Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
L

Luo Guanzhong

Écrivain chinois (vers 1330 – v. 1400).

On attribue à ce lettré sur lequel on sait bien peu de chose, outre un rôle indéterminé dans l'écriture du roman Au bord de l'eau (Shuihu zhuan), trois pièces de théâtre (zaju) et la rédaction de plusieurs romans historiques. Néanmoins, c'est au Roman des Trois Royaumes que son nom est le plus naturellement associé, car c'est lui qui signe la mise en forme littéraire des éléments narratifs (plusieurs zaju et différentes versions destinées à la lecture, plus ou moins basées sur les récits des conteurs publics) qui avaient pris pour base un des épisodes les plus fameux de l'histoire de Chine, la période des Trois Royaumes (220-280). L'œuvre, dont la première version imprimée connue est datée de 1522, deviendra le modèle du roman historique à la chinoise, genre appelé yanyi ou « amplification ». Ici, c'est la Chronique des Trois Royaumes de Chen Shou (233-297) qui fournit le cadre. Loin d'en être l'esclave, Luo met en scène l'histoire pour distraire les lecteurs en dramatisant les situations et en accentuant les caractères dans une langue proche de la langue parlée. Réputée comporter « sept dixièmes de fiction », la narration est fertile en incidents diplomatiques et militaires, en combats singuliers et en batailles rangées, en alliances et en trahisons. Les personnages, admirablement campés, symbolisent, au-delà d'eux-mêmes, des forces et des valeurs morales : c'est la lutte de la légitimité et des vertus royales de Liu Bei contre les puissances du Mal incarnées par l'ambition et la soif de pouvoir d'un Cao Cao sans scrupule. Cette schématisation allie les conceptions confucianistes aux aspirations populaires. Le roman n'a cessé de jouir d'un immense succès renforcé par le commentaire que Mao Zonggang donna à l'édition qu'il mit en circulation en 1679. Son influence, laquelle se fit sentir très tôt sur le théâtre, touche largement aujourd'hui encore non seulement le cinéma et la bande dessinée, mais aussi le monde des jeux vidéo.

Lurie (Alison)

Romancière américaine (Chicago 1926).

Professeur à Cornell University, récompensée par le prix Pulitzer en 1985 et le prix Femina en 1989, Lurie présente dans ses romans (d'Amour et amitié, 1962, à Liaisons étrangères, 1985, et la Vérité sur Lorin Jones, 1988) un reflet ironique des mœurs et petits défauts de la classe moyenne américaine. La matière même de la tragédie américaine chez d'autres (perte de l'innocence, absence de communication, crise identitaire) devient chez elle sujet d'une comédie légère à la manière de David Lodge ou Malcolm Bradbury.

Lussu (Emilio)

Écrivain et homme politique italien (Armungia, Cagliari, 1890 – Rome 1975).

Sa vie et son œuvre furent marquées par une activité politique intense. Antifasciste, fondateur du mouvement « Giustizia e libertà », il fut résistant et s'engagea ensuite dans la reconstruction politique de l'Italie. Sa participation à la Première Guerre mondiale lui dicta un superbe roman Homme contre, 1938.

Lustig (Arnošt)

Écrivain tchèque (Prague 1926).

Auteur de romans inspirés par son expérience des camps de concentration entre 1942 et 1945 (la Nuit et l'Espoir, 1957 ; les Diamants de la nuit, 1958 ; Nuits et Jours, 1962 ; Dita Saxová, 1962 ; Tu n'humilieras personne, 1963), il vit aux États-Unis  depuis l'occupation de la Tchécoslovaquie en 1968 (Chéri, 1974 ; Enfants de l'Holocauste, 1977).

Luther (Martin)

Théologien allemand (Eisleben 1483 – id. 1546).

Après des études de philosophie et de droit, qu'il interrompt en 1505 pour entrer dans les ordres chez les Augustins d'Erfurt, il se consacre entièrement à la théologie : ordonné prêtre en 1507, il fait un voyage à Rome en 1510-1511 et devient, en 1512, docteur en théologie et professeur à l'université de Wittenberg. C'est là qu'il publie le 31 octobre 1517 ses 95 « thèses » sur les indulgences, où s'affirme déjà sa volonté de réformer l'Église en combattant les abus et les empiétements de Rome et par un retour à la pureté de la foi. Au cours des années suivantes, Luther précise sa pensée et accentue ses attaques contre l'Église, au cours de débats avec des théologiens et surtout par une série d'écrits pour lesquels il utilise de plus en plus souvent la langue allemande (À la noblesse chrétienne de la nation allemande, De la liberté du chrétien, 1520). Luther s'y adresse à tous les chrétiens de langue allemande et pas seulement aux clercs. Le message qu'il leur apporte s'articule autour de deux idées-forces : le salut par la foi seule et le sacerdoce universel des baptisés. La rupture avec Rome est consommée en 1521 : excommunié, Luther est mis au ban de l'Empire par la diète de Worms. Mais le mouvement ne peut plus être arrêté : cristallisant toutes les aspirations de l'époque, non seulement religieuses mais aussi nationales, politiques, sociales et économiques, il a le soutien de nombreux princes et municipalités, de la petite noblesse et du peuple. Dans le domaine religieux, il complète par la suite sa doctrine, institue les formes du nouveau culte et lui donne son texte de référence : la nouvelle traduction de la Bible (1522-1534). En même temps, il est obligé de répondre aux attaques de ses ennemis, de prendre ses distances à l'égard des humanistes (De servo arbitrio, 1525) et de combattre les excès et les déviations de ses prétendus partisans (iconoclastes, « enthousiastes »). Il condamne sans appel les soulèvements paysans de 1525 par un texte d'une rare violence, véritable appel au massacre (Contre les bandes pillardes et meurtrières des paysans). Luther se trouve ainsi amené à redéfinir les rapports entre le spirituel et le temporel et à préciser les nouveaux droits et devoirs de l'autorité civile (De l'autorité temporelle, 1523). Marié depuis 1525, établi à Wittenberg, il exerce vers la fin de sa vie un véritable magistère spirituel dans une grande partie de l'Allemagne.

   Luther ne se voulait ni écrivain ni grammairien ; il a pourtant, dans l'histoire de la littérature et de la langue allemande, une place de premier plan, non seulement à cause des bouleversements que les idées de la Réforme ont apportés dans la vie intellectuelle et religieuse allemande, mais aussi par sa propre œuvre littéraire, abondante et variée, puisqu'on y trouve des poésies, des chants d'église sur des mélodies profanes et des fables imitées d'Ésope. Son rôle a été particulièrement important pour l'évolution de la langue : s'il n'est pas vraiment le « père de l'allemand moderne » comme on l'a volontiers affirmé, il n'en a pas moins fait progresser la « langue allemande commune » en train de se constituer à cette époque grâce aux chancelleries et aux progrès de l'imprimerie. Le souci d'être compris du plus grand nombre, la rage de convaincre et de convertir ont guidé Luther non seulement dans le choix du matériau linguistique, mais aussi dans son style : imagé, direct, populaire, violent dans l'invective, il était loin de la pédante lourdeur de l'allemand des humanistes. La traduction de la Bible par Luther, à laquelle il a consacré de nombreuses années et qu'il a corrigée jusqu'à la fin de ses jours, est le premier grand texte littéraire en allemand moderne et deviendra, par l'autorité et la diffusion qu'elle connaîtra, partie intégrante de la tradition littéraire de tous les Allemands.