Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Bretagne

De tout temps, la Bretagne a été plurilingue. On y a parlé latin avec le vieux celtique, le roman avec le vieux breton ; on y parle aujourd'hui français, breton et parfois gallo.

   Des premiers souffles de l'« awen » – ainsi appelle-t-on, en breton, l'inspiration poétique –, nous ne pouvons malheureusement avoir que des idées très vagues, pour l'excellente raison que la littérature était purement orale. Non que les Celtes ignorassent l'écriture, mais les druides interdisaient d'y recourir pour transmettre la connaissance. Tout l'enseignement métaphysique, mythologique, philosophique et scientifique était rassemblé en poèmes de plusieurs milliers de vers que les étudiants devaient conserver dans leur mémoire. En outre, la société celtique possédait des bardes, poètes sacrés dont le rôle était de célébrer les hauts faits de leur clan et du roi auquel ils étaient attachés, de chanter l'héroïsme des guerriers morts au combat et de soutenir le moral des armées en improvisant des poèmes qu'ils chantaient en s'accompagnant sur la harpe.

   Les œuvres de l'époque en langue bretonne ne nous ont pas été conservées. Il est pourtant à peu près certain que des poèmes et des récits traditionnels avaient été mis par écrit bien auparavant : dans les couvents, les moines consignaient sur le parchemin les florilèges nationaux. Ils l'ont fait en Irlande et au pays de Galles, ils l'ont certainement fait en Bretagne. Malheureusement, en Bretagne, les abbayes ont été ravagées par les Normands, et les rares manuscrits qui ont pu être sauvés ou reconstitués ont été détruits pendant les guerres de la Ligue ou sous la Révolution.

L'éclipse

Du XIIe au XIVe s., la langue bretonne a progressivement disparu de la zone intermédiaire où elle coexistait avec le français. Quelques textes en moyen breton, des XVe et XVIe s., ont été conservés : essentiellement des pièces de théâtre d'inspiration religieuse, mais aussi deux longs poèmes sur la destinée humaine : Melezour ar Marro (le Miroir de la mort, 1519) de Iehan an Archer Coz et Buhez Mabden (la Vie humaine, 1530). De la poésie lyrique, nous ne savons rien, ce qui ne signifie pas qu'il n'en ait pas existé. Marie de France ne disait-elle pas que « Bretagne est poésie ». Au XVe s., la Bretagne, rattachée à la France, n'a plus de vie intellectuelle propre, et il faut attendre la fin du règne de Louis XIV pour qu'elle sorte de sa léthargie. Avec la seconde moitié du XVIIe s. commence la période du breton moderne, marquée à l'origine par les travaux de grammairiens et le philologues, tel le P. Maunoir, soucieux d'en rationaliser l'orthographe pour en faciliter l'étude.

La renaissance

Mais la vraie renaissance bretonne date du romantisme. Elle est préparée par l'œuvre du grammairien Jean-François Le Gonidec, dont la Grammaire celto-bretonne paraît en 1807, suivie quatorze ans plus tard par son Dictionnaire de la langue celto-bretonne. La poésie de tradition orale n'avait cependant pas cessé d'exister. Au XIXe s., tout comme au Moyen Âge, il y a des bardes ambulants qui vont de ferme en ferme chanter à la veillée, contre le gîte et le couvert, des gwerzioù, c'est-à-dire des complaintes et chants épiques, et des sonioù, chansons d'amour et chansons humoristiques. Il y a dans ce florilège populaire du meilleur et du pire, des poèmes très anciens à côté de compositions nouvelles. Autres vestiges de la tradition orale, les contes mettent en scène des personnages comme l'Enchanteur Merlin, les fées Viviane et Morgane, le roi Arthur, le géant Gaor, le cruel roi Conomor (le Conchobar de la tradition irlandaise), la princesse débauchée Ahès ou Dahud, les nains malicieux qu'on appelle korrigans ou kornandons, et ce roi Marc que tout le monde connaît par le roman de Tristan et Iseult, mais qui, dans les légendes bretonnes, joue bien d'autres rôles.

