Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
N

no (suite)

Les lieux scéniques

Le no était à l'origine un spectacle de plein air. De nos jours, les lieux scéniques sont intégralement reconstitués, toits compris, à l'intérieur d'une salle. Jeu et pas des acteurs sont strictement réglés sur leur distribution. Le bâtiment de gauche abrite les coulisses (gakuya). Une antichambre, ménagée à la partie avant du gakuya, communique directement avec la passerelle par l'ouverture devant laquelle pend un rideau, qui se soulève en arrière à l'aide de perches de bambou. C'est la « pièce du miroir » (kagami no ma). Costumé dans le gakuya, le shite se rend nu-tête dans cette antichambre ; il y est coiffé et masqué devant le grand miroir qui lui donne son nom. Avant d'entrer en scène, l'acteur se met en condition, en contemplant son personnage dans le miroir ; quand il se sent prêt, il commande le rideau et s'avance sur la passerelle. La passerelle (hashigakari) relie en oblique le gakuya au coin arrière gauche de l'estrade ; c'est un pont de bois de six à sept mètres de long, s'élevant à environ un mètre du sol et couvert d'un petit toit qui sert d'abat-son. Face au public, trois jeunes pins sont fixés à la rambarde et permettent aux acteurs de se repérer. Sur le hashigakari se déroule une partie importante de l'action : les entrées et les sorties du shite, l'intervention du kyogen. À l'exception du chœur, acteurs et instrumentistes empruntent la passerelle pour accéder à l'estrade. L'estrade (butai), dont trois côtés sont ouverts sur la salle, abrite, sous son toit abat-son, l'aire de jeu et de danse et les dépendances réservées au chœur et aux instrumentistes. Un plancher de bois de cyprès soigneusement poli constitue l'aire de jeu et de danse. C'est un carré de cinq à six mètres de côté, au niveau de la passerelle. À chaque angle s'élève un pilier supportant le toit. Plancher, piliers et toit délimitent un volume cubique dont chaque élément sert de point de repère. Bordant le côté arrière de l'aire, une étroite arrière-scène (atoza) est fermée, sur toute sa longueur, par une cloison dite « cloison-miroir » et, sur le côté droit, par la « cloison-miroir de côté » (waki kagami ita). Ces cloisons renvoient le son, d'où leur nom de miroir, et supportent les seuls éléments de décor permanent : sur la « cloison-miroir » est représenté un vieux pin ; sur la « cloison-miroir de côté » , dans laquelle est ménagée une petite porte qu'empruntent les choristes passant du gakuya sur l'estrade (kirido guchi), sont peintes quelques cannes de bambou. Accédant par la passerelle, les instrumentistes s'installent sur l'atoza ; vus de la salle, la flûte à l'extrême droite, le petit tambour à main à sa gauche, le grand tambour à main à l'extrême gauche et, légèrement en retrait, le tambour à baguettes. Entrés par le kirido guchi, les choristes viennent s'accroupir sur une plate-forme en surplomb qui borde le côté droit de l'aire, vue de la salle. L'ensemble passerelle-estrade est bordé, au niveau du sol, d'une plate-bande de cailloux blancs (shirasu), qui n'a plus qu'un rôle décoratif mais a pu servir de réflecteur dans un théâtre en plein air.

Les pièces

Si les no à shite divin ou démoniaque ne sont, en général, que de simples arguments servant de prétexte à la grande danse finale, les no à shite humain constituent des pièces de théâtre qui, en l'absence d'intrigue, se déroulent dans le temps, conformément au principe fondamental de l'esthétique japonaise, jo-ha-kyu : l'introduction qui suscite l'émotion, le développement qui la fait progresser en trois phases, le final qui la porte à son comble et conclut rapidement. Les pièces à structure double comportent deux parties inégales. La première se déroule dans le présent et le réel : pour permettre la rencontre avec le waki, le shite s'y manifeste sous une fausse apparence humaine, maeshite (le « shite d'avant »). Beaucoup plus courte, la deuxième partie se déroule dans le passé et dans le rêve : le shite se présente au waki endormi sous l'aspect qu'il avait au moment de sa mort, nochishite (le « shite d'après »). Les pièces à progression linéaire dans le temps ne comportent qu'une seule partie, sans interlude, puisque le shite reste toujours en scène, et progressent en cinq dan (parties) dans le cadre jo-ha-kyu. Une « journée de no » est un spectacle complet dont les cinq pièces entrecoupées de farces (kyogen) font passer le spectateur par un cycle d'émotions savamment graduées dans le cadre jo-ha-kyu. La première pièce à shite divin consacre la rupture avec le réel et constitue le jo de la journée. Les trois pièces suivantes en sont le ha : la deuxième fait apprécier l'élégance virile du guerrier, la troisième, la fragilité, la grâce et la violence passionnelle féminines, la quatrième, l'angoisse des tourments de ce monde. Spectaculaire et enlevée, la cinquième, le kyu de la journée, exalte la puissance terrifiante des forces démoniaques. Les farces procurent une détente entre chaque no.

