Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Roumanie (suite)

Perspectives contemporaines

Les années 1990, marquées par l'instauration d'une démocratie encore fragile, voient s'affirmer chez les écrivains la volonté de retrouver la liberté d'expression et de renouer leur contacts avec l'Occident. La flambée de la diversité culturelle a encouragé l'apparition de nombreuses maisons d'édition et de revues littéraires. Dans le contexte d'une relative crise de la littérature d'imagination, l'activité éditoriale porte surtout sur les livres de témoignage (journaux autobiographiques, littérature carcérale, correspondences, essais politiques) et sur la diffusion des ouvrages autochtones ou étrangers interdits avant 1989.

Roumanille (Joseph)

Écrivain français d'expression provençale (Saint-Rémy-de-Provence 1818 – Avignon 1891).

Établi libraire à Avignon, connu dès son premier recueil de vers (les Pâquerettes, 1847), il s'efforça de mettre en contact les écrivains de son temps s'exprimant en provençal et publia une anthologie de leurs œuvres (les Provençales, 1851). Il fut l'un des fondateurs du félibrige et participa avec Mistral à la création de l'Armana prouvençau. Il s'efforça d'épurer la graphie de sa langue, se faisant l'éditeur attentif de nombreux auteurs félibréens. Il fut après Mistral, jusqu'à sa mort, le second capoulié du félibrige. Il a publié les Œuvrettes en vers (1859) et les Œuvrettes en prose (1859), études de mœurs et pamphlets politico-religieux, et surtout les Contes provençaux et les bavardages (1884), considérés comme la partie la plus savoureuse et la plus populaire de son œuvre.

Rouquette (Adrien)

Écrivain louisianais de langue française (La Nouvelle-Orléans 1813 – id. 1887)

et son frère Dominique (Bayou Lacombe 1810 – La Nouvelle-Orléans 1890) ont débuté presque simultanément, Dominique par les Meschacébéennes (1839) et Adrien par les Savanes (1841), où ils tentaient de réaliser une poésie française d'inspiration américaine. Dominique a encore donné des Fleurs d'Amérique (1857). Adrien, devenu prêtre et prédicateur écouté, a caressé l'utopie d'une vie d'ermite dans les forêts du Nouveau Monde (la Thébaïde en Amérique, 1852 ; l'Antoniade ou la Solitude avec Dieu, 1860), puis, missionnaire parmi les Indiens Chactas (en anglais Choctaws) qui lui ont décerné le nom de Chahta-Ima (« L'un de nous »), il a signé de ce nom son roman tardif la Nouvelle Atala (1879).

Rouquette (Max)

Écrivain français de langue d'oc (Argelliers 1908-? 2005).

Médecin ayant rejoint l'occitanisme lors de ses études à la faculté de Montpellier, où il participa à la création du Nouveau Languedoc et du journal Occitania, il composa une oeuvre poétique originale en prise directe avec son pays et ses hommes : les Songes du matin (1937), les Songes de la nuit (1942), la Pitié du matin (1963), etc. À partir de 1962, il donne des récits en prose qui formeront les 5 tomes de Paradis vert, se tournera vers le théâtre (le Pater aux ânes, 1985 ; Medelha, 1989), vers la nouvelle et les contes. Il sera joué à Paris et bon nombre de ses ouvrages seront traduits en français. Ayant longtemps collaboré à la revue Oc M.  Rouquette est l'est un des fondateurs, en 1945, de l'Institut d'études occitanes.

Rouquette (Yves)

Écrivain français d'expression française et occitane (Sète 1936).

Après une enfance aveyronnaise, il devient professeur de lettres et exerça longtemps à Béziers. Son itinéraire poétique, avec l'Écrivain public (1958), le Mal de la terre (1960), l'Ode à Saint Afrodise (1968), Messe des porcs (1970), devait le conduire d'un « mal vivre » nourri d'une expérience chrétienne à la révolte et au cri. En prose, il s'enracine davantage dans le terroir de ses origines : la Patience (1962), Le poète est une vache (1967), Made in France (1970), le Travail des mains (1977), mêlant tendresse et truculence du langage. Homme d'action, fondateur de la revue Viure (1965-1973) et du Comité occitan d'études et d'action, secrétaire général de l'Institut d'études occitanes, il fut un des principaux animateurs du mouvement « Volèm viure al païs ». Auteur de plusieurs ouvrages en français, il est à l'origine de la maison de disques Ventadorn (1969), qui a lancé la nouvelle chanson occitane, et du Centre international de documentation occitane (1974) stationné à Béziers et devenu aujourd'hui le Centre interrégional de développement de l'occitan.

Rousseau (Jean-Baptiste)

Écrivain français (Paris 1671 – Bruxelles 1741).

À côté de traductions et d'épigrammes, il donna à l'opéra Jason ou la Toison d'or (1696) et Vénus et Adonis (1697), et au Théâtre-Français le Café (1694) et le Flatteur (1696). Candidat à l'Académie française, il s'embourba dans un scandale : des couplets injurieux contre La Faye et une accusation diffamatoire envers Saurin entraînèrent un procès qu'il finit par perdre. Exilé en Suisse, il reprit ses œuvres et les fit éditer. Des protecteurs lui obtinrent des lettres de rappel dont il ne sut pas profiter et qui ne furent pas renouvelées quand il les sollicita à la fin de sa vie. Ses Cantates et ses Odes, inspirées de la mythologie (cantate de Circé) ou de la Bible (ode Sur l'aveuglement des hommes du siècle) s'inscrivent dans la tradition de Boileau et du lyrisme classique : elles usent d'allégories et d'un vocabulaire noble, mais gardent la trace du drame personnel du poète.

