Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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République (IIe),

régime politique instauré le 25 février 1848, à la suite du renversement de la monarchie de Juillet. L'histoire de la plus brève des Républiques en France est celle d'un échec qui a alimenté de nombreux débats.

Les handicaps originels.

• La IIe République, mise en place par surprise, a souffert tout d'abord de l'absence d'un véritable parti républicain à la veille de la révolution de 1848. Celui-ci exerce bien une influence sur les milieux artistiques et intellectuels de la capitale - et, dans une certaine mesure, sur le peuple de Paris, perméable aux idéologies les plus diverses. Mais la répression gouvernementale sous la monarchie de Juillet a brisé dans l'œuf toute tentative de reconstitution du parti.

La République a certes bénéficié d'un ralliement quasi général après sa proclamation : les notables conservateurs, soucieux de garder leur prépondérance sociale, ménagent le nouveau pouvoir ; les royalistes légitimistes se réjouissent de la chute des Orléans ; le clergé, sensible au climat libéral et romantique, bénit les arbres de la Liberté. Mais il y a désormais beaucoup plus de « républicains du lendemain » que « de la veille ». En effet, l'idéologie républicaine n'est pas enracinée dans un corps électoral masculin appelé à voter pour la première fois au suffrage universel afin d'élire l'Assemblée constituante. L'ajournement des élections ayant été écarté malgré la pression des démocrates parisiens, le gouvernement en est réduit à intervenir dans la campagne électorale par l'intermédiaire des commissaires de la République, qui prônent le vote en faveur d'authentiques républicains. À l'issue du scrutin du 23 avril 1848, ces derniers obtiennent 500 sièges, les ralliés 300, auxquels s'ajoutent une centaine de démocrates et socialistes. Les « républicains du lendemain » ont cependant l'avantage d'une plus grande notoriété et de l'expérience politique.

La IIe République a souffert, en second lieu, de la crise économique et sociale dont elle était issue. La révolution a en effet relancé la crise - en voie de résorption - en provoquant le retrait massif de capitaux chez les détenteurs apeurés. Les cours de la Bourse s'effondrent ; plusieurs établissements de crédit font faillite, aggravant le marasme industriel et commercial ; le chômage s'accroît. Face à ces difficultés, le gouvernement prend quelques mesures utiles, telle la création de comptoirs d'escompte offrant au petit commerce un crédit à meilleur marché. Mais il manque d'audace, et commet une grave erreur politique en augmentant de 45 % les impôts directs. Il mine ainsi sa popularité dans les campagnes auprès d'une paysannerie fortement endettée.

À Paris, la pression populaire l'oblige à prendre des initiatives : adoption du décret sur le « droit au travail » le 25 février ; création des ateliers nationaux le 26 ; constitution, le 28, de la « commission du gouvernement pour les travailleurs » (Commission du Luxembourg), chargée d'étudier les moyens d'améliorer la condition ouvrière ; décret du 2 mars sur la limitation de la journée de travail à dix heures à Paris, et à douze heures en province. Mais l'application de ces mesures va se révéler décevante. La majorité du Gouvernement provisoire est en effet composée de bourgeois libéraux hostiles aux réformes sociales. Les ateliers nationaux, loin d'être les ateliers sociaux rêvés par Louis Blanc pour modifier les rapports du capital et du travail, prennent la forme d'ateliers de charité où les chômeurs sont enrôlés pour des travaux de terrassement. Leur afflux est tel qu'il faut réduire le salaire versé.

Quant à la Commission du Luxembourg, composée en majorité d'ouvriers, elle se réduit à un superclub où l'on débat des divers systèmes socialistes, au grand effroi de la bourgeoisie, même si elle intervient utilement dans l'arbitrage des conflits du travail et pousse à la fondation de coopératives ouvrières. La IIe République a ainsi déçu ses soutiens potentiels sans rassurer des alliés conditionnels.

Les journées de juin et la fin de la République démocratique.

• La IIe République a fait l'expérience, à ses débuts, d'une démocratisation totale de la vie politique. Toutes les libertés publiques - réunion, presse, association - sont accordées sans restriction. La Garde nationale est ouverte à tous. L'humanitarisme ambiant se traduit en outre par la suppression de la contrainte par corps et des châtiments corporels, et par l'abrogation de l'esclavage dans les colonies. Cette libéralisation provoque une floraison de clubs à Paris et l'éclosion d'une presse démocratique à bon marché libérée du cautionnement. Une telle effervescence sur fond de crise sociale est lourde de menaces pour la paix civile, d'autant que le fossé se creuse entre une gauche révolutionnaire déçue par les résultats du 23 avril et la Commission exécutive formée après la réunion de l'Assemblée, orientée plus à droite que le Gouvernement provisoire.

La première épreuve de force surgit le 15 mai. Une immense manifestation en faveur d'un soutien à la Pologne insurgée aboutit, faute de mesures préventives suffisantes - on a même parlé de piège -, à l'invasion de l'Assemblée par la foule et à une tentative de coup d'État par les dirigeants révolutionnaires parisiens groupés autour de Barbès et de Blanqui. L'ordre est facilement rétabli, et les leaders de la journée sont arrêtés. Mais cet attentat contre la souveraineté d'une Assemblée élue récemment au suffrage universel laisse des traces profondes et provoque un début de réaction politique, comme en témoigne le succès en province de « républicains du lendemain » tels que Thiers aux élections complémentaires du 4 juin - succès qui contraste avec celui des candidats démocrates ou socialistes à Paris.

La dissolution des ateliers nationaux provoque l'épreuve décisive. Leur existence est condamnée par la majorité des constituants pour des raisons financières et politiques. Sous la pression de l'Assemblée, la Commission exécutive décrète, le 21 juin, l'enrôlement dans l'armée des hommes de moins de 25 ans et la dispersion des autres sur les chantiers de province. La dissolution provoque une insurrection spontanée du Paris ouvrier des quartiers est, qui résistent pendant trois jours aux forces de l'ordre regroupant l'armée, la garde mobile et les bataillons bourgeois de la Garde nationale. L'Assemblée proclame le 24 juin l'état de siège, confie les pleins pouvoirs au général Cavaignac, ministre de la Guerre, qui fait appel aux gardes nationaux de province. L'écrasement de l'insurrection, les 25 et 26 juin, se solde par plusieurs milliers de morts, surtout dans les rangs des insurgés. La répression est vigoureuse : 25 000 arrestations, dont 11 000 condamnations à la prison ou à la déportation en Algérie. Parisienne ou provinciale, la bourgeoisie apeurée est désormais gagnée au parti de l'Ordre. Les ouvriers parisiens prennent leurs distances avec une République bourgeoise. La province a fait une irruption décisive sur la scène politique. Enfin, la révolte des ouvriers parisiens marque le début d'une réaction politique. À la tête du pouvoir exécutif, débarrassé des anciens membres du Gouvernement provisoire et de la Commission exécutive, Cavaignac, tout en gardant des convictions authentiquement républicaines, limite l'exercice du droit de réunion et rétablit le système de cautionnement pour les journaux, décision qui sonne le glas de la presse démocratique. Les élections municipales et cantonales de l'été 1848 voient le retour en force des notables de la monarchie de Juillet. À l'automne, l'avenir de la République est déjà fortement hypothéqué.