille du roi d'Athènes Héraclès, et d'Érotocritos, « le tourmenté d'amour », fils de Pézostratos, Premier ministre du roi. Héraclès se refusant à donner sa fille en mariage à un prétendant considéré comme socialement inférieur, Érotocritos, banni du royaume, s'efforce, par sa bravoure, de franchir cet obstacle. Il y parvient après avoir sauvé son pays de l'attaque des Valaques, dont il tue le roi en combat singulier. Cornaros s'est inspiré d'un roman français médiéval, Paris et Vienne (1432), à travers une traduction italienne en vers, mais il a hellénisé l'original et en a fait un roman classique. Il excelle à décrire toutes les étapes de l'amour naissant puis vainqueur. Il s'agit bien, en effet, d'un roman d'amour, où les éléments chevaleresques sont ajoutés à des fins soit narratives, soit même patriotiques. C'est ainsi qu'Érotocritos incarne la bravoure crétoise, le cadre athénien étant de pure convention. Ce chef-d'œuvre de la Renaissance crétoise, longtemps méprisé des Phanariotes lettrés, a connu un succès considérable auprès du peuple grec qui le savait par cœur, l'apprenant à partir d'éditions publiées à Venise et qui circulaient encore au début du XXe s. Cornaros, la plus forte personnalité littéraire de la Renaissance crétoise, est une figure majeure des lettres grecques.

Corneille (Pierre)

Poète dramatique français (Rouen 1606 – Paris 1684).

Corneille interroge de façon exemplaire les valeurs majeures de son époque, au point qu'on a interprété, de son temps déjà, ses textes en fonction de leur contexte socio-historique et politique. Mais sa gloire, qui fut immense, vient aussi de sa science de théoricien du théâtre et d'artiste hardiment novateur : « Je sais ce que je vaux, et crois ce qu'on m'en dit. » Pourtant, sa situation dans l'esprit du public d'aujourd'hui est paradoxale : un nom illustre, une œuvre (le Cid, 1637) connue de tous, un adjectif (« cornélien ») passé dans l'usage courant, contrastent avec une certaine méconnaissance, voire l'oubli, de pans entiers de sa création, qui font perdre de vue la profondeur et la diversité de son théâtre.

Une « étrange carrière »

La formule de R. Picard à propos de Racine peut à bon droit s'appliquer tout autant à Corneille. D'une part, il resta longtemps (jusqu'en 1662) à Rouen, menant une vie fort sérieuse de bourgeois parlementaire et de chef de famille respectable, à la personnalité sans relief. D'autre part, il entre tôt dans la vie littéraire parisienne (en 1629, avec Mélite, une comédie), obtient très vite des succès, et surtout provoque presque une affaire d'État avec la tragi-comédie du Cid, dont la querelle le propulse au premier plan. Avec ses tragédies suivantes, conformes aux règles (Horace, 1640 ; Cinna, 1641 ; Polyeucte, 1642 ; la Mort de Pompée, 1643), il parvient au faîte de la gloire littéraire, mais l'échec de Pertharite (1651) le conduit à se replier sur sa vie familiale et la poésie pieuse (traduction en vers de l'Imitation de Jésus-Christ, 1656). Repli passager : il « monte à Paris », produit beaucoup, veille à sa gloire en publiant ses œuvres complètes (1660, 1663), véritables monuments qu'aucun auteur n'avait connus de son vivant, et les principes de son esthétique. Pourtant, le public et ses goûts ont évolué : malgré son prestige, malgré le pouvoir que lui confère sa renommée et le « clan » littéraire qui s'est formé autour de lui, peut-être à cause de l'originalité accrue de son tragique, Corneille voit les échecs se multiplier, au profit notamment du jeune Racine.