Rousseau (Jean-Jacques)

Écrivain et philosophe français (Genève 1712 – Ermenonville 1778).

Au Panthéon républicain, nulle ombre ne s'est vu accorder de place plus centrale que celle de Rousseau ; aucune pensée ne fut plus détestée que la sienne par les adversaires de la République. Le « Citoyen », inventeur de la liberté, est rendu responsable de la Terreur, voire du totalitarisme. Celui qui chercha à être sincère, jusqu'à la provocation, qui voulut enfin être soi-même, élargissant sans relâche la sphère du sujet, est victime de la calomnie, de la suspicion et de la légende qu'il a contribué à construire. Mais si la réception de l'œuvre et sa fortune sont organisées par ces paradoxes, c'est qu'ils sont l'image des contradictions et des conflits douloureux qui épuisèrent l'homme (« Rien n'est si dissemblable à moi que moi-même »).

Constitution d'une pensée

Les Confessions montrent un Rousseau coupable par sa naissance de la mort de sa mère et précocement condamné au savoir par d'innombrables et désordonnées lectures : « En peu de temps j'acquis par cette dangereuse méthode, non seulement une extrême facilité à lire et à m'entendre, mais une intelligence unique à mon âge sur les passions... Ces émotions confuses que j'éprouvais coup sur coup n'altéraient point la raison que je n'avais pas encore : mais elles m'en formèrent une d'une autre trempe, et me donnèrent de la vie humaine des notions bizarres et romanesques, dont l'expérience et la réflexion n'ont jamais bien pu me guérir. » La vie de Rousseau, très largement au moins, est placée dès lors sous le signe d'une fiction romanesque jugée profondément nocive. En apprentissage chez un maître graveur, première figure de tyran, il s'enfuit en 1728 et commence une vie errante qu'il mènera, malgré quelques arrêts prolongés, souvent par nécessité, parfois par goût, peut-être par folie, jusqu'à la mort. Il arrive à Annecy, où il est pris en charge par Mme de Warens qui, mère adoptive incestueuse autant que volage, lui fait découvrir les premiers tourments de l'amour et de la jalousie : l'idylle édénique des Charmettes se termine par un nouvel exil et l'approfondissement de sa réflexion constituera un moment déterminant sur les conditions du bonheur dans une société fondamentalement corruptrice (qu'on songe à l'épisode quasi contemporain du presque viol à l'hospice du Saint-Esprit de Turin). Converti au catholicisme, Rousseau ne cesse de voyager entre 1729 et 1739 : on sait qu'il fera de la marche une condition essentielle de son inspiration et donnera au genre de la « promenade » ses lettres de noblesse. Quelque temps fixé à Lyon où il exerce le métier de précepteur, il se rend à Paris en 1742 avec un projet de notation chiffrée de la musique qui est distingué par l'Académie des sciences. Il s'affirme comme spécialiste dans le domaine en rédigeant des articles sur la musique pour l'Encyclopédie en 1749 et en faisant représenter en 1752 un opéra intitulé le  Devin du village devant le roi Louis XV, œuvre qui devait connaître un grand succès et où il se montre très proche de Pergolèse (ses positions dans la « querelle des Bouffons » en témoignent) et de l'opéra-comique. Mais entre-temps sa carrière toute tracée de musicien est bouleversée par son entrée en philosophie. Alors que, en octobre 1749, il va rendre visite à Diderot, emprisonné alors au château de Vincennes, les Confessions le montrent découvrant sur le chemin, dans le Mercure, la question proposée pour le prix de l'académie de Dijon : « Si le progrès des sciences et des arts a contribué à corrompre ou à épurer les mœurs ? » La formulation de ce problème constitue une sorte d'illumination, dans une mise en scène qui doit beaucoup à la conversion de saint Paul et le condamne autant à une forme de grâce qu'au martyre : « À l'instant de cette lecture, je vis un autre univers et je devins un autre homme... Tout le reste de ma vie et de mes malheurs fut l'effet inévitable de cet instant d'égarement. » Il rédige immédiatement la prosopopée de Fabricius, et le Discours sur les sciences et les arts (Premier Discours) est couronné par l'académie de Dijon en 1750. L'ouvrage, où est fustigée une décadence des mœurs en partie due au mauvais usage des sciences et des arts, obtient, dans sa défense d'une vertu rustique et grâce à d'indéniables qualités expressives, un grand succès. Une nouvelle question des académiciens de Dijon offre cinq ans plus tard au philosophe l'occasion d'un Discours sur les fondements et origines de l'inégalité parmi les hommes, qui prolonge la réflexion du premier et constitue un moment déterminant tant dans la mise en place de la réflexion philosophique de Rousseau que dans l'évolution de la pensée des Lumières. On y voit apparaître la figure de « l'homme naturel », condamné par la souffrance du besoin au travail puis à la propriété et dès lors à l'aliénation. Refusant de reconnaître l'homme dans les hommes, de confondre la nature de l'homme social avec la nature de l'homme « nu », Rousseau inaugure la démarche de l'anthropologie. Dans une vaste remontée à l'origine (dont il ne méconnaît pas, quoi qu'on ait dit, la nature purement hypothétique de concept régulateur), il démêle tout ce qui en a éloigné l'homme : l'apparition de la propriété, du langage, des arts et de la société civile. Bien avant Hegel, comme l'a justement remarqué Engels, Rousseau a découvert la dialectique : le dogme du progrès, si important dans la pensée des Lumières, est saisi dans son procès contradictoire : progrès des civilisations et décadence morale, perfectionnement de l'individu et dégradation de l'espèce. Rousseau tente de dégager de son masque social le visage de l'homme et de lui rendre ce que J. Starobinski nommera sa « transparence » perdue.