Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
C

Chandler (Raymond Thornton)

Écrivain américain (Chicago 1888 – La Jolla, Californie, 1959).

Il commença sa carrière à la revue Black Mask. Écrivain exigeant, il a réfléchi, notamment dans ses Lettres (publiées en 1981) sur les règles du genre, en particulier sur l'écart entre le roman à énigme et le roman noir. À travers son privé, Philip Marlowe, il peint la jungle californienne des années 1930, où la distinction du bien et du mal s'abolit dans les pulsions voraces et sanglantes de patriarches tyranniques ou de jeunes femmes déchaînées, et où l'individu est condamné à maintenir, seul contre tous, quelques valeurs essentielles (le Grand Sommeil, 1939 ; Adieu ma jolie, 1940 ; la Dame du lac, 1943).

Chanfara (al-)

Poète arabe antéislamique (IVe s.).

C'est le type même du su'luk, poète brigand de l'Arabie prémusulmane. Son œuvre nous est parvenue à l'état de vestiges, à l'exception d'une qasida (la lamiyya, c'est-à-dire rimant en « lam »), fort célèbre, à juste titre, mais dont l'authenticité fait problème.

changga (« long poème » ou « chanson longue »)

Genre poétique coréen, dominant sous la dynastie de Koryo (918-1392). Il s'agit de poèmes de longueur variable (10 à 50 vers) dont chaque vers se compose, en général, de 3 groupes de 3 syllabes. Les poèmes de style kyonggi sont une variante du changga.

Chanson de la croisade contre les albigeois (la)

Poème occitan du XIIIe siècle en 9 000 vers et deux parties de style et d'inspiration différents.

La première, due à un clerc, Guilhem de Tudela, relate les événements de 1209 à 1213 en se rangeant aux côtés des croisés et de Simon de Montfort. L'auteur anonyme de la seconde partie (inachevée, le récit s'arrêtant en 1218), qui fut un témoin oculaire, met au service de la cause cathare et du comte de Toulouse Raimond VI un grand talent poétique allié à une réelle compétence historique.

Chanson de Roland (la)

Datée de la fin du XIe siècle et d'auteur inconnu (même si un nom, Turoldus, apparaît au dernier vers), cette chanson de geste de 4 002 décasyllabes assonancés, dans laquelle on a vu le chef-d'œuvre de l'art de geste, est aux fondements du genre épique médiéval et d'une thématique neuve : les luttes de Charlemagne et de ses guerriers contre les « sarrasins » d'Espagne ; luttes qui ont pu à la fin du XIe siècle entrer en résonance avec le mouvement de croisade en Terre sainte et en Espagne. La rédaction la plus ancienne de la Chanson (celle que reflète le plus fidèlement le manuscrit d'Oxford, XIIe s.) est en effet contemporaine de la première croisade. La composition en est rigoureuse. La première partie relate la trahison de Ganelon, les combats livrés par Roland et ses amis dans le défilé de Roncevaux, la mort héroïque et sainte de Roland, précédée de celles d'Olivier et de l'archevêque Turpin. La seconde partie est consacrée à la victoire de Charlemagne sur l'émir Baligant, au châtiment de Ganelon, à l'annonce des luttes à venir. La laisse, suite de vers (ici des décasyllabes) en nombre variable, unis par l'assonance, est l'unité de base du récit. Les laisses sont parfois isolées mais le plus souvent liées entre elles (par la reprise avec variation du vers final de laisse au début de la suivante). La technique des laisses parallèles (les joutes des différents guerriers) ou des laisses similaires (la mort de Roland) est un moyen de suspendre l'action et de dilater l'espace-temps. S'élabore ainsi un mode de narration oscillant entre récit linéaire et haltes lyriques ou dramatiques. Quant au décasyllabe, articulé en deux hémistiches, il accentue l'effet de rythme incantatoire qui caractérise le Roland. Se forge simultanément un répertoire de motifs narratifs (combats, ambassades, scènes de conseil, etc.) et de motifs stylistiques, fondés sur la variation de formules stéréotypées, les « clichés épiques » qui deviendront aussitôt les constituants spécifiques de l'écriture de geste et dont l'origine remonte aux techniques d'improvisation orale des jongleurs. Un autre problème posé par le Roland concerne les modalités et les étapes de la transmission du matériau épique. Comment est-on passé de l'événement historique (la défaite imposée par les Basques ou les Gascons le 15 août 778 à l'armée de Charlemagne à Roncevaux) à l'affrontement mythique entre la chrétienté et l'Islam que célèbre la Chanson ? Parmi les hypothèses proposées, aucune ne s'est vraiment imposée. Mais l'esprit de croisade qui se propage à la fin du XIe siècle a dû jouer un rôle prépondérant dans la réactivation des expéditions de Charlemagne en Espagne, l'auteur se montrant également sensible aux problèmes nouveaux posés par le système des relations vassaliques. Roland se définit avant tout comme le vassal, « l'homme » de son roi, Charlemagne, et de son Dieu. En substituant à la défaite de Roncevaux la passion d'un saint laïc, l'auteur du Roland, sans doute un clerc, interroge surtout l'auditoire qu'il convoque sur l'héroïsme, la démesure (la sagesse d'Olivier contre la folie de Roland) du guerrier face à sa fonction, à son destin, du vassal face à son roi, se vouant à un Dieu qui accepte et justifie son choix héroïque. À l'idéologie de la guerre juste, qui anime sans nuances la Chanson et ses personnages, on préférera sans doute la force vibrante de ces interrogations, des conflits, des passions qui animent aussi bien Ganelon, Charlemagne, la belle Aude que le couple Olivier-Roland.