   Bourgeois provincial anobli, Corneille est l'écrivain le plus illustre de son temps et, si elle s'achève dans une certaine amertume, sa carrière littéraire est sans égale. Paradoxalement, cette ascension se fonde sur un genre, le théâtre, qui certes connaît au XVIIe s. une expansion sans précédent mais reste mal vu des autorités, surtout religieuses. Corneille lui a donné ses « lettres de noblesse ».

Une esthétique originale

Comédie, tragi-comédie, comédie héroïque, tragédie historique et tragédie « à machines », et jusqu'à l'« étrange monstre » qu'est l'Illusion comique (1635), son répertoire (32 pièces) est remarquablement varié. Cette diversité a donné lieu à des controverses critiques, parfois un peu vaines : Corneille n'est ni « classique » ni « baroque », son théâtre recèle des traits de l'un et de l'autre, ne serait-ce que parce qu'il a évolué avec les goûts (Corneille est très attentif aux réactions des différents publics à ses pièces), mais aussi avec les diverses influences (théâtre espagnol, tragédie antique), et les moyens scéniques de l'époque, passant par exemple des décors multiples des débuts à des scénographies qui s'adaptent au décor unique, devenu la règle générale. S'il s'est plié, non sans renâcler et sans multiples « infractions », aux exigences des doctes en matière de tragédie, il a aussi investi son inventivité dans des genres « irréguliers » comme la tragédie à machines (Andromède, 1650 ; la Toison d'or, 1661).

   Pour discerner les lignes de force de son esthétique, on dispose d'un document exceptionnel : les trois Discours sur le genre dramatique et les Examens de ses pièces que Corneille a donnés en 1660. Il se fonde, pour l'essentiel, sur la doctrine, défendue par les doctes, de la Poétique d'Aristote. Mais il l'adapte en fonction des attentes du public mondain et moderne : le théâtre doit avant tout plaire et, s'il veut instruire, il ne peut y parvenir qu'à proportion de l'intérêt et de l'émotion qu'il éveille chez le spectateur. Les règles sont d'abord le résultat d'une démarche pragmatique pour un meilleur théâtre, débarrassé autant de la pédanterie que des invraisemblances. Tout en respectant le cadre général de la dramaturgie classique, il affirme donc fermement son originalité. Il en résulta d'ailleurs, outre la querelle du Cid, où les doctes se dressent contre ses infractions aux règles, de nombreux conflits avec d'autres théoriciens, notamment l'abbé d'Aubignac (la Pratique du théâtre, 1657).

   Corneille s'est assez mal accommodé des « unités » de temps, de lieu et d'action. Parce qu'on reproche violemment au Cid de ne pas être conforme aux règles édictées sur ce point par Aristote, la querelle l'a poussé à leur accorder plus d'attention, mais les événements nombreux qui occupent ses pièces tiennent difficilement dans la limite des vingt-quatre heures. À l'action simple, il substitue ce qu'il appelle l'unité de péril : plusieurs intrigues différentes peuvent se lier en une seule, pourvu qu'elles reposent sur l'immanence d'un même danger pour les protagonistes. Dans ses pièces animées, fertiles en rebondissements, les personnages des comédies comme des tragédies offrent des caractères volontiers extrêmes : Alidor (la Place Royale, comédie, 1633), Auguste (Cinna), ou Attila (Attila, 1667) se lancent des défis à eux-mêmes. Corneille affectionne les êtres taillés dans l'étoffe des « forts » (y compris pour les « méchants »).

   Le jeu scénique à « effets » s'accompagne d'un texte à l'écriture virtuose. Le public d'alors goûtait les « morceaux de bravoure ». Il y a chez Corneille un goût de la grandeur (du style « pompeux »), des figures (antithèses, hyperboles) et des « sentences », mises au service de la peinture des « caractères » (« Rome n'est plus dans Rome, elle est toute où je suis », Sertorius, 1662). Au total, un langage de la force, même si certains vers alambiqués et métaphores galantes, chers à la rhétorique de l'époque, nous paraissent aujourd'hui affadis.