Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
A

Antar (Roman d')
(Sirat 'Antar)

Roman arabe de chevalerie qui raconte la passion amoureuse et les exploits d'Antara, poète et héros de l'Arabie d'avant l'Islam.

Élaboré sans doute en Iraq, ce récit, peu à peu amplifié par les conteurs, couvre, historiquement, une période s'étendant de l'Arabie du VIe s. jusqu'aux croisades. Antar, un Noir, fils d'une esclave abyssine, devient ainsi le symbole d'une histoire des Arabes en train de s'ouvrir au monde, toutes ethnies confondues. Il apparaît comme le parfait chevalier, la réalisation idéale des vertus de l'Arabie bédouine. On a décelé, dans cette œuvre en prose rimée, véritable épopée où s'enchâssent plus de dix mille vers, des épisodes, des motifs ou des thèmes qui se retrouvent dans des textes persans ou en Occident, mais il reste exemplairement représentatif de la société arabo-musulmane où il a pris naissance et s'est développé. Publié en 32 volumes à partir du XVIIIe s., il alimente aujourd'hui encore le répertoire des conteurs populaires.

Antara ibn Chaddad
ou Antara al-Absi

Poète arabe antéislamique (fin VIe s. – 615).

Fils d'un noble de la tribu des 'Abs et d'une captive noire, il s'illustra par sa bravoure chevaleresque et ses aventures, au point de fournir matière à un héros de roman (le Roman d'Antar). Le préambule de sa mu'allaqa (« Les poètes m'ont-ils rien laissé à empiécer, ou plutôt, après l'illusion, vais-je distinguer la demeure ? ») prêtait d'ailleurs à ce dédoublement entre le réel et l'imaginaire.

Antelme (Robert)

Écrivain français (Bayonne 1917 – Paris 1990).

Engagé en 1943 dans la Résistance, il est arrêté en 1944, et déporté à Buchenwald, puis au kommando de Gandersheim. Contre le silence et la culpabilité d'avoir survécu, il publie en 1947 dans l'indifférence quasi générale l'Espèce humaine, un des livres les plus importants sur le génocide, traversée philosophique et matérialiste d'un monde alors inconnu. Il insistera sur le caractère constitutif de la langue pour vivre, et sur la nécessité d'une révolte collective. Mis à part un projet de recueil avant son arrestation, la Main aux grilles, il reste, en pessimiste actif, ennemi de toutes les répressions, l'auteur d'un seul livre (l'Espèce humaine, est constamment réédité à partir de 1957). Antelme fut aussi le mari de Marguerite Duras, qu'il influencera durablement.

Anthologie Palatine

Recueil de 5 300 épigrammes grecques rassemblées à partir d'une compilation de Constantin Képhalas (Xe s. apr. J.-C.), elle-même tributaire d'anthologies antérieures de Méléagre (Ier s. av. J.-C.), Philippe de Thessalonique (Ier s. apr. J.-C.), Diogénien (IIe s. apr. J.-C.), Diogène Laërce (IIIe s. apr. J.-C.), Agathias (VIe s. apr. J.-C.). Regroupées par sujets en 15 livres (funéraires, érotiques, votives, satiriques, morales, etc.), ces épigrammes donnent une image précise et savoureuse de la poésie et de la vie quotidienne grecques des origines au VIIe s. apr. J.-C.

Anthony (Michael)

Écrivain trinitéen (Mayaro 1930).

Après un apprentissage londonien, ce poète se tourne vers la prose, avec les nouvelles de Cricket dans la rue (1973), et des romans (l'Année à San Fernando, 1965 ; les Vertes Années au bord du fleuve, 1967) qui évoquent une enfance rurale à La Trinité. On lui doit aussi La compétition était proche (1963), qui a pour thème la préparation tragique d'une compétition cycliste, Agitation des rues (1976), qui a pour cadre le Brésil, Tout ce qui brille (1981). Ces dernières années, il s'est attaché à publier des ouvrages d'intérêt général sur La Trinité.

anthropophagique (mouvement)

Le « mouvement anthropophagique » (ou anthropophage), courant du modernisme brésilien, s'exprimait dans la Revista de Antropofagia, qui parut de mai 1928 à août 1929. Son manifeste se résume dans la formule iconoclaste d'Oswald de Andrade « Tupy or not tupy. That's the question » – c'est-à-dire une appropriation des valeurs morales et esthétiques européennes inspirée du cannibalisme des Indiens Tupi, qu'on retrouve dans le « roman-rhapsodie » Macounaïma (1928) de M. de Andrade et le poème Cobra Norato (1931) de R. Bopp.

