Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Guillaumin (Émile)

Écrivain français (Ygrande, Allier, 1873 – id. 1951).

Autodidacte, l'un des premiers syndicalistes paysans, il a toujours vécu à Ygrande, dans l'Allier, restituant avec justesse la réalité du monde rural. Révélé par la Vie d'un simple (1904), il publie ensuite Près du sol (1906), la Peine des chaumières (1909), Baptiste et sa femme (1911) et À tous vents sur la glèbe (1931). Écrite avec probité et simplicité, son œuvre diffère des récits et romans paysans des XIXe et XXe siècles : ni « roman lyrique » dans la lignée de la Terre de Zola, ni « conte bleu » s'opposant aux prétendues folies ou anémies urbaines, elle témoigne simplement de la réalité profonde d'un peuple qui était alors, essentiellement, un peuple paysan.

Guillén (Jorge)

Poète espagnol (Valladolid 1893 – Málaga 1984).

Son œuvre lyrique peut se comparer à celle de Valéry – dont il traduira le Cimetière marin –, mais elle se situe aussi dans la tradition de Góngora. Il est longtemps resté le poète d'un seul livre (Cantique, 1928), enrichi au fil des ans (1936, 1945, 1950). Ce recueil poétique, qui privilégie les formes classiques (« romances », sonnets, dizains), est un hymne aux choses, parfois infimes, qui nous entourent et que Guillén transfigure en les restituant dans leur présence absolue. Dans sa trilogie Clameur (Mare magnum, 1957 ; Qui vont aboutir à la mer, 1960 ; À la hauteur des circonstances, 1963) et dans Hommage (1949-1967), Guirlande civile (1970), Final (1981), son œuvre prend une dimension sociale et politique, sans renier ni sa pureté ni son raffinement. Langage et poésie (1962) rassemble les conférences qu'il a faites à Harvard sur des écrivains espagnols.

Guillén (Nicolás)

Poète cubain (Camagüey 1902 – La Havane 1989).

Son œuvre se caractérise par une inspiration à la fois nationale et universelle, et par un engagement politique décidé. Journaliste et avocat, il combattit en Espagne aux côtés des républicains, devint membre du parti communiste et exerça, dans la Cuba castriste, les fonctions de directeur des Archives folkloriques nationales. Ses poèmes transposent sur le plan esthétique et spirituel les mélanges raciaux et culturels de son île, et constituent un plaidoyer pour la dignité de l'homme, sans discrimination de race ni de milieu. Ils s'inscrivent par là dans la tradition folklorique américaine, en privilégiant ici l'élément noir de sa population. Son itinéraire poétique témoigne de ses préoccupations. D'abord afro-cubaine (Motifs de son, 1930), son œuvre chante l'essence de l'île tout entière (Sóngoro Cosongo, 1931), puis les Antilles spoliées par l'impérialisme (West Indies Ltd, 1934), pour traiter ensuite de thèmes universels, avec Chants pour les soldats et sons pour les touristes (1937), Espagne, poème en quatre angoisses et une espérance (1937), évocation de sa participation à la guerre civile, et dont une des « angoisses » est consacrée à Federico García Lorca, le Son tout entier (1947), Élégies antillaises (1948-1958), ou Avec ce cœur je vis (1972). Ses vers empruntent souvent aux rythmes noirs, ce qui confère à leur lyrisme intense une musicalité sans égale qui n'a pas peu contribué à la popularité de leur auteur (la Colombe au vol populaire, 1958 ; le Grand Zoo, 1967 ; le Chant de Cuba, 1974). Dans Prose à la hâte, Guillén regroupe ses chroniques littéraires et politiques et ses impressions de voyage écrites entre 1938 et 1961. Il a aussi laissé des études littéraires (Soleil du dimanche, 1982) et des Mémoires (En tournant la page, 1982).

Guilleragues (Gabriel Joseph de Lavergne, comte de)

Diplomate et écrivain français (Bordeaux 1628 – Istanbul 1685).

