fantastique (littérature) (suite)
Du romantisme au cauchemar
Au XXe siècle, le fantastique s'illustre dans la production déferlante d'auteurs anglo-saxons comme S. King (Carrie, 1974 ; Misery, 1984 ; Sac d'os, 1998), dans la série le Livre de sang (1984) de C. Barker, les Contes de la fée verte (1994) de P. Z Brite, ou dans la novellisation de séries comme « Buffy et les vampires ». Un renouveau est sensible dans le domaine francophone, marqué par quelques anthologies comme « Territoires de l'inquiétude » (1990-1996) ou « Territoires de l'angoisse » (2001). Autre signe de la permanence du genre, le retour en librairie d'auteurs comme Jean Ray ou T. Owen, sans oublier les collections pour jeunes lecteurs.
La problématique de « l'impossible et pourtant là » inaugurée par le fantastique a évolué depuis l'époque des premières révolutions. Par opposition au fantastique romantique, qui s'appuie sur l'indétermination entre le rêve et la réalité (« la Morte amoureuse », 1836) en cultivant les effets d'indécidabilité, un fantastique horrifique du cauchemar (« l'Homme voilé », 1891, de M. Schwob), misant sur les effets de sidération se développe surtout depuis que le cinéma a été obligé d'inventer des techniques et des rhétoriques nouvelles pour mettre sous les yeux du spectateur un « impossible à voir ». Au-delà de cette opposition, le terme de « fantastique » s'applique, au XXe siècle, à des auteurs très différents, qu'il s'agisse du fantastique folklorique de C. Seignolle, de celui des épigones surréalistes comme A. P. de Mandiargues, des mythologies démentes de Lovecraft qui inaugure l'univers du mythe de Cthulhu, des recyclages, par un Stephen King, de mythes et de contes dans le contexte américain du quotidien, des contes d'horreur et d'amour de Poppy Z. Brite, sans oublier F. Kafka, D. Buzzati, ou encore les nouvelles hispano-américaines de J. L. Borges, de J. Cortazar et de Silvina Ocampo.
Ces textes permettent le retour dans notre univers mental, que l'on pensait aseptisé, des figures de l'altérité agressive comme le vampire, le zombie ou le diable, mais aussi des monstres humains de toute sorte (Misery, de S. King, 1987 ; le Silence des agneaux, de T. Harris, 1988), une prolifération de figures de la peur qui rencontre le sentiment d'inquiétude profonde mêlée de fascination du lecteur d'aujourd'hui. Le genre reste un moyen privilégié de subversion de la réalité et de la normalité sociale, en représentant le surgissement du « réel innommable » et en en explorant les implications psychiques.
Rhétorique du fantastique
Il induit de ce fait une rhétorique, qui peut se déployer selon deux axes. D'une part, celui de l'indétermination, qui implique un emploi de modalisations du type « il me semble », « peut-être », « comme si », ainsi que l'aspect subjectif de la narration et la solitude du témoin de l'événement (ainsi dans le Tour d'Écrou, où seule la narratrice se voit en présence des fantômes, échouant à en faire admettre l'existence à la femme de bonne volonté qui l'accompagne). D'autre part, celui de la sidération ou « monstration » (D. Mellier). « Sidération » devant la représentation hallucinée de la « revenante » Ligeia, dans le texte de Poe, du narrateur qui la voit se dresser comme un spectre ou une statue depuis la couche où meurt Rowena et semble n'en retrouver le souvenir que très longtemps après. « Monstration » de l'impossible à représenter, mais que le texte tente de dire, par exemple avec la monstruosité des deux frères que peint Lovecraft dans l'Abomination de Dunwich (1929) : l'un à demi animal, dont on révèlera le bas du corps irreprésentable lors de sa mort, l'autre, chose immonde et invisible qui déchire de ses dents les animaux comme des morceaux de pain, et qui hurle avec des mots impensables en appelant son dieu de père au somment d'une colline. Paradoxe : le texte fait comme s'il plaçait la scène fantastique sous les yeux du lecteur, alors que celui-ci ne peut se représenter ce qu'on fait mine de lui montrer.
Que ce soit par l'indétermination chère à Todorov, ou par la sidération et la monstration, la représentation est impossible. Certes, le texte installe d'emblée un décor relevant du vraisemblable, mais c'est pour que l'élément subversif puisse advenir et en perturber l'ordre présenté comme la norme. La subversion, pour produire ces effets de fantastique, doit s'attaquer aux fondements mêmes du vraisemblable de la réalité. Comme le soutient Caillois, « le fantastique suppose la solidité du monde réel, pour mieux la ravager ».
Les textes fantastiques tentent, dans le cadre d'une fiction, de figurer un indicible ou un impensable par le discours, impensable dont la présence latente trouble et inquiète, engendrant un sentiment de malaise, de peur ou d'horreur, mêlé d'un obscur plaisir, et qui est à rattacher au fait que, ce faisant, le texte rend présent, obscurément, la « proximité du réel » (C. Rosset).