Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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paysannerie

Pays longtemps le plus peuplé d'Europe occidentale, la France a regroupé la plus forte concentration de paysans jusqu'au milieu du XIXe siècle au moins.

Si l'on considère que la société française a pu compter 80 % de paysans à la fin du Moyen Âge et encore 75 % sous Louis XVI, la population agricole a dû représenter respectivement, à ces deux époques, 12 à 15 millions d'habitants, puis près de 20 millions. Pour l'essentiel, les paysages de notre territoire ont été façonnés par ces paysans qui aujourd'hui disparaissent, tandis que l'environnement se dégrade et se désertifie, dans l'attente de nouveaux acteurs. C'est là une rupture par rapport aux périodes antérieures. Car, des siècles durant, la puissance des seigneurs puis la richesse de l'État ont dépendu en grande partie de l'activité de ces millions de travailleurs de la terre, au premier chef exposés à l'impôt. De l'an mil au milieu du XIXe siècle, ils ont occupé une place centrale dans la société française.

Ruraux et paysans

Certes, les paysans ne constituaient pas toute la population rurale. La présentation d'une France « paysanne » oblitère la diversité des sociétés anciennes, dans lesquelles le secteur artisanal, le petit commerce, les divers rentiers du sol, etc., ont joué un rôle capital. Cependant, bien des artisans, des boutiquiers et des rentiers conservaient une attache directe au sol - un champ à cultiver, un jardin à entretenir, une basse-cour à surveiller. En dehors des cultivateurs proprement dits, à la campagne, tout le monde était peu ou prou paysan.

À l'origine, le terme dénote un attachement au territoire local, au « pays ». Dans son Dictionnaire de l'ancienne langue française (1881-1902), Godefroi rattache ce statut au dur labeur du sol : « La terre essillent et arrier et avant / A grant dolor i sont li paisant. » Dans les premiers documents écrits conservés (XIIe et XIIIe siècles), les paysans, qu'on appelle plus communément rustici (rusticani, villani), ne sont pas nettement distingués des ruraux ; ce qui suggère qu'ils en représentent l'immense majorité. Il faut attendre le XVIe siècle pour que les textes établissent nettement la distinction : ainsi, Claude Haton, curé dans la Brie à l'époque des guerres de Religion, fait le départ entre « paysans » et « gens de village ». À la base de l'organisation sociale et de la hiérarchie des ordres, on range alors la « paysanterie ». Condition bien médiocre, que fustige Molière, un siècle plus tard, dans son George Dandin (1668) : « J'aurais bien mieux fait, tout riche que j'étais, de m'allier en bonne et franche paysannerie, que de prendre une femme qui se tient au-dessus de moi. » Le Dictionnaire de Furetière, publié en 1690, officialise l'infériorité sociale qui correspond à ce statut : est paysan tout « roturier qui habite dans les villages, qui cultive la terre, et qui sert à tous les ménages de campagne. Les paysans sont ceux qui supportent les charges de l'État, qui payent la taille, qui font les corvées, etc. Les paysans qui sont riches sont fort malins et insolents... On appelle figurément un homme grossier, rustique, incivil, malpropre, un paysan. Ce noble de campagne est encore un vrai paysan. La plupart des pédants tiennent encore du paysan ». La connotation péjorative trahit le regard de la ville.

Car c'est depuis la ville que les paysans sont identifiés globalement, sans grand souci de différenciation sociale. Pour ne pas rester confondus dans cette plèbe agricole, les élites paysannes ont cherché à se distinguer, sous l'Ancien Régime, par des titres d'honneur ; et le tarif des classes établi pour la première capitation en 1695 isole, au-dessus de la paysannerie, des « fermiers laboureurs » inscrits dans la quinzième classe, tout près des gentilshommes « possédant fiefs et châteaux » et des bourgeois des petites villes vivant de leurs rentes. La Révolution venue, les rangs s'effacent au profit du terme faussement égalitaire de « cultivateur » - accompagné, il est vrai, de sa variante aristocratique de « propriétaire cultivateur ». Avant que n'émerge, à la fin du XIXe siècle, une classe supérieure d'agriculteurs, nouvel indice de la profonde inégalité économique qui traversait la paysannerie.

Diversité des modes de propriété

La paysannerie française a pour caractère premier d'être profondément attachée à la terre, et d'abord dans le cadre de la propriété foncière. Pour autant, les paysans étaient inégalement propriétaires. Certains ne l'étaient même pas, à commencer par les serfs qui ne disparurent qu'avec les affranchissements collectifs des XIIe et XIIIe siècles, à la réserve de quelques centaines de milliers de « mainmortables » encore présents en 1789 dans les provinces du Centre et de l'Est. Bien plus nombreux, les simples « brassiers », qui n'avaient que leurs bras pour travailler le sol, les « journaliers », qui gagnaient leur vie au jour la journée, ou les « manouvriers », dont les mains étaient bonnes à tout faire : catégories semblables qui désignent un salariat agricole, souvent précaire, et dépendant de multiples activités. En revanche, tous cultivaient, à des titres divers, une exploitation agricole. Au-delà des statuts juridiques, la différenciation sociale passait par deux critères fondamentaux : la place à l'intérieur de l'exploitation ; la nature et la dimension de celle-ci.

Jusqu'à la Révolution et au Code civil (1804), qui consacrèrent une propriété foncière libre et entière, comme à l'époque romaine, la possession du sol était « incomplète » car grevée de droits divers à l'égard des seigneurs. Ici ou là avaient pu subsister des paysans « alleutiers », entièrement maîtres de leurs biens, mais cette situation s'était fortement raréfiée depuis la guerre de Cent Ans. En dehors des alleux, l'occupation du sol subissait un certain nombre de limites qui frappaient, à des degrés inégaux, la propriété. La mainmorte, qui pesait sur certains héritages en Auvergne, en Nivernais ou en Bourgogne, interdisait aux serfs de vendre leurs biens à des étrangers et restreignait la transmission successorale à leurs héritiers directs vivant « à pot et à feu ». En Basse-Bretagne, dans certaines seigneuries ecclésiastiques des actuels départements du Finistère et des Côtes d'Armor, la « quevaise » en représentait une variante : seul le plus jeune enfant était admis à hériter ; à défaut d'héritier direct, le seigneur rentrait en possession de la tenure ; le quevaisier ne pouvait céder, vendre ou aliéner la terre sans une autorisation expresse du seigneur, fort coûteuse. Économiquement, ce système paralysait tout effort d'amélioration : les quevaises restaient souvent incultes et vouées à une utilisation extensive, sous forme de pâturages.