Antilles

Ce n'est pas seulement le regard extérieur, porté à méconnaître l'individualité de chacune des îles de la mer des Antilles, qui donne une certaine unité à leur production littéraire, c'est surtout la problématique d'une identité culturelle qui semble être devenue la préoccupation majeure des écrivains – identité qui trouve ses racines notamment dans le folklore caraïbe importé par les esclaves (Anansi l'Araignée, par exemple). La culture populaire, davantage accoutumée à célébrer les plaisirs quotidiens ou à critiquer l'injustice sociale et les abus politiques, en a fait l'un de ses sujets de prédilection, comme l'atteste la tradition vivace des carnavals (dont le plus célèbre reste celui de La Trinité). Certes, l'histoire semble avoir œuvré contre la création d'une culture homogène et cohérente : la rapide disparition des Arawaks, Taïnos et Caraïbes a éliminé une tradition réellement indigène qui eût été précieuse au courant nationaliste. La colonisation européenne, l'importation massive d'esclaves africains, les rivalités entre conquérants européens s'exprimant par la piraterie et les invasions successives, tout cela a rassemblé des ethnies diverses au sein d'une tradition de violence qui a opposé les exploités à la « plantocratie », laissant de profonds clivages psychologiques et sociaux entre les classes et les races – bourgeoisie européanisée, mulâtres, Noirs, Indiens, Chinois, etc. D'où la peinture, tantôt amère, tantôt humoristique, d'affrontements exacerbés par le provincialisme, en même temps que le thème récurrent d'une harmonie possible malgré une variété ethnique et raciale sans précédent dans un contexte géographique si limité. Cela dans un milieu où domine cependant un sens très vif de la célébration du présent et de la nature.

Antilles anglophones

Pour le romancier ou le poète, la découverte de sa vocation littéraire va souvent de pair avec la prise de conscience d'une certaine aliénation : encore colonisé malgré les indépendances, encore en butte au racisme blanc, il parle pourtant le langage de la métropole plus souvent que le patois local et utilise une perspective plus vaste. D'où l'importance du thème du départ, du voyage. D'abord comme recul et prise de distance, comme mise en perspective de la situation insulaire lors d'un séjour en métropole qui coïncide avec la découverte d'une spécificité, irréductible aux yeux des Blancs. Ce séjour peut devenir expatriation, comme chez Lamming, Selvon, Mittelholzer, Naipaul, Clarke, Salkey, dans un Occident (Angleterre ou Amérique du Nord) qui déçoit plus encore qu'il ne comble. Les Émigrés, l'Immigré, les Survivants de la traversée, les Londoniens esseulés ou l'expression ironique de les Plaisirs de l'exil : les titres eux-mêmes connotent le douloureux étonnement du colonial rejeté par les métropolitains dont il partage la culture ou encore la découverte de l'insularité dans le brouillard de capitales grises. Ce voyage semble un préalable obligé à la naissance d'une carrière littéraire, car il implique un retour au pays, spirituel ou réel. Ce retour s'effectue alors, très souvent, par le biais de l'autobiographie. Chez Lamming ou Walcott, cette évocation de l'enfance a un arrière-plan populaire ou paysan en dépit de l'école, véhicule de la culture bourgeoise britannique, dont l'attrait est aussi évoqué comme une tentation de réussite individuelle, donc de trahison du groupe et de la race – le parcours de l'Indo-Trinitéen V. S. Naipaul est en cela exemplaire. Comment devenir écrivain et rester fidèle aux siens ? Comment se trouver, si ce n'est hors du lieu de ses origines ? Comment donner à l'insularité sa dimension universelle ? Ce questionnement hante nombre de romans et poèmes. Bien souvent, l'identité caraïbe va se définir, dans la littérature anglophone, par une exploration du passé historique ou plus collectif (le romancier trinitéen Robert Antoni laisse la parole à une grand-mère imaginée dans certaines de ses nouvelles, par exemple).

   Surtout depuis le mouvement culturel du « Pouvoir Noir », le contrepoids à l'attrait de la culture européenne se trouve dans la revendication d'un héritage africain ou indien, jadis honteux. Pour la plupart, le voyage imaginaire dans une Afrique mythique devient tout aussi de rigueur que l'intermède londonien ou new-yorkais. Il ne faut pas oublier que Marcus Garvey, fondateur du mouvement du Retour en Afrique et, après lui, C. L. R. James, George Padmore, Stokely Carmichael, doivent probablement à leur origine antillaise d'être devenus des champions du panafricanisme et de l'unité des Noirs de la diaspora. Souvent, cependant, plus que d'un retour unilatéral à la mère Afrique, il s'agit chez l'écrivain d'une tension extrême et féconde entre des origines doubles (Walcott : « ... comment choisir/ entre cette Afrique et cette langue anglaise que j'aime ?/ Trahir l'une et l'autre, ou rendre ce qu'elles m'ont donné ? »). S'opposant à la « grande tradition » britannique qui tend à exclure l'écrivain antillais, la réhabilitation de l'Afrique permet à celui-ci de se réconcilier avec lui-même, bien que, comme le souligne E. K. Brathwaite, « on ne puisse retraverser le fossé de l'histoire ».

