Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Lesmian (Bołesław)

Poète polonais (Varsovie 1878 – id. 1937).

Il vit en Ukraine jusqu'en 1901 et étudie le droit à Kiev. À son retour à Varsovie, et pendant les quelques années qu'il passe à Paris (jusqu'en 1906), il publie des vers en russe dans les revues symbolistes (la Toison d'or et la Balance) et des poèmes en polonais dans la revue Chimera de Miriam. Son premier recueil, le Verger d'incertitude (1912), longue et lente quête de sensations raffinées et d'états d'âme insolites, est placé sous le signe de l'esthétisme qui caractérise les auteurs de la Jeune Pologne. À l'écart des batailles littéraires de Varsovie (il est notaire à Hrubieszow et à Zamosc), Lesmian publie Prairie (1920) dont les vers se distinguent par la minutie analytique des descriptions utilisées par le poète pour pénétrer, au-delà des détails observés, le mystère de l'existence. La nature n'est pour lui ni un décor, ni un miroir, elle n'est ni menaçante ni consolatrice, elle est le signe extérieur de l'être. Vient ensuite un recueil enchanteur, la Boisson ombragée (1936), où Lesmian crée une langue foisonnant de néologismes dont l'extrême richesse des sonorités rend les vers d'abord signifiants par leur musicalité et les possibilités d'associations imagées induites. Le poète a recours aux contes et aux légendes comme aux rêveries pour proposer une expression des significations cachées de l'histoire et de la vie des hommes.

Lespinasse (Julie de)

Femme de lettres française (Lyon 1732 – Paris 1776).

De naissance noble mais illégitime, elle fut sortie de l'obscurité par Mme du Deffand, qui fit d'elle sa dame de compagnie (1754). Son succès portant ombrage à sa protectrice, Mlle de Lespinasse tint alors elle-même salon (1764). Elle fut courtisée par d'Alembert, et Diderot mit en scène le couple dans le Rêve de d'Alembert. Elle conçut pour le comte de Guibert une passion impossible, exprimée dans une correspondance qui prit les dimensions d'une œuvre littéraire et qui trouve sa place aux côtés des lettres d'Héloïse et d'Abélard.

Lessing (Gotthold Ephraim)

Écrivain allemand (Kamenz, Saxe, 1729 – Brunswick 1781).

