Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Louis XI (suite)

La monarchie aux abois

Sacré à Reims le 15 août, il entend aussitôt marquer de son empreinte le gouvernement du royaume. Révoquant sans ménagement les conseillers de son père, il s'entoure de serviteurs dont le zèle et les compétences lui paraissent indubitables. Ses compagnons d'exil sont appelés à de hautes fonctions, dans une totale indifférence au préjugé nobiliaire : l'exemple le plus célèbre reste celui du barbier Olivier Le Daim, anobli quelques années plus tard et fait comte de Meulan. Par-delà les changements d'hommes, Louis XI instaure une pratique du pouvoir qui rompt entièrement avec les méthodes de son père : tandis que Charles VII s'était entouré de conseillers dont la grande valeur fut à l'origine de la réorganisation des institutions monarchiques, son fils entend décider seul et n'accorder d'autre rôle aux hommes que celui de relais efficace de sa propre puissance. Qualifié d'« universelle araignée » par les chroniqueurs du temps, il tisse une toile politique qui constitue une anticipation en actes des préceptes machiavéliens. À la fois « lion » et « renard » comme le recommandera l'auteur du Prince, il fait primer en toutes circonstances la raison d'État : il éliminera sans scrupule tout ce qui peut en gêner l'exercice.

Aussi prend-il la mesure, dès le début du règne, du danger principal qui guette la monarchie française : l'expansion apparemment irrésistible des États bourguignons. La puissance de Philippe le Bon - celui qu'on appelle alors le « duc d'Occident » - est à la fois territoriale, politique et économique. À l'héritage paternel qui lui a apporté Bourgogne, Artois et Flandre, sont venus s'ajouter, depuis le traité d'Arras (1435), la plus grande partie de la Picardie et plusieurs villes de Champagne ; hors du royaume, ses conquêtes et annexions successives lui ont permis de s'emparer du Hainaut, du Brabant, du Luxembourg et de la quasi-totalité des Pays-Bas. Il est ainsi maître de quelques-unes des villes les plus riches et les plus dynamiques de l'Europe occidentale : Gand, Anvers, Bruges, Amsterdam, Dijon, Lille. Du vivant de Charles VII, le conflit entre la couronne de France et la maison de Bourgogne, quoique toujours latent, avait pu être évité grâce à la modération relative des deux princes. Cet équilibre fragile est rompu par l'irruption de nouveaux protagonistes : tandis que Louis, devenu roi de France, prend ses distances avec le duc de Bourgogne, la maladie et la vieillesse de ce dernier favorisent les ambitions de son fils, le bouillant Charles le Téméraire.

Une première crise éclate en 1465. Lorsque des féodaux rétifs aux méthodes autoritaires du nouveau pouvoir forment la ligue dite « du Bien public », Charles le Téméraire se joint à la rébellion, dont la direction - purement nominale - échoit à Charles de France, frère cadet du roi. Après la bataille indécise de Montlhéry (16 juillet), la guerre s'achève par les traités de Conflans et de Saint-Maur, les 5 et 29 octobre. S'il est parvenu à disloquer la coalition en signant des accords séparés avec les principaux chefs, Louis XI n'en doit pas moins consentir une réduction des prérogatives de la couronne : il renonce aux villes de la Somme - qu'il avait obligé Philippe le Bon à lui restituer - et cède la Normandie à son frère Charles. Cette première humiliation montre à Louis XI qu'une partie longue et serrée vient de s'engager, dont le caractère inexpiable autorise tous les coups et tous les procédés. Alléguant l'inaliénabilité de la Normandie, il se délie de ses engagements antérieurs et reconquiert la province à la fin de l'année 1466. De son côté, Charles le Téméraire, devenu duc de Bourgogne à la mort de Philippe le Bon, en 1467, ne dissimule plus ses ambitions : la conquête de la Lorraine lui permettrait d'assurer la continuité territoriale de ses États, du duché de Bourgogne à la Flandre et aux Pays-Bas. Il reconstitue la ligue du Bien public et s'allie en 1468 avec Édouard IV, le nouveau roi d'Angleterre, dont il épouse la sœur, Marguerite d'York. La puissance de son adversaire conduit Louis XI à chercher une solution négociée à la crise : il propose à Charles le Téméraire une entrevue à Péronne.

