Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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La Barre (Jean-François Lefebvre, chevalier de),

gentilhomme (Abbeville 1747 - id. 1766).

À 18 ans, accusé de propos blasphématoires, de la mutilation d'un crucifix et d'« irréligion » - il ne s'était pas découvert au passage du saint sacrement (1765) -, ce jeune homme se trouve jugé à Abbeville. Condamné à avoir le poing coupé, la langue arrachée, puis à être brûlé vif, il fait appel auprès du parlement de Paris. Celui-ci, dans sa grande mansuétude, ordonne qu'il soit décapité avant d'être porté sur le bûcher ! L'« affaire » indigne alors les esprits éclairés. Voltaire s'en empare. Il tente, mais en vain, de faire réhabiliter la mémoire de l'adolescent, mort avec courage. Il faudra, pour cela, attendre la Convention, en 1793. Curieusement, le nom de La Barre est passé à la postérité grâce à ce gentilhomme et non grâce à son grand-père, Antoine Lefebvre, autre chevalier de La Barre (1622-1688), gouverneur de Martinique (1666), puis gouverneur général du Canada, où il disgracia injustement Cavelier de La Salle après avoir abandonné ses alliés de l'Illinois aux méfaits des Iroquois. Ainsi, celui des deux chevaliers de La Barre qui fut condamné fut l'innocent, son aïeul - piètre officier - n'ayant eu pour toute sanction que son rappel de la colonie (1685). Son petit-fils serait aussi tombé dans l'oubli s'il n'y avait eu le talent de Voltaire, champion de la tolérance depuis l'affaire Calas (1761-1765), avant d'être celui de la justice lors de l'affaire Lally.

La Bourdonnais (Bertrand François Mahé de),

marin et administrateur (Saint-Malo 1699 - Paris 1753 ou 1755).

Entré à 19 ans comme lieutenant au service de la Compagnie des Indes, il devient capitaine en 1723 et contribue à la prise de Mahé (1725), l'un des comptoirs français de l'Inde, dont il prendra le nom. En 1734, il est nommé gouverneur général des îles de France et Bourbon (aujourd'hui les îles Maurice et de la Réunion), puis, en 1740, Maurepas le charge de protéger les établissements français dans l'océan Indien. En 1746, il se porte au secours de Dupleix, assiégé dans Pondichéry, disperse la marine anglaise, puis prend Madras (21 septembre 1746), mais, se référant à des instructions ambiguës et obsolètes, il permet aux Anglais de racheter la ville. Dupleix désavoue le traité et dénonce La Bourdonnais comme traître. Celui-ci est alors rappelé en France et emprisonné à la Bastille pendant trois ans (1748-1751). Innocenté, il est libéré, mais connaît de grandes difficultés financières.

Dans le conflit entre Dupleix et La Bourdonnais, on a parfois voulu voir l'opposition entre une politique coloniale novatrice et une conception mercantiliste de l'expansion. En réalité, l'antagonisme entre les deux hommes se résume à une guerre de coteries. En effet, La Bourdonnais n'en reste pas moins un excellent marin et un grand administrateur. Il a fait des Mascareignes la grande base française de l'océan Indien, y construisant des chantiers navals et rêvant d'un empire maritime en Asie qui fournirait pour ses navires le bois du Bengale et de Birmanie. Sous son autorité, les îles de France et Bourbon ont connu une grande prospérité ; il y planta non seulement le coton, l'indigo et la canne à sucre, mais y développa aussi des cultures vivrières comme le manioc.

Lacenaire (Pierre François),

criminel (Lyon 1803 - Paris 1836).

Fils d'un négociant lyonnais, Lacenaire reçoit une éducation bourgeoise classique dans les établissements scolaires de Lyon et de sa région (1812-1819). Il connaît ensuite durant dix ans une vie précaire : emplois divers à Lyon et Paris, engagement dans l'armée, suivi de deux désertions (1826-1827, 1828-1829), voyages et premières dérives - il commet des faux en écriture (1827), un meurtre en Italie (1828). 1829 est l'année de la rupture : livré à lui-même après la faillite de son père et le départ de sa famille en Belgique, il essaye sans succès de faire carrière à Paris. Ses échecs le décident à se venger de la société. Il multiplie les faux, les vols qui le conduisent à deux reprises en prison (1829 et 1833). Il est ensuite arrêté après un double assassinat et une troisième tentative d'assassinat (1834). Son procès à la cour d'assises de la Seine, en novembre 1835, le rend célèbre. Condamné à mort avec son complice Avril, il reçoit de nombreux visiteurs à la prison de la Conciergerie, écrit des poésies, rédige ses Mémoires, qui paraissent, censurés, après son exécution, en janvier 1836.

L'émotion et la curiosité extraordinaire qu'il a suscitées tiennent à l'ambivalence de son personnage : bourgeois distingué et doué qui a choisi et revendiqué un destin criminel. Autour de la figure de l'assassin-poète et du révolté romantique, un mythe s'est forgé, que les poètes surréalistes et le film les Enfants du paradis de Marcel Carné (1945) ont contribué, au XXe siècle, à perpétuer.

La Chalotais (Louis René de Caradeuc de),

magistrat (Rennes 1701 - id. 1785).

Avocat général, puis procureur général au parlement de Bretagne, La Chalotais prend part à l'offensive déclenchée par la magistrature, gallicane et janséniste, contre la Compagnie de Jésus, en publiant en 1761 un Compte rendu des constitutions des Jésuites. Après leur expulsion (1764), il critique l'enseignement dispensé dans leurs collèges, dans un Essai d'éducation nationale où il expose ses idées sur la pédagogie, prônant notamment l'abandon du latin. Ennemi déclaré du duc d'Aiguillon, qui est commandant en chef en Bretagne, il engage le combat contre celui-ci au nom de la défense des privilèges bretons. En 1764, le parlement de Bretagne adresse au roi des remontrances sur l'administration de la province et s'oppose à la perception d'un impôt supplémentaire. L'affaire s'envenime, et les magistrats de Rennes démissionnent ou se mettent en grève (mai 1765). En novembre, Louis XV fait arrêter les meneurs, dont La Chalotais et son fils, qui sont enfermés à la forteresse de Saint-Malo et jugés pour sédition. Ces événements déclenchent un mouvement de contestation dans toutes les cours de justice. C'est alors que le roi tient au parlement de Paris la célèbre « séance de la Flagellation » (3 mars 1766), lors de laquelle il réaffirme son pouvoir absolu, condamne le principe de l'unité de la magistrature et les prétentions parlementaires au partage du pouvoir législatif. Mais, pour calmer les esprits, il arrête le procès de La Chalotais, qu'il exile à Saintes (décembre 1766), jusqu'à ce que Louis XVI, à son avènement en 1774, le rétablisse dans ses fonctions.