Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Jean Renart

Poète français (début XIIIe s.).

Il est l'auteur de deux romans en vers. Le premier, l'Escoufle (1200-1202), traite le thème idyllique des amours contrariées par un père, en le développant autour du motif de l'oiseau (un escoufle ou milan) voleur d'un objet précieux (une aumônière contenant un anneau, gage d'amour). On a parlé du « réalisme » de cette œuvre, qui effectivement conduit le lecteur d'Orient (le roman rappelle un conte des Mille et Une Nuits) en France, dans des lieux et des milieux pittoresques et familiers. Mais la présence du merveilleux est attestée dans l'invention, le jeu sur le langage, le travail des motifs (anneau dérobé, dédoublement) et les intentions symboliques. Le second roman est le Guillaume de Dole (vers 1200 – 1228), intitulé préféré au vrai titre le Roman de la Rose, pour éviter la confusion avec celui de Guillaume de Lorris et de Jean de Meun. Ce roman repose sur le thème de la « gageure » (intrigue fondée sur le pari d'un frère ou d'un mari assurés de la chasteté de sa sœur ou de sa femme, chasteté mise à l'épreuve par un autre parieur grâce à une preuve fallacieuse). L'auteur centre ici l'intrigue autour de la rose, signe porté sur la cuisse par l'héroïne, qui permet à un imposteur de la discréditer auprès de l'empereur Conrad, tombé amoureux grâce à une chanson de trouvère. Cet amour, qui se traduit par l'amitié de l'empereur pour le frère de l'héroïne, finira par l'emporter, au terme de nombreux rebondissements, et la jeune fille recouvrera son honneur. C'est dans ce roman que des intermèdes lyriques chantés apparurent pour la première fois au milieu des vers narratifs, procédé qui devait faire école. Jean Renart signe par ailleurs un conte courtois, le Lai de l'ombre, où il fait allusion au premier de ses romans. Il y évoque le geste élégant d'un chevalier amoureux d'une dame : comme elle lui résiste et refuse l'anneau qu'il lui présente, il le jette dans un puits, pour l'offrir à l'image (l'ombre) de la dame reflétée par l'eau ; la dame est vaincue par tant de raffinement. Ces œuvres sont destinées aux grands seigneurs pour qui Jean Renart a travaillé, dont le comte de Hainaut. Par des allusions à des faits contemporains, par l'élimination des éléments merveilleux propres à la tradition bretonne, l'auteur manifeste un souci d'actualisation qui oriente le roman dans la voie du réalisme bourgeois, mais les insertions lyriques qui se tissent à la narration corrigent de façon originale cette conversion.

Jebeleanu (Eugen)

Poète roumain (Cîmpina 1911 – Bucarest 1991).

Il passe d'un lyrisme hermétique (Ermitages au soleil, 1929 ; Cœurs sous sabres, 1934) à une inspiration humaniste culminant dans le Sourire d'Hiroshima (1958). Ses derniers recueils (Élégie pour une fleur desséchée, 1967 ; Hannibal, 1973 ; l'Arme secrète, 1980) cultivent une méditation grave sur la vie et la nature.

Jeffers (John Robinson)

Poète américain (Pittsburgh 1887 – Carmel, Californie, 1962).

À la vanité des hommes, il préfère l'impassibilité de la nature et la brutalité des rochers. Il dit sa reconnaissance à un Dieu qui « est à peine un ami de l'humanité ». Obsédé par les images de la stérilité, il mêle l'influence de Nietzsche, le rappel de Freud et l'usage des légendes antiques (l'Étalon Rouan, 1925). Il a publié d'autres recueils de vers (Tamar, 1924 ; les Femmes de Point Sur, 1927 ; Cawdor, 1928 ; Donne ton cœur aux vautours, 1934 ; la Double Hache, 1948 ; Hungerfield, 1954), et des drames (Médée, 1945 ; la Femme de Crète, 1954). Les contradictions mêmes de l'œuvre, la monotonie qui naît d'un tel choix du négatif dessinent, paradoxalement, une humanité archétypale.