À cette petite ville picarde restera attaché le plus cinglant camouflet infligé à Louis XI au cours de son règne. Maître dans l'art des tactiques parallèles, Louis XI est, pour une fois, victime de son double jeu : tandis qu'il mène les pourparlers avec le Téméraire, ses agents intriguent auprès des habitants de Liège, sujets bourguignons depuis peu, pour les inciter à la révolte en cas d'échec des négociations ; mais un malentendu amène les Liégeois à se révolter, prématurément, le 9 octobre 1468. Furieux, Charles ne doute pas un instant de la collusion des rebelles et du roi. Il retient celui-ci prisonnier, bien décidé à lui faire payer cette offense. Le 14 octobre, il l'oblige à signer un traité désastreux : Louis XI doit non seulement céder la Champagne à son frère Charles, mais participer en personne à l'écrasement de la révolte liégeoise qui se réclame de son nom. Il ne retrouve la liberté que le 2 novembre.

L'extension du domaine royal

Ne songeant qu'à la revanche, le roi cherche le moyen de contourner le traité de Péronne sans provoquer ouvertement Charles le Téméraire. Il commence par transférer son frère Charles en Guyenne, craignant que cette province ne vienne indirectement agrandir l'État bourguignon. En novembre 1470, il réunit à Tours une assemblée de notables acquis à sa cause, qui dénonce le caractère coercitif du traité de Péronne et déclare que « selon Dieu et conscience, et par tout honneur et justice, le roi est quitte et délié desdits traités ». Ainsi s'amorce la stratégie longue et délicate qui aboutira à la chute du Téméraire et au démantèlement de l'État bourguignon. L'année 1472 marque indiscutablement le déclin du puissant « duc d'Occident ». Entré en campagne en Picardie, il met à sac la petite ville de Nesle, terrorisant la région, mais son élan vient se heurter à l'héroïque résistance des habitants de Beauvais : Louis XI comblera la ville de privilèges et dotera richement Jeanne Laisné - dite plus tard Jeanne Hachette -, qui s'est illustrée par sa bravoure. Année d'autant plus faste pour le roi de France qu'il se défait de deux des grands féodaux alliés au duc de Bourgogne, les ducs d'Alençon et d'Armagnac, et que disparaît son frère Charles de Guyenne, peut-être empoisonné sur son ordre. C'est avec un art consommé que Louis XI démembre pièce après pièce le système d'alliances mis au point par le Téméraire. Sans doute l'imminence du péril décuple-t-elle chez lui l'intelligence tactique, comme l'a remarqué son conseiller Philippe de Commynes. Lorsqu'en 1475, Édouard IV débarque à Calais pour faire valoir ses droits sur la couronne de France, la situation pourrait devenir très critique si les troupes de Charles le Téméraire opéraient rapidement leur jonction avec celles de son beau-frère. Louis XI va s'engouffrer dans la brèche que lui offrent les atermoiements du duc de Bourgogne : exploitant habilement la rancœur d'Édouard IV - qui ne comprend pas pourquoi l'armée bourguignonne s'attarde en Lorraine et ne lui apporte pas l'aide promise -, il entame des pourparlers avec les Anglais. Ni l'un ni l'autre des belligérants n'ayant l'intention de combattre, l'entrevue des deux monarques aboutit, le 29 août 1475, à la signature du traité de Picquigny. Le climat d'euphorie qui préside aux négociations est tel que Louis XI dira : « J'ai chassé les Anglais avec du vin et du pâté de venaison, plus aisément que mon père, Charles septième ! » La boutade est pertinente : sans coup férir, le roi de France vient de mettre un point final à la guerre de Cent Ans. La défection des Anglais et des principaux féodaux laisse le Téméraire seul devant son adversaire. Le sort s'acharne alors sur un prince qui cherche dans la surenchère guerrière le moyen de rétablir sa position. Une campagne malheureuse contre les Suisses, en 1476, se solde par les défaites de Granson et de Morat. En proie aux pires difficultés, le Téméraire attaque René de Lorraine et meurt sous les murs de Nancy, au début de l'année 1477. S'il exulte en apprenant la mort de son adversaire, Louis XI n'ignore pas que le démembrement de l'État bourguignon exigera autant de vigilance et d'habileté qu'il en a fallu pour l'abattre. Il occupe aussitôt le duché et le comté de Bourgogne - la future Franche-Comté - ainsi que la Picardie. Il ambitionne en outre de marier au dauphin - âgé de 8 ans ! - Marie de Bourgogne, fille unique de Charles le Téméraire, et de s'approprier ainsi la totalité de l'héritage bourguignon. Mais la jeune fille, qui ne manque pas de prétendants, décide d'épouser Maximilien de Habsbourg : les riches régions flamandes échoient ainsi à la maison d'Autriche. Le traité d'Arras, en 1482, avalise cette répartition des anciennes possessions bourguignonnes.