Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
E

Elskamp (Max)

Écrivain belge de langue française (Anvers 1862 – id. 1931).

Il créa de toutes pièces un univers poétique, l'« enfantin missel » de la passion selon sa vie rêvée : humilité de cœur, simplicité franciscaine, balbutiements de la grâce caractérisent Dominical (1892) et En symbole vers l'apostolat (1895). Curieux du folklore et de la chanson populaire, il accentue son côté naïf (Six Chansons de pauvre homme pour célébrer la semaine de Flandre, 1895) et, en 1898, rassemble son œuvre sous le titre la Louange de la vie (Paris, Mercure de France), obtenant quelque célébrité dans les milieux symbolistes parisiens. Il s'adonne à la taille sur bois, retrouvant les gestes des tailleurs d'images, tirant et coloriant lui-même ses planches. Ses poèmes tendent de plus en plus à l'expression directe de l'image (Enluminures, 1898). Il fonde en 1907 à Anvers le Conservatoire de la tradition populaire. La lecture de Schopenhauer lui fait découvrir le bouddhisme, qui lui apporte une éphémère sérénité. Après un silence de près de vingt ans, il fait alors paraître une série de recueils dont l'écriture semble encore décantée par l'ascèse : c'est d'abord, et surtout, la Chanson de la rue Saint-Paul, 1922. L'ouvrage, destiné au seul cercle restreint des relations personnelles de l'auteur, évoque l'Anvers de son enfance  et les visages disparus des siens. La simplicité de ce chant du souvenir est le résultat d'un long mûrissement humain et poétique, où la nostalgie apparaît allégée du poids de la souffrance.

Elsschot (Alfons de Ridder, dit Willem)

Écrivain belge d'expression néerlandaise (Anvers 1882 – id. 1960).

Poète (Poésies de jadis, 1934), il s'est voulu dans ses romans le peintre ironique des mesquineries sociales et psychologiques (Villa des roses, 1913 ; Une déception, 1921 ; Fromage, 1933 ; la Pension, 1937) évoquant les illusions de l'idéal et du quotidien dans une vie qui n'a guère plus de consistance qu'un Feu follet (1946).

Elster (Kristian) , dit le Jeune

Écrivain norvégien (Trondheim 1881 – Oslo 1947).

Fils de Kristian Elster, il fut un critique littéraire et dramatique influent et publia une Histoire illustrée de la littérature norvégienne (1923-1924). Conteur plein d'humour, il fait des rapports entre l'individu et son milieu social (la Vie et la Création littéraire, 1925 ; Vie et Contemplation de la vie, 1927) le motif majeur de ses romans (De la race des ombres, 1919 ; la Belle Jeunesse, 1923 ; le Paysan Veirskjaeg, 1930).

Elster (Kristian Mandrup)

Écrivain norvégien (Øysvoll 1841 – Trondheim 1881).

Ses récits, qui ont pour cadre sa province natale, le Vestland (Gens dangereux, 1881), opposent, dans une perspective inspirée de Kierkegaard, des héros naïfs et rêveurs, issus de la tradition paysanne, à des hommes d'action engagés dans le monde moderne (Solskyer, 1877 ; Un oiseau étranger, 1886). Ses meilleures nouvelles ont été réunies, après sa mort, par Alexander Kielland sous le titre Nuages de soleil (1881).

Eluard (Paul Eugène Grindel, dit Paul)

Poète français (Saint-Denis 1895 – Charenton 1952).

« Tout jeune, j'ai ouvert les bras à la pureté. Ce ne fut qu'un battement d'ailes au ciel de mon éternité, qu'un battement de cœur » : Eluard apparaît aussi bien comme un surréaliste, lié aux débuts de la principale aventure poétique du siècle, que comme le continuateur d'un très ancien mouvement de langue, la lyrique amoureuse. Comme Aragon, il est un poète amoureux, quasi un troubadour ; avec Breton, il met l'accent sur le sentiment. Sa recherche en poésie n'a jamais délaissé le « visage » de l'autre au profit des « figures » de rhétorique. Eluard ne fuit pas le réel, il y fonde les conditions d'un bonheur amoureux. Le surréalisme lui permet de creuser cette thématique sensible. Comme le dit le titre de 1929, l'Amour la poésie, le poème est par essence parole d'amour.

   À la différence de la majorité des membres du mouvement, Eluard, comme Péret, vient d'un milieu populaire. Fragile de santé, il rencontre Gala, sa première muse, au sanatorium en 1913. L'année suivante, il choisit un pseudonyme. Appartenant à la classe 1915, il prend la guerre en plein visage. Il en est le témoin horrifié. Les années d'après-guerre lui font rencontrer Aragon, Breton, Soupault. Le socle du surréalisme s'est formé autour de la revue Littérature, à l'époque d'inspiration dadaïste. Dada est longtemps le grand repère. Deux tendances se font jour : écrire pour tous dans un langage accessible, écrire pour soi dans une langue plus recherchée, et comme allégée. Plus que Breton, Ernst sera l'ami du couple Eluard et les premières écritures à quatre mains auront lieu avec lui. Les Malheurs des immortels (1922) établissent de secrètes correspondances entre des dessins d'Ernst et de courtes proses d'Eluard. À vingt collages de l'un répondent vingt poèmes en prose de l'autre. Comme Breton, Eluard, qui a une face noire, pessimiste, est tenté par le spectre du renoncement : Rimbaud efface son visage en Afrique, le Monsieur Teste de Valéry renonce. Un « à quoi bon ? » intérieur innerve les poèmes. Un recueil, présenté comme le dernier et dédié à Breton, signale la voie du désespoir par son titre : Mourir de ne pas mourir, publié en 1924. Cette année est aussi la grande année du surréalisme, celle de tous les espoirs, des orées et des naissances, Eluard s'éclipse pour un tour du monde. Alors débute sa grande période, celle où il produit le meilleur de lui-même, dans deux directions : l'écriture expérimentale, la diction personnelle du sentiment.

