Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Bible (suite)

Les manuscrits et traductions

Le plus important est le Codex de Leningrad de la famille karaïte de Moshé ben Asher. Il se trouve actuellement au British Museum. Il est le plus ancien manuscrit complet de la Bible massorétique datant de 1008. Il est à la base de la Biblia Hebraica Stuttgartensia (1978), avec un apparat critique plus complet tenant compte de l'apport des manuscrits de Qumrân découverts en 1947 et datant du IIe s. av. J.-C. Il existe bien le Codex d'Alep qui date de la première moitié du Xe s., et dont l'Université Hébraïque de Jérusalem prépare la publication ; mais, très endommagé en 1947, il lui manque le quart de ses folios dont presque toute la Torah.

   Les principales traductions sont les versions grecques, araméennes, syriaques et latines. La plus importante des versions grecques est celle des Septante. Elle doit son nom à la légende, conservée par la Lettre d'Aristée, qui l'attribue à soixante-dix traducteurs. Elle fut réalisée en Alexandrie, en Égypte, par des Juifs hellénophones vers 250 av. J.-C. Adoptée par la communauté chrétienne, elle perdit son autorité dans la Synagogue. C'est pourquoi, au IIe s., de nouvelles traductions furent entreprises à l'usage des Juifs parlant grec. Dès 130, Aquila rédige une traduction littérale. Vers 170, Symmaque fit une nouvelle traduction qu'il voulut lisible. Son texte n'est connu que par les citations des Pères. Enfin, avant la fin du IIe s., Théodotion, un prosélyte juif, fit une traduction qui est une révision de la Septante.

   Les versions araméennes, appellées Targumîm ou « traductions », sont nées de la traduction orale du texte hébreu dans le cadre de la Synagogue. La découverte de Targums à Qumrân (fragments de Lévitique, XVI et de Job, XVII-XLII) atteste de l'existence de textes écrits au IIe s. av. J.-C. On possède actuellement des Targums de toute la Bible que l'on classe habituellement ainsi : les Targums du Pentateuque, le Targum d'Onqelos ou Targum de Babylone, le Pseudo-Jonathan ou Yerushalmi I, un Targum fragmentaire ou Yerushalmi II, des Fragments de la Genizah du Caire, le Codex Neophiti I (découvert en 1949, à la bibliothèque Vaticane) ; le Targum des Prophètes, dit Targum de Jonathan ben Uzziel, et les Targums des Hagiographes.

   Des versions syriaques, la plus célèbre est la Peshitto (« la simple », c'est-à-dire le texte syriaque ordinaire). Destinée aux communautés chrétiennes, elle a été commencée au IIe s. Traduite directement de l'hébreu, elle a subi l'influence des traditions juives. Certaines de ses parties ont été révisées d'après le texte de la Septante.

   La Vulgate (du latin editio vulgata, « édition commune ») est l'œuvre de saint Jérôme qui l'entreprit vers 392 et l'acheva en 405. D'autres versions latines existaient avant saint Jérôme. Les manuscrits de ces traductions ne remontent guère au-delà du Ve s. L'ensemble a été recensé par les moines de l'abbaye de Beuron, éditeurs de la Vetus latina.

   La Bible n'a cependant jamais cessé d'être traduite, et, pour beaucoup d'aires culturelles, cette traduction a souvent exercé une influence déterminante sur l'évolution de la langue écrite. C'est ainsi le cas en Angleterre : des paraphrases de la Genèse de Caedmon (VIIe s.) au Nouveau Testament de Tyndale (1525) et à la Bible autorisée (King James Version,1611), et tout particulièrement en Allemagne : de la première transposition de l'évêque goth Wulfila (311-383), en passant par le Livre des Évangiles (860) d'Otfried von Weissenburg, la Bible imprimée de Johann Mentelin (1466), jusqu'à la Bible de Luther : d'abord le Nouveau Testament en 1522, puis la Bible complète en 1534. Écrite dans un style vigoureux et populaire qui parle au cœur ; constamment réimprimé, le texte de Luther n'a été révisé qu'à partir de 1842. En France, c'est Jacques Lefèvre d'Étaples qui, le premier, a donné une traduction intégrale de la Bible, faite à partir de la Vulgate (N.T. en 1532 ; A.T. en 1528-1530). La première version complète de la Bible en français, faite à partir de l'hébreu et du grec, fut celle de Pierre Robert Olivetant, parue en 1535. Refondue plusieurs fois, elle aboutit à la Bible dite « de Genève ».

Le Nouveau Testament

Le Nouveau Testament (kainè diathèkè) rassemble les textes fondateurs du christianisme, comme l'Ancien rassemble ceux du judaïsme : à l'ancienne « alliance » (diathèkè) de Dieu avec son peuple correspondant la nouvelle, dont le médiateur est Jésus-Christ ; dans la tradition chrétienne, donc, l'Ancien annonce et préfigure le Nouveau, tandis que le Nouveau, loin d'abolir l'Ancien, le continue et l'accomplit.

   C'est un processus de « canonisation » (kanôn : la règle) étalé sur près de deux siècles qui a réuni sous un même titre 27 textes différents : les quatre évangiles, qui en forment le noyau (ils relatent l'enseignement et la vie de Jésus – évangile signifiant en grec la « bonne nouvelle ») ; un témoignage individuel sur les débuts de l'évangélisation (les Actes des Apôtres de Luc) ; un recueil de lettres pastorales et doctrinales (assez disparates en dehors des épîtres catholiques de Paul) ; et enfin un poème en prose prophétique et symbolique (l'Apocalypse), qui constitue un rameau vigoureux mais isolé de la littérature messianique juive.