Chanth (Levon Seghbosian, dit Levon)

Auteur dramatique arménien (Istanbul 1868 – Beyrouth 1951).

Outre des récits réalistes (les Âmes assoifées, 1946), on lui doit des drames psychologiques (l'Égoïste), symbolistes (les Dieux antiques) et historiques (l'Empereur, l'Enchaîné).

chants royaux

Avec ce qu'il est convenu d'appeler les « chants royaux », la langue amharique (archaïque) fait son entrée dans la littérature éthiopienne. Ce sont des textes qu'on peut dater des XIVe, XVe et XVIe s. À l'époque, il n'y a, en Éthiopie, de poésie que chantée : on ne déclame pas. D'où le nom donné à ces textes par les premiers qui les ont étudiés. Ces chansons épiques composées probablement par des professionnels attachés à la cour royale et faites pour être chantées avec accompagnement d'un instrument à cordes appartiennent pour la plupart au genre de la louange, tel qu'il subsiste encore en mainte cour africaine. L'une d'elles est peut-être un thrène, un « chant de mort ». Les traits d'esprit y sont présents. Les souverains dont elles gardent la mémoire glorieuse sont Amda Seyon (1314-1344), Dâwit (1382-1413), Ishaq (1414-1429), Amda Iyasus (septembre 1433-juin 1434), Zar'a Yâ' eqob (1434-1468), Ba-eda Mâryâm (1468-1478), Lebna Dengel (1508-1540) et Galâwdêwos (1541-1559).

   Les vers sont courts (six ou huit syllabes ; une pièce est en alexandrins) et assonancés (parfois rimés) sur une finale unique pour toute la pièce. Certaines compositions peuvent être très longues, avec refrain. Souvent, on peut distinguer des disques, dont le second vers contient une « pointe », basée sur un jeu de mots. C'est là une caractéristique de la poésie éthiopienne traditionnelle, à laquelle s'applique parfaitement ce qu'écrivait Roger Caillois de toute poésie : « La première ligne est une attente que la seconde vient combler. » Ces chansons ne marquent pas la naissance d'un genre : elles en sont seulement les plus anciens témoins. Faites pour être colportées de bouche en bouche, elles ont dû trouver un amateur, comme il en existe encore aujourd'hui, qui les a notées pour sa collection, et nous sommes redevables au dadjâzmâtch Hâylu qui nous les a conservées en les faisant inclure dans le recueil de chroniques royales qu'il a constitué à Mâhdara Mâryâm et dont la copie s'est achevée un vendredi du mois de septembre 1785 de notre ère.