   Très jeune, Eluard est à la tête d'une publication, Proverbe. Le proverbe est pour lui « un langage charmant, véritable, de commun échange entre tous », qui lui inspirera un recueil, coécrit avec Péret : 152 proverbes mis au goût du jour (1926). Il travaille à une anthologie de poèmes français qu'il ne publiera qu'en 1951. Il multiple les recherches. Sa participation au groupe est constante. Un cliché de 1928 le représente avec Breton comme deux frères. Dix ans après les Champs magnétiques, qui avaient fait battre son cœur, Breton et lui co-écrivent l'Immaculée Conception (1928) puis, flanqués de Char, Ralentir travaux (1930). Eluard s'associe aux surréalistes dans la beauté et l'amitié d'un projet en commun. Avant qu'il rejoigne le communisme, il existe une période féconde où le sentiment amoureux est au cœur de son cœur. Il vit pour l'écrire, comme l'établit cet extrait du poème l'Amoureuse : « Elle est debout sur mes paupières / Et ses cheveux sont dans les miens / Elle a la forme de mes mains / Elle a la couleur de mes yeux / Elle s'engloutit dans mon ombre / Comme une pierre sur le ciel. »

   Mourir de ne pas mourir (1924) ; Capitale de la douleur (1926), l'Amour la poésie (noter l'absence de virgule, 1929) : grands livres dont les titres marquent un équilibre qui se découpe sur le pessimisme. La poésie est une célébration de l'objet aimé, associé au plus pur, à la merveille de la vie personnelle, intime : « je t'aime comme un garçon / ne peut aimer que son enfance ». La rapidité, la liberté, la fantaisie chantante, allègre du premier style marqué par Dada, à mesure qu'elles se centrent sur la femme aimée, gagnent en transparence, la qualité poétique éluardienne. Comme on le dit d'une pierre précieuse, ces vers ont une « eau », un reflet bien à eux : l'amour a trouvé son langage. La rhétorique est contournée pour revenir à un vœu de simplicité, d'immédiateté, garantes d'une poésie ouverte aux autres. Les sentiments les plus purs sont dits par les mots les plus simples, et parfois par un énoncé elliptique dont l'évidence, même illogique, s'impose par sa lumière : « la courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur ». Amour de l'amour, transparence, pureté et lumière féminines : les constantes d'un univers propre sont mises en place. Dans un vocabulaire d'une sobriété racinienne, classique, l'écriture de l'amour traduit plus une continuité qu'un flash du discontinu. Une euphonie légère, un souci du travail des sonorités marquent l'appel du style. La transparence d'Eluard est plus celle du sentiment que celle du flux de la vie psychique. Il abandonne l'automatisme pur à Breton. Sa prose est elle aussi travaillée par ce même mouvement d'ascèse limpide. Et si Gala le quitte pour Dali, Nusch, rencontrée en 1930, prend sa place. Son cycle propre, marqué par la croyance ésotérique de la femme porteuse d'unité, débute. Au-delà de telle ou telle inspiratrice, la croyance dans la permanence de l'amour est dite.

   Dès 1926, Eluard adhère au P.C.F. En 1933, alors que la vie politique européenne s'embrase, il se dirige vers le communisme, tandis que Breton est conquis par Trotski. En 1936, les Yeux fertiles disent l'amitié naissante avec Picasso. En 1939, avant la déclaration de guerre, c'est la rupture avec Breton. Poésie et vérité (1942), reprise du titre de Goethe, accueille son hymne le plus connu : Liberté. Il collabore à l'Honneur des poètes (1943) et devient l'une des grandes figures du poète résistant. Au rendez-vous allemand (1944) rassemble les poèmes écrits durant la guerre. Son écriture, notamment dans le cadre de la Résistance, s'ouvrira davantage aux thèmes sociaux et universels, sans renoncer pour autant aux exigences formelles. À l'équipe surréaliste il préférera la solidarité avec le genre humain. Poésie ininterrompue (1946) est aussi le lieu d'une autocritique. Eluard voyage en Europe. Nusch meurt et, pour reprendre le titre du recueil de 1947, « le temps déborde ». Il s'agit aussi de résister à la maladie. L'existence se poursuit jusqu'au troisième cycle, celui de Dominique, rencontrée en 1949. À la mort d'Eluard, sa vie, de longtemps, s'est séparée du surréalisme. L'image que l'on a de lui (amoureux transi, militant accompli) ne saurait masquer ses avancées sur le langage vu comme expérimentation continuelle, ni la force créatrice de son désir et son anticonformisme (Critique de la poésie à la fin de la Vie immédiate, 1932). Sa simplicité est de recherche, elle est le résultat d'une étude de la langue plus qu'un point de départ. Là où Aragon, Breton excellent dans les mots rares, exotiques, Eluard s'en tient plus humblement à l'élémentaire de la langue. Par là, il se défie des vains vertiges de la modernité au profit de son seul souci : dire le cœur de l'homme.