   Chacun à sa manière proclame le même message, défini par la portée de l'enseignement et de l'exemple, l'authenticité du témoignage, l'implication du lecteur. Dans ces conditions, la multiplicité des Évangiles a pu sembler paradoxale. Une version moyenne, « normalisée », en a été rédigée pour obvier à cette difficulté : c'est le Diatessaron de Tatien (vers 180), que la tradition n'a pas retenu. La question des Évangiles comme genre littéraire se place donc au cœur de la problématique chrétienne et l'histoire du genre est inséparable du dogme, puisque les Évangiles non canoniques sont considérés comme « apocryphes » (le terme, qui signifie « caché », c'est-à-dire non lu dans les Églises, ayant fini par désigner l'inauthentique).

   Le développement du genre ne se comprend qu'à partir des quatre livres canoniques. Leur pluralité s'explique par l'éloignement, dans le temps et l'espace, des communautés auxquelles ils étaient d'abord adressés. On estime que, si tous s'appuient sur des sources araméennes (orales ou écrites), les Évangiles semblent avoir été rédigés directement en grec : Marc, probablement le plus ancien, aurait été écrit à Rome pour des non-juifs entre 64 (persécutions de Néron) et la ruine du Temple de Jérusalem (70) ; Luc, rédigé par un Grec pour des chrétiens de culture hellénique entre 70 et 80 ; Matthieu, composé sans doute en Syrie vers 80-90 pour des juifs convertis de langue grecque ; la rédaction finale de Jean se situerait aux environs de 100 dans un milieu issu d'un judaïsme hétérodoxe en Syrie ou en Transjordanie. Certains savants penchent toutefois pour une datation beaucoup plus haute, tel C. Tresmontant (le Christ hébreu, 1984), pour qui tous les livres du Nouveau Testament dateraient des années 36-60, y compris le quatrième évangile, et auraient d'abord été rédigés en hébreu.

   Ces versions parfois discordantes d'une seule et unique vérité ont alimenté des polémiques dès l'Antiquité : on admettait assez mal que des textes également « saints » se contredisent sur le nombre des visites de Jésus à Jérusalem, sur plusieurs circonstances de la Passion, sur la découverte du sépulcre vide, etc. Plutôt que d'effacer ou de dissimuler les variations, la critique textuelle moderne s'est préoccupée de déceler les harmonisations qui ont rapproché en particulier les trois évangiles de Matthieu, Marc et Luc (dits « synoptiques » parce que de nombreux épisodes ou « péricopes » peuvent être disposés en parallèle). Parmi les nombreuses théories relatives à leur genèse, l'une a fini par prévaloir : celle des deux sources. L'une, essentiellement narrative, s'identifierait avec une forme ancienne de l'évangile de Marc, qu'auraient utilisé à leur tour, et de façon indépendante, Matthieu et Luc ; l'autre aurait été constituée presque exclusivement de paroles (logia) de Jésus, à la manière de l'Évangile de Thomas plus tardif.

   Les historiens ont longtemps cherché à remonter le fil du temps jusqu'aux paroles mêmes et à la personne de Jésus. Mais la reconstitution un peu précise de cette vie a été abandonnée, faute de données suffisantes. Cet abandon montre bien les limites et la nature des évangiles : ce ne sont ni des documents biographiques, ni des écrits doctrinaux, mais des textes cultuels (accessoirement liturgiques, ecclésiaux ou missionnaires). Le choix et l'agencement des péricopes répondent à un dessein. Les commentateurs dégagent l'intention théologique au prix d'une lecture interprétative, compliquée par la présence de diverses couches rédactionnelles, par le jeu des évangiles entre eux, par les renvois ou allusions à l'Ancien Testament.

   Le respect du schéma didactico-narratif général s'accompagne de fortes variations. Ainsi, pour la vie : Marc ne dit rien de la Nativité ; Luc seul relate l'annonce à Zacharie ; Matthieu seul mentionne le massacre des Innocents et la fuite en Égypte ; Jean ne dit rien de la Nativité charnelle, mais commence de beaucoup plus haut par une manière d'hymne sur le Verbe incréé et son incarnation. Ce choix initial sépare Marc des deux autres synoptiques, mais le rapproche de Jean. Variations pour la doctrine : Matthieu rassemble la matière d'un exposé complet dans son « Sermon sur la montagne » ; Jean développe au contraire les entretiens particuliers de Jésus avec ses disciples. Avec précaution, on peut interpréter les déplacements d'accent : de Marc à Matthieu, un élargissement du monde réel et ecclésial, de Matthieu à Luc, un approfondissement humain et spirituel, chez Jean, la recherche du dialogue et de la communion mystique. Tous préservent un équilibre qui répond à une double conception implicite de la nature de Jésus, dont l'explicitation théologique demandera plus de deux siècles (le premier concile de Nicée se tient en 325).

   Au fil des siècles, les interprétations de l'Évangile se sont multipliées. Parmi les plus récentes et les plus neuves, citons celle de R. Girard (Des choses cachées depuis la fondation du monde, 1978 ; le Bouc émissaire, 1982), selon lequel l'Évangile révèle le mécanisme de l'unanimité persécutrice, appliquée à une victime unique et innocente, et de l'inconscient persécuteur, violence fondatrice de toute culture.