Le répertoire

241 pièces sont inscrites au répertoire, classées, chacune, dans l'une des cinq catégories et adaptées à une saison. On compte 39 pièces à divinités, 16 à guerriers, 38 à femmes, 95 à shite du monde réel et 53 à démons ; 77 pièces de printemps, 30 d'été, 77 d'automne et 12 d'hiver ; 45 pièces hors saison peuvent être représentées à n'importe quel moment de l'année.

Décors et accessoires

Les rares éléments de décor sont d'une extrême simplicité : quelques perches de bambou enveloppées de tissu seront une caverne ou un palais. Une branche d'arbre ou un bouquet de fleurs suffisent à suggérer la saison et le thème émotionnel de la pièce. Le shite peut brandir un sabre ou une hallebarde : son seul véritable accessoire reste l'éventail qui lui permet de suggérer n'importe quel objet.

Masques et costumes

Les masques de no sont de splendides objets d'art sculptés dans le cyprès, recouvert d'un enduit de poudre de coquillages maintenu par une légère couche de laque. Les masques démoniaques présentent des mufles monstrueux, des cornes et des crocs, mais tous les autres masques reproduisent des visages humains aux divers moments de la vie. Les traits sont légèrement soulignés à la peinture ; barbe, moustaches et cils en crin de cheval peuvent y être implantés. Reflet de la personnalité du personnage, le masque est fixé par-dessus la perruque dont il cache le devant, de façon à être vu dans sa totalité, sans le moindre souci de réalisme. Les personnages non masqués conservent des traits impassibles : le no ignore le maquillage et la mimique des traits. Taillés dans des tissus somptueux aux couleurs codifiées, les costumes dissimulent les lignes du corps et enferment les personnages dans des volumes insolites privilégiant le buste. À part quelques personnages féminins simplement vêtus d'un kimono dont la partie supérieure s'évase en une sorte de décolleté, les acteurs portent, en général, plusieurs vêtements dont le dernier élément est une sorte de chasuble à larges manches, mizugoromo ou kariginu. La partie inférieure du corps est enfermée dans le vaste hakama, pantalon-jupe empesé, présentant de singuliers plis cassés. Bonnets, chapeaux et couronnes peuvent compléter la tenue.

Expression orale

On distingue trois types d'expression orale : la déclamation (kotoba), le récitatif chanté (sashi), le chant (utai). Le chant, sans hauteur fixe ni gamme déterminée, s'ordonne autour de trois notes principales : aigu, médium, grave, et de quelques notes intermédiaires. L'émission de voix provoquée par la contraction du ventre et l'intériorisation des voyelles caractérisent la diction et le chant. Le chant est rythmé par les percussions et les kakegoe, mais la voix ne suit jamais la mélodie de la flûte.

Expression corporelle

La mimique et la danse constituent l'élément essentiel de l'expressivité du no. Tous les pas sont glissés sur le plancher poli, la plante du pied restant toujours en contact avec le sol, ce qui suppose une attitude cassée, aux genoux et à la taille, le buste étant légèrement porté en avant afin de maintenir l'équilibre. Certains pas frappés sur place, avec plus ou moins de vigueur, soulignent l'intensité de l'émotion. La mimique extrêmement stylisée est souvent réduite à l'esquisse symbolique du geste. Ainsi, la main levée à plat à hauteur des yeux suggère les larmes. Tantôt la danse suit le texte chanté par le chœur, tantôt elle consiste à prendre une suite de poses, ponctuées par l'éventail ouvert ou fermé. Le lent tournoiement du mai, antique danse extatique, traduit l'emprise de la passion et de la folie. Cependant le no n'ignore pas les danses vigoureuses et rythmées inspirées de la technique des arts martiaux. L'art du no consiste à dépasser la perfection de la réalisation d'une gestuelle convenue afin de suggérer ou de traduire visuellement l'évolution d'une crise intérieure ou l'intensité d'un état d'âme.