Critique et polémiste, théoricien des arts et de la littérature, auteur dramatique éminent, il est à la fois le plus grand écrivain de l'Aufklärung et l'initiateur du classicisme allemand. Fils de pasteur, il s'installa après ses études comme journaliste à Berlin et prit part à la guerre de Sept Ans. Il devint le critique attitré du Théâtre national à Hambourg (1767-1770), puis bibliothécaire du duc de Brunswick à Wolfenbüttel. Dans son œuvre, critique et théorie des arts sont étroitement liées (articles pour la revue Literaturbriefe ; Hamburgische Dramaturgie ; Laokoon, 1766-1768). Passionné pour la scène, Lessing part en guerre contre Gottsched pour définir un théâtre plus conforme au génie national allemand, plus proche de la nature et de la réalité quotidienne. Ses modèles sont Shakespeare et Diderot, dont il traduit les drames. Relisant Aristote, il ne garde que la règle de l'unité d'action et donne pour fin aux sentiments tragiques l'élévation morale du spectateur. Auteur dramatique, il donne après plusieurs comédies avec Miss Sara Sampson (1755) un premier exemple de tragédie bourgeoise. Dans Minna von Barnhelm (1767), le commandant prussien von Tellheim, atteint dans son honneur par des accusations sans fondement et se croyant ruiné, renie sa fiancée, la Saxonne Minna von Barnhelm. Minna doit recourir à un stratagème pour le ramener à elle et tout se termine bien grâce à une intervention du roi. Cette pièce est la première de la littérature allemande à prendre pour cadre la réalité contemporaine (la fin de la guerre de Sept Ans). Avec Minna, Lessing crée un comique nouveau, loin de la sensiblerie de la comédie larmoyante. Dans Emilia Galotti (1772), un thème tragique antique fournit le sujet d'un drame social moderne. Avec Nathan le Sage (1779), poème dramatique écrit en pentamètres iambiques, Lessing fait un pas de plus vers le classicisme. Une intrigue groupe autour du Juif Nathan des représentants du christianisme et de l'islam et démontre que la vraie religion est d'essence morale – démonstration que résume la parabole des trois anneaux (tirée du Décaméron de Boccace) : il est impossible de reconnaître l'anneau d'origine de ses deux imitations, mais celui qui se conforme aux exigences de la morale sera en possession de l'anneau authentique. Ce plaidoyer pour la tolérance peut aussi être rangé parmi les écrits de Lessing sur la religion, à côté des articles de polémique contre l'orthodoxie luthérienne, les Anti-Goez (1778), ou d'opuscules comme les Dialogues maçonniques (1778) ou l'Éducation du genre humain (1780) : tentant de concilier foi et raison, révélation et Histoire, il voit dans les religions révélées les étapes successives de l'humanité en marche vers un idéal de perfection morale ; la vérité d'une religion réside dans le progrès qu'elle fait accomplir au monde. On a pu se demander si Lessing croyait en un Dieu personnel, et certains, comme Jacobi, l'ont taxé de spinozisme. Parmi ses œuvres importantes, il faut aussi retenir la Dramaturgie de Hambourg, recueil d'articles critiques écrits en 1767-1768 pour le Théâtre national de Hambourg et publiés en deux volumes en 1769. Lessing y dépasse en effet le cadre étroit des comptes rendus des représentations et s'y livre à une réflexion générale sur le théâtre. Il reproche avec violence à la tragédie française de présenter des héros trop éloignés, par leur grandeur ou leurs vices, de l'humanité moyenne et incapables, pour cette raison, d'inspirer pitié et crainte au spectateur. Pour la comédie, il distingue entre le ridicule et le comique inhérent à la condition humaine. La Dramaturgie représente une étape décisive dans l'élaboration de l'esthétique classique en Allemagne.

Lessing (Doris)

Femme de lettres anglaise, d'origine sud-africaine (Kermanchah, Iran, 1919).

Élevée en Rhodésie, établie à Londres depuis 1949, issue des « Jeunes Gens en colère », elle s'intéresse aux dilemmes moraux, intellectuels, sociaux (la condition de la femme, entre autres) et artistiques qui appartiennent au « réalisme moderne » et qu'illustrent son grand cycle romanesque les Enfants de la violence (Martha Quest, 1952 ; Un mariage comme il faut, 1954 ; l'Écho lointain de l'orage, 1958 ; Pris dans les terres, 1965 ; la Cité promise, 1966), son théâtre (À chacun son désert, 1958 ; la Vérité sur Billy Newton, 1961), et ses Nouvelles africaines (1951-1953-1973). Son chef-d'œuvre reste le Carnet d'or (1962), où l'autobiographie féministe se mêle à la fiction. L'apartheid est pour elle non seulement un problème social et politique, mais le signe exemplaire de l'affrontement et du déchirement des êtres et du malaise de la civilisation contemporaine. Cette méditation angoissée sur un monde qui revient à la jungle (la Terroriste, 1985) se poursuit à la fois sur le mode de la projection dans un univers de science-fiction, avec la série Canopus dans Argos : Archives (Shikasta, 1979 ; Mariages entre les zones Trois, Quatre et Cinq, 1981), et sur celui de l'introspection (Mémoires d'une survivante, 1976). En 1982 et 1983, elle a publié sous le nom de Jane Somers – afin de tester et de démasquer les mécanismes de l'édition traditionnelle – deux romans, proposés à ses éditeurs habituels et refusés par eux (Journal d'une voisine et Si vieillesse pouvait), et réunis en 1984 dans les Carnets de Jane Somers. En 1994, elle publie son autobiographie sous le titre Dans ma peau, bientôt suivie d'un deuxième volume, la Marche dans l'ombre (1998).