   Le XXe s. est marqué par un second réveil de la littérature en langue bretonne. Deux revues y ont joué un rôle essentiel : Dihunamb (fondée en 1905) pour le dialecte vannetais et Gwalarn pour la langue unifiée de Cornouaille, Léon et Trégor. Avant la Seconde Guerre mondiale, trois noms dominent une littérature florissante : le poète Jean-Pierre Calloc'h, dit « Bleimor », le dramaturge Tanguy Malmanche et Jakez Riou, au talent multiple, dont le chef-d'œuvre est un recueil de nouvelles, Geotenn ar Werc'hez (l'Herbe à la Vierge). Ce brillant mouvement littéraire avait peu d'impact populaire. Mais, par réaction, la jeunesse instruite, consciente d'avoir été frustrée de son patrimoine, se met à la réapprendre. Le breton devient la langue des élites, et cette situation nouvelle favorise l'essor littéraire.

Breton (André)

Écrivain français (Tinchebray, Orne, 1896 – Paris 1966).

Fondateur du surréalisme, il maintient parfois avec intransigeance les principes d'origine du mouvement et une discipline collective, quitte pour cela à remettre en cause ses propres choix en matière d'hommes ou d'œuvres. La fidélité aux idées et aux émotions formées très tôt en lui, notamment une conception absolue de l'amour, n'exclut pas un sens de la quête permanente et le désir d'être toujours étonné. Il sera d'emblée attiré par la recherche de la modernité, mais vite insatisfait par les limites qu'il perçoit dans ce qu'on appellera les avant-gardes au début du siècle. Sensible à toutes les audaces esthétiques, il ne perd jamais de vue leurs implications morales, et la recherche de l'esprit « nouveau » ne le quittera pas. Il restera comme un remarquable rassembleur, et un éveilleur de conscience.

   Jeune étudiant en médecine, puis mobilisé, il se passionne pour la psychiatrie, et fait la rencontre déterminante de Jacques Vaché en 1916, à Nantes. Avec notamment Aragon et Soupault, il fonde la revue Littérature. Les aînés Francis Vielé-Griffin, Paul Valéry, Apollinaire et la lecture de Rimbaud influencent ses débuts poétiques. Rassemblés dans Clair de terre en 1923, ses premiers poèmes désarticulent la phrase, se résument en prose ou en vers libres, privilégiant le « stupéfiant image » découvert avec les Champs magnétiques, ensemble de textes automatiques écrits en commun avec Philippe Soupault (1920). En outre, de 1920 à 1922, il participe aux activités parisiennes du mouvement dada, auquel il adresse un bel adieu, souhaitant que la poésie conduise quelque part. Posant en 1924 les principes du surréalisme, Breton refuse l'idéalisme absolu aussi bien que la version stalinienne du matérialisme dialectique. La Révolution surréaliste sera l'organe du mouvement, puis le SASDLR, où il tente de concilier activités artistiques et adhésion au P.C. de 1927 à 1935. Les Vases communicants font la part belle aux conceptions matérialistes (révolte sociale) mais tout autant à l'importance du désir. La rencontre de Trotski au Mexique en 1937 lui permet enfin de concevoir un art révolutionnaire indépendant, modèle transposable au monde entier. Exilé aux États-Unis de 1941 à 1946, il publie avec ses amis la revue VVV, et s'interroge déjà en 1942 sur le sens de l'activité surréaliste.

   De retour en France avec Arcane 17, il donnera une nouvelle impulsion au surréalisme, s'appuyant sur des peintres comme Victor Brauner ou Jacques Hérold, s'efforcera de gérer un mouvement désormais international, et de rassembler plusieurs générations de surréalistes autour d'une revue (Néon, le Surréalisme même, la Brèche). Sur le plan individuel, si l'activité littéraire de Breton s'est centrée sur l'épreuve du réel et sur l'expérience de la toute-puissance du rêve, de la rencontre amoureuse et du hasard objectif, à travers la trilogie Nadja – les Vases communicants – l'Amour fou, quelques recueils témoignent de sa foi en l'universelle analogie, notamment les États généraux et l'Ode à Charles Fourier. « Transformer le monde, changer la vie, refaire de toutes pièces l'entendement humain » : ce programme résume les positions des deux Manifestes du surréalisme ; le premier, en 1924, s'opposant à l'empire de la raison, fondait le surréalisme sur la connaissance de l'imaginaire ; le second, en 1930, réoriente l'aventure surréaliste dans un sens ésotérique.

