Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Révolution française (suite)

L'autre volet de cette politique volontariste reste le renforcement de la Terreur pour établir le bonheur collectif. La « grande terreur », instaurée par la loi du 22 prairial an II (10 juin 1794), vise tous les coupables d'accaparement, de défaitisme et de dilapidation, appelés « ennemis du peuple ». Même si cette loi est circonstancielle, même si elle est appliquée presque exclusivement à Paris, elle marque les esprits, au moment où les victoires des armées rendent la violence moins indispensable. Les rivalités internes aux groupes dirigeants (entre Comité de sûreté générale et Comité de salut public, lequel est animé par Robespierre, Saint-Just et Couthon notamment) se perpétuent et trouvent un exutoire politique : durant l'été 1794, des rumeurs accusent Robespierre de vouloir capter à son profit la Révolution. Un front du refus hétérogène se forme, qui s'exprime le 9 thermidor (27 juillet). Alors que, la veille, Robespierre a annoncé de nouvelles mesures répressives contre des « conspirateurs » (qu'il ne nomme pas), les députés font bloc, le mettent en minorité et le décrètent d'arrestation, ainsi que ses proches. Malgré une intervention in extremis des sans-culottes, qui délivrent les prisonniers et les conduisent à l'Hôtel de Ville de Paris, les forces de la Convention, dirigées par Barras, s'emparent de Robespierre et de ses amis, qui sont exécutés le lendemain, le 10 thermidor (28 juillet 1794). Le reste du pays applaudit à l'annonce de la chute du « tyran », tandis que les différents courants de la Convention, naguère antagonistes, se retrouvent solidaires dans cette conjuration : anciens girondins sortis de la clandestinité et anciens terroristes désireux de faire oublier leur propre passé.

Alors que Robespierre a essayé, en vain, de maîtriser les débordements terroristes, la réussite des thermidoriens sera de subjuguer par la force tous les courants révolutionnaires, et de persuader le pays, par la propagande, que seuls Robespierre et ses amis ont été responsables des violences de la Terreur. La chute de Robespierre (épisode qui marquera en fait l'histoire du monde, de nombreux révolutionnaires - bolcheviques ou autres - traquant leurs rivaux pour éviter qu'ils ne deviennent de nouveaux « thermidoriens ») illustre les mécanismes qui n'ont pas cessé de faire s'emballer la Révolution : les factions révolutionnaires ont toujours été rivales, provoquant une surenchère et un détournement des mots d'ordre politiques ; les opinions ont été manipulées. Ce jeu politicien compte autant que les discussions politiques et philosophiques menées au sein des différentes assemblées et doit être compris à sa juste importance.

La Révolution équilibriste

Les révolutionnaires vont dorénavant s'employer à stabiliser les acquis de la Révolution, et à lutter contre leurs rivaux, de gauche et de droite. Pour sortir de la Terreur, ils commencent par laisser faire la chasse aux « buveurs de sang », c'est-à-dire aux anciens terroristes et robespierristes, auxquels l'abbé Grégoire impute les destructions d'œuvres d'art. Quelques conventionnels paient de leur vie (Carrier, exécuté en décembre 1794) ou de quelques mois de prison (le général Turreau) ce revirement politique, tandis que d'autres (Vadier, Barère) sont condamnés à la déportation ou à l'exil. Six d'entre eux se suicident, devenant les martyrs de la Révolution démocratique. Dans tout le pays, la réaction contre les sans-culottes est violente. À Paris, les manifestations des sans-culottes - qui réclament « du pain et la Constitution de 93 » - sont brisées par l'armée en avril et mai 1795 ; dans la vallée du Rhône, les règlements de compte, pratiqués par la « jeunesse dorée » (les muscadins) et couverts par les autorités politiques, font des dizaines de morts parmi les sans-culottes : c'est la Terreur blanche.

Dans le même temps, le gouvernement tente de revenir aux principes de 1789 et de trouver des compromis avec l'ensemble des modérés, discrédités depuis 1791. À la fin de 1794 et au début de 1795, révolutionnaires et contre-révolutionnaires modérés cherchent à établir une paix civile et un régime stable. Les conséquences de ce retournement sont considérables puisque la vie quotidienne des Français ne dépend plus de langages politiques exclusifs. Face aux rivalités qui demeurent vives entre anciens girondins, devenus majoritaires, anciens montagnards et anciens terroristes reconvertis, les modérés peuvent prétendre jouer un rôle d'arbitre ; ils doivent aussi affronter la concurrence des royalistes, qui se réunissent dans le club dit « de Clichy » pour préparer légalement l'arrivée au pouvoir du roi, Louis XVIII, oncle du jeune Louis XVII mort en prison. Dans le cadre de ce fragile équilibre qui repose sur la condamnation de la violence terroriste, la République reconnaît la liberté des cultes, tolère la présence de prêtres réfractaires, et accepte de signer une paix équivoque avec les vendéens et les chouans. Alors que le pays est affaibli par une anarchie administrative et par les menaces royalistes, la réorganisation politique va passer finalement par l'élaboration d'une Constitution libérale, dont le préambule comprend une Déclaration des droits et une Déclaration des devoirs. Cette Constitution de l'an III, votée le 22 août 1795 et proclamée le 23 septembre, prévoit un système parlementaire bicamériste, l'exécutif étant confié à cinq directeurs élus par les Chambres : ce nouveau régime - le Directoire - succède à la Convention thermidorienne en octobre, et doit affronter des difficultés majeures.

En effet, des bandes de brigands - les « chauffeurs » - terrorisent les campagnes en infligeant des brûlures à leurs victimes pour leur voler leurs économies, et secondent parfois des troupes contre-révolutionnaires - « compagnons de Jésus » dans la vallée du Rhône, ou chouans de l'Ouest. Ces derniers, qui continuent de tenir les campagnes entre Seine et Loire, ont reçu l'aide d'émigrés et des Anglais, débarqués à Quiberon, en juin 1795. Toutefois, cette expédition a échoué, le 20 juillet, grâce à l'action du général Hoche. Prenant la mesure de cet échec, et voulant tirer partie d'un royalisme diffus perceptible dans tout le pays, les royalistes modérés s'engagent dans la campagne politique à l'occasion des élections des deux assemblées mises en place par la nouvelle Constitution : le Conseil des Cinq-Cents et le Conseil des Anciens. Les risques de voir les royalistes accéder au pouvoir sont tels que la Convention thermidorienne décide de réserver les deux tiers des sièges des assemblées à ses propres membres. Les royalistes tentent alors un coup d'État à Paris, le 5 octobre 1795 (13 vendémiaire an IV), mais l'armée (et notamment le jeune général Bonaparte) réprime l'insurrection.