Tôt célèbre pour ses chansons, un moment secrétaire du prince de Conti, il fut secrétaire privé de Louis XIV, directeur de la Gazette (1675), puis ambassadeur en Turquie. Familier du salon de Mme de La Sablière, il publia des madrigaux et des épigrammes (Valentins, 1669), mais il est surtout reconnu aujourd'hui comme l'auteur des Lettres portugaises (1669). Il s'agit d'une suite de 5 lettres écrites par une religieuse portugaise, séduite et abandonnée dans son couvent par un chevalier français. Tournant au soliloque, les lettres renferment le discours amoureux d'une femme dévorée par une passion, qui la conduit au bord de la folie, et qui fait d'elle une proche parente de Phèdre ou de Bérénice. L'intensité de la plainte est renforcée par la brièveté du récit, permettant cependant un examen minutieux des sentiments qui tourmentent cette belle âme délaissée.

Guillet (Pernette du)

Poétesse française (Lyon v. 1520 – id. 1545).

De famille noble, elle bénéficia d'une riche éducation. Elle se lia avec Maurice Scève en 1536. Mariée, elle demeura la grande inspiratrice du poète. Sa mort prématurée explique la minceur, en quantité, de son œuvre. Composées de 60 épigrammes, 10 chansons, 5 élégies et 2 épîtres, les Rymes (1re éd. 1545) se situent au confluent des traditions courtoise, marotique, alexandrine, pétrarquiste, platonisante, et donnent à entendre la voix personnelle et touchante de celle qui, dans Délie, garde la froideur d'un être idéalisé.

Guillevic (Eugène)

Poète français (Carnac 1907 – Paris 1997).

Né en Bretagne, ayant vécu en Alsace, il monte à Paris en 1935 et devient fonctionnaire des Finances. Arland et Follain sont ses amis. C'est, en 1942, l'année du Parti pris des choses de Ponge, autre exemple de la poésie objective rêvée par Rimbaud, l'une des références du jeune Guillevic, qu'est publié son recueil phare Terraqué (dont le premier poème s'appelle Choses), plaçant un accent angoissé sur l'élémentaire (l'eau, la terre) et sur la minéralité d'une Bretagne à laquelle reviendront vingt ans plus tard les vers de Carnac (1963) : « À Carnac, le linge qui sèche / Sur les ajoncs et sur les cordes // Retient le plus joyeux / Du soleil et du vent. // Appel peut-être à la musique. » Le poème a affaire au monde, il est avec lui, avec ce monde obscur, souvent brutal, abrupt, refusant la saisie, celle du concept tout autant : « Mais c'est bon pour les rocs / D'être seuls et fermés / Sur leur travail de nuit. »

   Pendant la guerre, Guillevic adhère au P.C., qu'il quittera en 1980, entre dans la Résistance, participe à l'Honneur des poètes en 1943, dialogue avec Aragon. L'idéal communiste de partage et de solidarité le retient. Les titres courts, percutants s'égrènent : Exécutoire (1947, qui accueille ce poème apocalyptique qu'est Charniers), Gagner (1949), Sphère (1963), Avec (1966). Ils établissent la cohérence d'une vision du monde, mais aussi, à l'exception peut-être moins convaincante de Trente et un sonnets (1954), une unité formelle, celle d'une parole courte, chargée d'énergie, lapidaire. Cette écriture qu'on dira ramassée est à la fois efficace et belle : « Je t'écris d'un pays où il fait noir / Et ce n'est pas la nuit » (Sphère). Loin des effets, la poésie, fille d'Antée plus que d'Icare, travail minimaliste sur la nudité, est tendue vers le dépouillement. Elle est une énergie, une mise en tension, où la mort n'est jamais abstraite. Inclus (1973), Du domaine (1977), Étier (1979) précisent une démarche. Le monde change de sens : d'un obstacle désespérant il se fait coprésence avec lequel le dialogue, sans doute, est possible. La hantise de l'exclusion (le monde se refermerait sur lui-même, pour nous exclure) se retourne en possibilité d'accueil. Le poème, écrit Guillevic, fait chanter le silence. Ce silence se matérialise par de grands blancs de la page. Avec une confiance semble-t-il de plus en plus grande, la poésie questionne l'ici et maintenant, fonde les conditions de l'être. Il s'agit, c'est le titre d'un recueil d'entretiens paru en 1980, de vivre en poésie. Domine également l'idée que la poésie est une avancée (d'où ce verbe programme : gagner), un résultat : « Les mots / C'est pour savoir. » S'il n'est pas moralisateur, Guillevic, à la tête d'un langage très personnel, est bien un moraliste. L'essentiel est son éthique. Ouvert sur l'avenir, le recueil ultime s'intitule en 1996 Possibles Futurs. Guillevic a publié de nombreuses plaquettes avec des peintres à tirage limité.