Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
C

Crane (Stephen)

Journaliste et écrivain américain (Newark 1871 – Badenweiler 1900).

De son expérience de journaliste (il fut correspondant de guerre pendant les conflits gréco-turc et hispano-américain en 1897-1898), il tire une règle de composition narrative : une histoire, transcrite sans détour, porte un poids émotionnel qui exclut tout commentaire. Avec Maggie, fille des rues (1892), il inaugure le naturalisme américain ; avec la Conquête du courage (1895), il met la description impressionniste au service du réalisme et du déterminisme dans l'évocation d'un soldat anonyme pris dans une guerre (la guerre de Sécession) qu'il ne comprend pas. Sa méthode documentaire est fondatrice. Ses nouvelles (la Barge, 1898) influenceront Sherwood Anderson et Hemingway. Sa poésie (les Cavaliers noirs et autres écrits, 1895 ; La guerre est bien bonne, 1899) reprend le thème de l'absurdité et de la fatalité de toute vie.

Crashaw (Richard)

Poète anglais (Londres 1612 – Loreto, Italie, 1649).

Fils de pasteur puritain, converti au catholicisme, il fait paraître, en 1646, ses Steps to the Temple. Mystique sensualiste influencé par le baroque italien, il célèbre les paradoxes de la foi incarnée en sainte Thérèse (le Cœur enflammé). Les Délices des Muses, publiées après sa mort, en 1652, contiennent le célèbre et virtuose Duel musical (dialogue du Luth et du Rossignol), exaltation de l'intensité du silence.

Craveirinha (José)

Écrivain mozambicain d'expression portugaise (Lourenço Marques, auj. Maputo, 1922 – ? 2003).

Journaliste engagé et écrivain, il renoue dans ses recueils avec le fonds culturel africain (Chigubo, 1964 ; Karingana ua Karingana, 1974).

creacionismo

Mouvement littéraire introduit, vers 1915-1920, en Espagne par le Chilien Vicente Huidobro (Horizon carré, 1917). Le creacionismo permit à la poésie espagnole de renouveler son vocabulaire, de s'enrichir d'images et de métaphores luxuriantes. Proche du surréalisme et de l'ultraïsme, il fut pratiqué principalement par Gerardo Diego (Image, 1922) et Juan Larrea, et exerça une influence durable sur la poésie espagnole.

Creanga (Ion)

Écrivain roumain (Humulesti, près de Targu Neamtz, 1839 – Iassi 1899).

Membre du cénacle cercle Junimea, prosateur au talent raffiné sous les apparences d'une simplicité paysanne, il est, dans la littérature roumaine, le représentant le plus typique de l'humour et de la sagesse populaires. Ses Contes, qui témoignent, à travers des personnages et situations fantastiques, d'un réalisme jovial et succulent, lui ont valu des rapprochements avec Rabelais, Pulci, Flaubert ou Anatole France. Ses Souvenirs d'enfance (1881-1888), véritable monographie à la fois épique et lyrique du village moldave, dégagent une atmosphère d'une grande authenticité.

Crébillon (Prosper Jolyot de Crais-Billon, dit)

Auteur dramatique français (Dijon 1674 – Paris 1762).

Ses principales tragédies (Idoménée, 1705 ; Atrée et Thyeste, 1707 ; Électre, 1708 ; Rhadamiste et Zénobie, 1711 ; Pyrrhus, 1726) lui valurent d'entrer à l'Académie en 1731 et d'être nommé censeur royal en 1733. Bohème aimable, membre de la Société du Caveau, il donna encore quelques pièces dont la meilleure est Catilina (1748). Crébillon enferme ses personnages dans la sphère des relations familiales. Le monstre, ce n'est pas la femme criminelle, mais le père ogre (Atrée et Thyeste), manifestation d'un « excès » tel qu'il installe le non-sens au cœur de la tragédie.

Crébillon fils (Claude Jolyot de Crais-Billon, dit)

Écrivain français (Paris 1707 – id. 1777).

Il était le fils du poète tragique du même nom. Crébillon fils fut un époux aimant : il avait rencontré une noble Anglaise en 1744, en eut un fils en 1746, l'épousa en 1748, la perdit en 1756 et ne s'en consola pas. Après avoir écrit quelques vers et quelques chansons, il publia le Sylphe (1730), les Lettres de la marquise de M*** au comte de R*** (1732), Tanzaï et Néadarné ou l'Écumoire (1734) qui allie féerie et critique politique et religieuse, les Égarements du cœur et de l'esprit (1736), le Sopha (1742), les Heureux Orphelins (1754), la Nuit et le Moment (1755), le Hasard au coin du feu (1763), les Lettres de la duchesse de *** au duc de*** (1768), les Lettres athéniennes, extraites du portefeuille d'Alcibiade (1771). Après avoir été lui-même parfois victime de la censure, il obtint en 1759, comme son père, une charge de censeur royal, grâce à la protection de Mme de Pompadour.

   Les Égarements du cœur et de l'esprit, roman inachevé, sont le récit à la première personne d'une éducation sentimentale. Le récit parcourt tous les chemins qui mènent des maladresses stratégiques d'un jeune homme à l'émergence de la conscience et du sentiment amoureux, du désir à qui tout objet est bon, à la passion qui n'en élit qu'un. Les autres personnages jouent en contrepoint avec la voix de Meilcour, le narrateur : Versac, le libertin roué ; Hortense, la jeune fille passionnément aimée, qui découvre son cœur en même temps que Meilcour ; Madame de Lursay, fausse prude expérimentée, qui s'éprend du jeune homme dont elle voulait faire l'éducation et qui découvre les tourments et les délices de la pédagogie du libertinage.

   Le Sopha est un conte moral. Le narrateur, Amanzei, se trouve par les miracles de la réincarnation métamorphosé en sopha. Et si son âme erre de sopha en sopha, c'est pour raconter les divers exploits amoureux dont il est le théâtre. À travers les mésaventures d'un accessoire essentiel du libertinage, l'auteur propose ainsi une vision pessimiste de l'amour en même temps qu'une satire audacieuse de la majesté royale et des mœurs des coquettes et des petits-maîtres du temps.

   Les plus beaux textes de Crébillon fils sont aujourd'hui sortis de l'oubli où les avait jetés une critique plus moralisante que littéraire et font de leur auteur l'un des romanciers les plus attachants du XVIIIe siècle. Ses personnages mettent toute leur intelligence au service du désir qui en devient étincelant. Ils se déplacent dans une société d'oisifs dont la grande et vraiment la seule affaire est la recherche du plaisir. Certes, l'intelligence désirante cantonne certains dans une défense narcissique : nobles cruels et séducteurs, coquettes et vaniteux pris dans de sèches stratégies qui les rapprochent d'autres personnages de Duclos et de Laclos. Leur projet de séduction tout entier réside dans une demande de reconnaissance ; ce qui ne va pas sans pathétique, quand on n'a plus d'occasions de prouver sa valeur (les hommes) ou qu'on est menacé par l'âge (les femmes) L'œuvre de Crébillon est partagée entre une dénonciation critique de la mondanité et son exaltation, entre une réduction cynique de l'amour au désir physique et une nostalgie du sentiment et de la bonté.