Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
G

Gibbon (Edward)

Historien anglais (Putney 1737 – Londres 1794).

Seul survivant de sept enfants, passé au catholicisme (1759), il se reconvertira sous la pression de son père à l'anglicanisme. Rapidement devenue un classique de la prose anglaise, son Histoire du déclin et de la chute de l'Empire romain (1776-1788) marque la naissance de l'histoire moderne et de la philosophie des civilisations ; les chapitres sur la naissance du christianisme firent scandale.

Gibson (William)

Écrivain américain (Myrtle Beach, Caroline du Sud, 1948).

Figure de proue avec Bruce Sterling du mouvement Cyberpunk, il s'attache à dépeindre un avenir proche envahi par les technologies de l'information dans un style sombre, proche du roman noir, qui permet la description critique d'une société duale et mondialisée. Après son premier roman, Neuromancien (1984), qui a accumulé les récompenses, ont suivi Compte zéro (1986), Mona Lisa s'éclate (1990), puis Idoru (1998) et Tomorrow's Parties (2001), où il aborde le thème de la vie par procuration dans des réalités virtuelles. Ses nouvelles sont rassemblées dans Gravé sur chrome (1987) et dans l'anthologie Mozart en verres miroirs (1986) de Bruce Sterling, avec lequel il signe la Machine à différences (1996). Ce dernier titre s'inscrit dans le courant Steampunk, variante proche de l'uchronie du Cyberpunk.

Gide (André)

Écrivain français (Paris 1869 – id. 1951).

Issu de deux familles fort différentes dont il s'est plu à souligner les oppositions qu'il retrouvait en lui (« Je suis un être de dialogue ; tout en moi combat et se contredit »), Gide est le fils unique de Paul Gide, professeur à la faculté de droit de Paris, et de Juliette Rondeaux, riche héritière d'industriels rouennais. Enfant émotif, sujet à des crises nerveuses (à demi simulées), il reçoit une éducation irrégulière, dans diverses institutions ou aux mains de précepteurs. Parmi les événements marquants de son enfance et de son adolescence : la mort de son père alors qu'il a à peine 11 ans, et qui le livre désormais à un entourage presque exclusivement féminin ; à 14 ans, il découvre fortuitement l'infidélité de sa tante Mathilde Rondeaux et le chagrin de sa cousine Madeleine, dont il s'éprend d'un amour mystique.

Du symbolisme à l'ironie

Quand il publie son premier livre, les Cahiers d'André Walter (1890), c'est d'abord une déclaration d'amour, un « roman théorème » démontrant ce qui arrivera si Madeleine persiste dans son refus de l'épouser (le jeune écrivain André Walter, après avoir renoncé à sa cousine Emmanuelle, devient fou et meurt d'une fièvre cérébrale). Somme de sa jeunesse, les Cahiers sont aussi une somme littéraire, une réflexion sur le roman. Gide fait alors son entrée dans les salons et cénacles parisiens, s'affirme symboliste : le Traité du Narcisse (1891), les Poésies d'André Walter (1892), la Tentative amoureuse (1893), le Voyage d'Urien (1893) le consacrent comme un des jeunes maîtres de l'heure, pour un public encore fort restreint (tous ses livres, jusqu'à la Porte étroite, seront publiés à compte d'auteur).

   1893 : Gide s'embarque pour un long voyage en Tunisie, en Algérie et en Italie. Parti avec un mauvais rhume qui s'est transformé en primo-infection, il lutte contre la maladie, découvre le goût de vivre, la joie des sens, le culte de la lumière, du soleil et du désert, le plaisir homosexuel. À son retour en France, il rompt avec l'austérité puritaine de sa jeunesse et avec la littérature du moment. 1895 : il rentre d'un second voyage africain (où il a retrouvé Wilde), sa mère meurt, il épouse Madeleine (leur mariage restera blanc) et publie Paludes, satire du climat étouffant des milieux symbolistes. Deux ans plus tard, les Nourritures terrestres sont l'évangile lyrique de la libération, de la joie, du plein épanouissement de l'individu délivré de toutes les entraves de la tradition esthétique et morale. Mais, dans sa liberté même, sans cesse remise en question et reconquise, Gide est un esprit critique : le drame de Saül (1899) et le récit de l'Immoraliste (1902) montrent les limites et finalement l'échec tragique de la doctrine des Nourritures. Livre ironique encore que la Porte étroite (1909), qui dénonce « les dangers d'une certaine forme de mysticisme très précisément protestant ». Ce livre est le premier qui touche un large public. La même année, Gide fonde avec quelques amis la Nouvelle Revue française, qui allait devenir la plus importante revue littéraire française du siècle.

   À la veille de la Première Guerre mondiale, Gide publie une « sotie », les Caves du Vatican, dont le héros Lafcadio, avec son « acte gratuit », fascinera quelques années plus tard les surréalistes, et qui sont l'occasion de sa rupture avec Claudel, avec lequel il entretenait depuis quinze ans un dialogue qui l'avait conduit, en 1905, au bord de la conversion au catholicisme. Gide traversera d'ailleurs, en 1916, une nouvelle crise religieuse (dont témoigne Numquid et tu ?), qui se dénoue dans le bonheur de sa liaison avec le jeune Marc Allégret. En 1918 pourtant, il éprouvera la plus grande douleur, sans doute, de sa vie : pendant qu'il était en Angleterre avec Marc, Madeleine a brûlé toutes les lettres qu'il lui avait adressées depuis leur adolescence. De ce désastre la Symphonie pastorale donne une image prémonitoire.