   L'apport du surréalisme dans l'élargissement du domaine pictural, et dans le reclassement des valeurs esthétiques (roman noir, Sade, Lautréamont, Rimbaud, romantiques allemands), doit beaucoup à Breton. De plus en plus, un pouvoir de réflexion singulier s'exprime dans la Clé des champs, ou Perspective cavalière, dans la lignée de ses premiers recueils d'articles. À travers ses engouements et ses expériences, Breton a su garder une étonnante faculté critique, et s'est imposé comme la conscience incommode du monde intellectuel.

Nadja (1928) est le premier d'une série de livres qui retracent des moments charnière de l'existence de l'auteur, ici la rencontre de Nadja en 1926, relatée à travers un journal qui inclut divers documents photographiques ou graphiques. Cet ouvrage met en évidence le rôle initiatique de la relation amoureuse et la faculté propre à certains êtres de provoquer les coïncidences du hasard objectif. Il tend à exacerber le conflit qui se développe entre l'être libre et doué d'allure poétique et une société normative jusqu'à l'enfermement psychiatrique.

L'amour fou, publié en 1937, est la confrontation significative des idées et de l'écriture de l'auteur au vécu, à travers un ouvrage inclassable situé entre l'analyse en situation des notions-clés du surréalisme comme la beauté convulsive, ou le hasard objectif qui préside à la rencontre des êtres ou des objets, et l'affirmation de la toute-puissance d'un amour entier et charnel, qui donne sens à la destinée humaine. Il correspond à un tournant dans la vie affective et morale de l'auteur, qui trouve ici une issue à un ensemble de conflits intérieurs.

Arcane 17, enté d'Ajours, paraît à New York en 1944. Ce livre mêle encore une fois le vécu immédiat de l'auteur, l'actualité historique et la continuité d'une réflexion qui s'arrête ici aux raisons d'espérer en l'avenir. L'étoile majeure est la femme, ressurgie dans son existence comme incarnation de Mélusine et de la femme-enfant, ceci au travers d'une méditation lyrique devant la merveille naturelle qu'est l'île Bonaventure, sur la côte de Gaspésie. Ce livre précède le retour de Breton en France et pose quelques jalons de sa future action au sein du groupe surréaliste.

Les manifestes. La préface aux textes automatiques de Poisson soluble deviendra le Manifeste du surréalisme (1924), acte officiel de naissance du surréalisme. Défendant les droits de l'imagination, il dénonce le réalisme et la logique cartésienne, et leur oppose le rêve et le merveilleux. Il y précise l'origine et la définition du surréalisme, lequel se présente comme une activité transversale qui trouve des points d'application dans tous les domaines, et ne connaît pas de limites temporelles, allant des œuvres du passé à la création la plus immédiate. Un certain nombre de techniques et de préférences esthétiques sont indiquées qui fournissent une orientation à la création surréaliste.

   Le Second Manifeste du surréalisme (1930) est une tentative de recentrage sur l'acquis du mouvement et une volonté de prévenir toute déviation en rejetant les compromissions mondaines ou politiques. Il reflète la situation de crise du groupe qui se retourne en partie contre Breton. Sur le plan théorique, Breton approfondit ses convictions issues d'une confrontation entre l'hégélianisme et le matérialisme historique, tandis qu'il refuse de négliger les questions du désir, de la folie ou de l'art à l'avantage des questions sociales. Le mouvement surréaliste se donne pour tâche de surmonter les antinomies et d'atteindre le « point suprême ». En 1942, les Prolégomènes à un troisième manifeste du surréalisme ou non constatent l'effondrement général des valeurs. Breton appelle une critique de tous les systèmes, y compris le marxisme et la psychanalyse, refusant toute explication univoque du réel.