Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
N

nucléaire (énergie).

Utilisant rapidement les acquis de la science fondamentale, l'énergie tirée de la fission de l'atome prend, sous l'impulsion des pouvoirs publics, une part croissante dans le bilan énergétique de la France à compter des années 1970.

C'est dans la première moitié du XXe siècle qu'ont lieu les grandes découvertes en matière d'énergie nucléaire : après celle de la radioactivité naturelle par Becquerel en 1896 puis de la radioactivité artificielle en 1934 par Irène et Frédéric Joliot-Curie, Strassmann et Frisch mettent en évidence la fission du noyau d'uranium avec dégagement d'énergie, sous l'effet du bombardement de neutrons ; Joliot, Halban et Kowarski apportent en 1939 la preuve expérimentale que cette fission s'accompagne de l'émission de nouveaux neutrons et peut provoquer ainsi une réaction en chaîne. L'équipe française dépose alors une série de brevets pour la construction, à partir de ce principe, d'un réacteur producteur d'énergie nucléaire.

Le développement de la filière française.

• Après la guerre, qui a dispersé le groupe et interrompu les recherches, Joliot se voit confier par le général de Gaulle la direction du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), créé pour le développement des applications civiles et militaires de l'énergie nucléaire : il établit un centre d'essais au fort de Châtillon, où il réussit, le 15 décembre 1948, la première production d'électricité au moyen d'une pile atomique, baptisée « Zoé ». Le programme de recherche se poursuit dans les années 1950 : le CEA construit à Marcoule trois réacteurs expérimentaux (G1, G2 et G3) utilisant l'uranium naturel comme combustible et capable de produire du plutonium. Afin d'être associée au développement de l'énergie nouvelle, Électricité de France (EDF) assure le couplage de ces piles à un générateur d'électricité. La France dispose ainsi de sa propre filière, face aux États-Unis qui prônent l'utilisation de l'uranium enrichi, mais sont seuls alors à maîtriser la technique d'enrichissement du combustible. Dans les années 1960 sont construites des piles atomiques spécialement conçues pour la production d'électricité. EDF se dote d'un premier parc de centrales - à Chinon (1962), Saint-Laurent-des-Eaux (1966) puis au Bugey (1971), toutes fonctionnant selon la technologie française à l'uranium naturel -, mais dont l'exploitation se révèle lourde et complexe. EDF propose alors d'adopter pour les réalisations à venir la filière américaine fonctionnant à l'uranium enrichi et à l'eau pressurisée (REP), d'autant que la France dispose désormais de sa propre usine d'enrichissement d'uranium (Pierrelatte). Après bien des querelles sur les mérites comparés des deux systèmes, le gouvernement français opte pour la filière REP, sans doute plus économique et de conception plus simple, pour la construction des prochaines centrales.

Le « tout-nucléaire ».

• L'événement majeur qui provoque l'essor de l'énergie nucléaire en France est la crise pétrolière de 1973. La flambée des cours de l'or noir et la crainte de la dépendance énergétique conduisent le gouvernement français à lancer la réalisation, à marche forcée, de six à sept tranches nucléaires par an, entre 1974 et 1986. EDF bâtit ainsi un parc de 34 unités de 900 mégawatts et 20 unités de 1 300 mégawatts. Ce programme d'équipement est un succès : le coût du kilowatt de l'énergie nucléaire - qui assure, en 1990, 75 % de la production d'électricité dans le pays - est compétitif et le taux d'indépendance énergétique remonte de 24 à plus de 50 %. Par ailleurs, cet effort durable et soutenu entraîne la constitution d'un puissant pôle français du nucléaire, avec Framatome (constructeur de chaudières), Alsthom (réalisateur des équipements électriques), EDF (architecte industriel et exploitant) et la Cogema, filiale du CEA créée en 1976 (gestionnaire du cycle du combustible-prospection, enrichissement et retraitement des déchets).

Mais l'industrie de l'énergie nucléaire est à un tournant : le parc est constitué et son renouvellement ne surviendra pas avant les années 2010. Sa rentabilité est de nouveau battue en brèche par les énergies fossiles comme le gaz. Par ailleurs, la contestation écologiste a grandi, attisée par la catastrophe ukrainienne de Tchernobyl, et se cristallise aujourd'hui sur la question du retraitement et du stockage des déchets. Naguère synonyme de progrès, l'énergie nucléaire voit se dresser face à elle l'opinion publique et ses peurs. C'est cet obstacle psychologique qu'il lui faudra désormais franchir pour assurer sa pérennité.