Jefferson (Thomas)

Homme politique et écrivain américain (Shadwell, Virginie, 1743 – Monticello 1826).

Principal rédacteur de la Déclaration d'indépendance, ambassadeur à Paris (1785-1789), troisième président des Etats-Unis (1801-1809), il laisse une œuvre politique, dont la pensée sera déterminante pour la plupart des écrivains américains (Whitman et Thoreau), en ce qu'elle définit les bases de l'idéologie nationale (Remarques sur la Virginie, 1784).

Jelinek (Elfriede)

Écrivain autrichien (Mürzzuschlag/Styrie 1946).

Elle est réputée pour son théâtre épique sardonique et sa prose antipatriotique dans le sillage de Bachmann et de Bernhard. Après des récits fourmillant de citations (Nous sommes des attrape-nigauds, baby, 1970 ; Michael, 1972), elle entame une enquête pessimiste sur les stéréotypes féminins dans les Amantes (1975). La pièce Nora (1979), une suite à la Maison de poupée de Ibsen, décrit l'identité atomisée d'une femme actuelle, comme la Pianiste (1983), roman où quelques fausses notes font basculer une vie dans l'échec. Lust (1989), tentative avortée d'écrire une pornographie féminine, interroge les rapports conjuguaux et les continuités structurelles et linguistiques du nazisme, comme les Exclus (1980), Méfions-nous de la nature sauvage (1985), les Enfants des morts (1995), Convoitise (2000). Son théâtre des années 1990 vise diverses personnalités du canon culturel : Hölderlin, Haider, Schwarzenegger et Heidegger (Au pays des nuées, 1990 ; Bâton, tige et Stangl, 1997 ; Une pièce de sport et Totenauberg, 1998).

Jenni (Adolfo)

Écrivain suisse de langue italienne (Modène 1911 – Berne 1997).

Traduire en mots la matière de sa propre existence a toujours été pour lui une espèce de pôle magnétique. Professeur de littérature italienne à l'université de Berne, il s'est longuement penché sur l'essence même de la création littéraire. Ses œuvres d'historien de la littérature révèlent la même attention critique portée au métier de l'écriture que ses proses intimistes (Années, 1942 ; l'Enclos, 1947 ; le Métier d'écrivain, 1962 ; les Cahiers de Saverio Strati, 1967 ; Événements et Situations, 1970).

Jensen (Johannes Vilhelm)

Écrivain danois (Farsø 1873 – Copenhague 1950).

Il décrit la réalité paysanne de sa contrée natale dans ses Contes de Himmerland (1898-1910). De nombreux voyages et l'Exposition universelle de Paris en 1900 lui révèlent le monde de la technique. Dans la Renaissance gothique (1901), il prône une littérature réaliste et pratique dont les maîtres seraient les « Goths », c'est-à-dire les Anglo-Saxons, par opposition à l'esthétisme et à la psychologie des « Latins ». La Chute du roi (1900-1901) est, sous le couvert du roman historique, une critique du scepticisme résigné et de l'esthétique décadente : il n'y a de vie qu'ici, sur terre, c'est ce que proclament Madame d'Ora (1904) et la Roue (1905), qui, dans le cadre de New York, campent des personnages de faux prophètes. L'évolutionnisme du cycle le Long Voyage (1908-1922) évoque l'ascension de l'humanité depuis la préhistoire (le Glacier) jusqu'à Christophe Colomb (le Nautonier fantôme). Jensen a marqué de son originalité un genre spécifique, les Mythes, mélange d'essais, de chroniques et de récits qui l'accompagnent au long de sa vie (1907-1944). Dans les Tentations du Dr Renault (1935), il donne sa version – positive – du mythe de Faust. Ses recueils de Poèmes (1906, 1917, 1923, 1926), avec comme aboutissement le Vent du Jutland (1931), témoignent d'abord de l'influence de Heine et de Whitman, puis de celle plus classique d'Oehlenschläger. En 1944, il reçut le prix Nobel.