Novations et engagements

Au cours des années 1920 paraissent les ouvrages majeurs de Gide, qui font de lui le « contemporain capital » (selon le mot d'André Rouveyre) : Dostoïevsky (1923), où l'exploration des terrae incognitae de la psychologie lui permet, comme s'en effraie Henri Massis, de « remettre en cause la notion même de l'homme sur laquelle nous vivons » ; Corydon (1924), qui entend démontrer le caractère naturel de l'homosexualité ; les Faux-monnayeurs (1925), premier et dernier « roman » de Gide, qui, après Paludes et avec le Journal des Faux-monnayeurs (1926), renouvelle profondément le genre et constitue une étape essentielle de la modernité romanesque européenne ; Si le grain ne meurt (1926), dont la franchise sans complaisance fait scandale. En 1925-1926, Gide accomplit un long voyage en Afrique noire ; à son retour, il publie Voyage au Congo, le Retour du Tchad et divers articles qui dénoncent les exactions des grandes compagnies concessionnaires et les abus du système colonial.

   Quelques années plus tard – il a entre-temps publié les deux premiers volets d'une trilogie romanesque, l'École des femmes (1929) et Robert (1930), qu'achèvera Geneviève (1936), et Œdipe (1931), drame du héros qui refuse « un bonheur fait d'erreur et d'ignorance » –, Gide s'engage plus nettement encore sur le terrain sociopolitique. Dans des « pages de Journal » publiées à partir de 1932, il témoigne de son admiration et de sa sympathie pour la construction du socialisme en Union soviétique, et de son adhésion au communisme (mais il ne sera jamais membre du parti). Les Nouvelles Nourritures (1935) ne marquent pas une rupture avec celles de 1897, mais une ouverture, un élargissement : pour s'épanouir et être heureux, l'individu a besoin du bonheur de tous. Invité officiel du gouvernement de Moscou, Gide fait, l'été 1936, un voyage triomphal en Russie soviétique. Mais il en rapporte une amère désillusion et Retour de l'U.R.S.S. (1937), suivi des Retouches à mon Retour de l'U.R.S.S., est une rupture avec le stalinisme. Après avoir été attaqué et insulté à droite, il l'est à gauche. En 1938, Madeleine meurt. L'année suivante, Gide adopte légalement Catherine, l'enfant qu'il a eue en 1923 avec Élisabeth Van Rysselberghe, fille de ses vieux amis, le peintre Théo et Maria – celle-ci sera son témoin le plus fidèle (avec Roger Martin du Gard) et laissera des « Notes pour l'histoire authentique d'André Gide » (1918-1951) publiées sous le titre des Cahiers de la Petite Dame (1973-1977).

Consécrations

En 1939, Gide est le premier écrivain vivant à entrer dans la « Bibliothèque de la Pléiade », avec son Journal 1889-1939, monument complété par deux volumes couvrant les années 1939-1942 et 1942-1949, dont l'ensemble figure la quête indéfinie de soi, mais aussi un témoignage sur toute une époque, vue par un homme à l'inlassable curiosité pour ce qui l'entoure, fût-ce souvent à contre-courant.

   Gide, au début de la guerre de 1914, avait été assez cocardier (son ardeur à voir préservées les valeurs auxquelles il tenait l'avait même fait se rapprocher de l'Action française). En 1940, il donne d'abord raison à Pétain, mais bien vite l'esprit de résistance le reprend : il rompt avec la N.R.F., que Drieu La Rochelle engage dans la collaboration. En 1942, Gide quitte le midi de la France pour l'Afrique du Nord. Paris, où il rentre en mai 1945, en est alors à l'existentialisme et à la littérature engagée : il y reconnaît certes ses idées-forces, mais le temps de la vieillesse est arrivé, celui de faire ses comptes. D'Alger il a rapporté son testament, Thésée, dont le héros, comparant son destin à celui d'Œdipe (qui, lui, se fait gloire de ses yeux crevés, qui ne lui laissent plus voir que la lumière surnaturelle, celle de Dieu), se dit content : il est resté enfant de cette terre, lucide et attentif aux hommes ; il a fait son œuvre.

   Pour le vieil écrivain, pour l'immoraliste qui n'a cessé de lutter contre les idées reçues et l'ordre établi, c'est maintenant la gloire officielle, voire l'embaumement : en 1947, après un doctorat honoris causa de l'université d'Oxford, il se voit décerner le prix Nobel de littérature ; en décembre 1950, la générale des Caves du Vatican, à la Comédie-Française, a lieu en présence du président de la République. Le 1er juin 1952, malgré une inhumation religieuse qui provoqua la réprobation, l'Osservatore romano publie un décret du Saint-Office insérant « Andreae Gide opera omnia » dans l'Index librorum prohibitorum.

   Dans l'année qui suivit sa mort, deux inédits de Gide furent publiés : Et nunc manet in Te, souvenirs et réflexions sur l'histoire de sa vie conjugale, et Ainsi soit-il ou Les jeux sont faits, sorte de libre appendice au Journal qu'il avait cessé de tenir en juin 1949. Au fil des années se révèle l'immense domaine de la Correspondance, dont Gide n'avait lui-même laissé paraître, de son vivant, que les lettres échangées par lui avec Jammes (1948), Claudel (1949) et Du Bos (1950). D'importants ensembles bilatéraux ont depuis été publiés – la dernière en date est la correspondance avec Jacques Rivière (1998).