   D'autres thèmes connexes sont donc l'histoire et le présent, la liberté et l'exploitation, l'opposition entre pauvres et nantis, la différence raciale, la créolisation, la création d'une société nouvelle, la quête de racines dans la culture populaire qui, en fait, influence considérablement les formes et l'expérimentation littéraires. Cette dernière se trouve, entre autres, dans l'éclatement de la prose romanesque de Lamming en fragments poétiques et surtout, chez Harris, dans l'entrée, au-delà des apparences du quotidien, dans la jungle des profondeurs de la psyché et du temps. Qu'ils calquent le parler local ou tentent d'établir un équilibre entre le dialecte et « l'anglais de la reine », les écrivains incorporent, comme dans le théâtre de Walcott, des formes populaires fortement africanisées. Au détour des phrases de Naipaul et Selvon, nous retrouvons le calypso qui conteste le pouvoir ou les relations entre les sexes par sa satire codifiée. Dans les poèmes de Brathwaite battent les rythmes des tambours. Chez Austin Clarke éclate parfois une atmosphère de carnaval, tandis que Louise Bennett utilise systématiquement le folklore et les réjouissances populaires dans ses performances verbales. Après l'impact donné par C. L. R. James, le dialecte et ses adaptations jouent un rôle important. En bref, la découverte par les écrivains d'une culture créole que les valeurs européennes visaient à gommer (et la revendication des formes de cette culture) correspond à un engagement idéologique qui les porte davantage vers la négritude.

   Qu'il s'agisse des plages de Sainte-Lucie ou des jungles de la Guyane, les écrivains se laissent en outre guider par le génie des lieux : flore et faune insulaires, souvenirs aborigènes, souffle des grands espaces alternent dans des œuvres qui chantent, souvent en relatant une existence difficile, la splendeur du cadre naturel et l'essor des villes insulaires.

   Inconnue du grand public avant la Seconde Guerre mondiale, la notion de « littérature des Caraïbes » (« West Indian literature ») est en grande partie le produit de l'après-guerre où les relations entre les îles, la publication de revues, les programmes radiophoniques (notamment celui des « Voix caraïbes », Caribbean Voices, diffusé sur la BBC dans les années 1950 et qui a fédéré nombre d'intellectuels et d'artistes), la découverte réciproque des divers Antillais à Londres, les mouvements d'indépendance et les plans de fédération ont tissé des liens nouveaux. Ce concept a l'avantage de souligner les points communs entre des populations tropicales qui, ayant subi le joug colonial, restent profondément marquées par l'empreinte européenne contre laquelle elles sont amenées à se définir. Enfin, les générations qui ont suivi celles des premiers « expatriés » (ou émigrés, comme dans le cas de V. S. Naipaul), noyau dur de la diaspora caribéenne aux États-Unis, au Canada ou en Europe, fait retour sur les Caraïbes de leurs origines dans leurs écrits ; ainsi, les diasporas installées au Canada ont produit de très grands artistes : la poétesse Dionne Brand (née à La Trinité en 1953) place souvent la femme au centre de ses poèmes engagés (Sans Souci, 1988 ; Aucune langue n'est neutre, 1990). Cyril Dabydeen (né en Guyane britannique en 1945) a lui aussi émigré au Canada au début des années 1970 (Goatsong, 1977). Les écrivains de la diaspora reviennent sur la terre maternelle qui souvent a aussi été pour leurs ancêtres une première terre d'exil (ainsi Fred d'Aguiar dans la Mémoire la plus grande évoque un père et un fils esclaves qui s'affrontent dans leur rapport au maître de la plantation). Le paysage des lettres s'est résolument transformé depuis une vingtaine d'années : à la suite de Merle Hodge et de son roman Crick, Crack, Monkey (1970), de nombreuses femmes ont pris la parole, dans plusieurs directions : Lorna Goodison (Je deviens ma mère, 1986 ; Heartease, 1988) ou Jean Binta Breeze en poésie, par exemple, Olive Senior pour la nouvelle, Michelle Cliff (Pas de téléphone pour le paradis, 1987), Shani Mootoo Cereus Blooms at Night, 1997), Jamaica Kincaid (Annie John, 1985 ; l'Autobiographie de ma mère, 1996) ou encore Edwidge Danticat pour le roman la Récolte donne des larmes, 1998.