Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
N

nationalisme. (suite)

Pour résoudre la crise, chacune des forces politiques en présence propose ses remèdes, toutes ayant en commun le désir de servir au mieux la patrie. Les royalistes tiennent pour indispensable le retour aux valeurs de la tradition, de la religion catholique, léguées par l'Ancien Régime. Ainsi s'explique le vœu de nombre de députés catholiques, élus le 8 février 1871, d'ériger une basilique dédiée au Sacré-Cœur, sur la colline de Montmartre, dite « basilique du Vœu national ». La conception de la nation proposée par les républicains opportunistes - qui conduisent la France à partir de 1877-1879 - marque un retour au modèle révolutionnaire, girondin plus que montagnard, bourgeois plus que populaire. Il est fondé sur un souci civique d'éducation et de redressement national que partage la Ligue des patriotes, fondée en 1882. Toutefois, cette dernière organisation a alors strictement pour but « la révision du traité de Francfort et la restitution de l'Alsace-Lorraine à la France » (article 2 de ses statuts), et non l'expansion outre-mer prônée par Jules Ferry. Les partisans du nationalisme continental, fidèles à la tradition jacobine, sont dirigés par l'extrême gauche radicale. C'est en son nom que Clemenceau attaque vivement Ferry en 1885, et contribue à sa démission.

L'infléchissement à droite.

• Ces années 1885-1890 marquent un tournant dans l'histoire du nationalisme : par étapes successives, le courant nationaliste se transforme, modifie ses priorités, infléchit son programme, et se rétrécit sur l'Hexagone. Il devient ainsi de plus en plus sympathique à la droite. La crise boulangiste inaugure cette transformation. Plusieurs courants se liguent contre la république opportuniste en une coalition hétéroclite : radicaux hostiles à une politique extérieure terne et dispendieuse, socialistes irrités par la faillite sociale du régime, catholiques aigris par les lois anticléricales, bonapartistes et royalistes gagnés par l'espoir d'un changement de nature de l'État. Dans cette nébuleuse, on perçoit un idéal de socialisme patriote, plus proudhonien que marxiste, associé à un individualisme antiparlementaire, mêlé de fédéralisme. Un exemple de cet amalgame idéologique, aussi étrange qu'éphémère, est fourni par l'équipe du quotidien la Cocarde, dirigé plus tard par Maurice Barrès (5 septembre 1894-7 mars 1895). Le socialisme national qu'y défend Barrès a pu paraître annoncer l'orientation délibérément antibourgeoise et antilibérale des régimes fascistes (selon l'historien Zeev Sternhell). Tout compte fait, le boulangisme frappe par la modestie de son programme global, limité à l'instauration d'une République forte, respectée à l'extérieur, et appuyée à l'intérieur sur la confiance du monde ouvrier. Ces aspirations coïncident avec celles de Déroulède, champion du boulangisme, attaché à une République plébiscitaire, apte à rassembler le peuple de France (« républicains, bonapartistes, légitimistes, orléanistes ; c'est 'Patriote' qui est le nom de famille ») dans la perspective de « la revanche » et consolidée par l'élection au suffrage universel du chef de l'exécutif. Ces thèses ne sont pas demeurées lettre morte, et le jeune saint-cyrien Charles de Gaulle, qui rend visite à Déroulède, un an avant sa mort, en 1913, saura s'en souvenir.

L'affaire Dreyfus n'est pas une simple répétition : c'est une autre crise qui atteint le corps même de la nation, l'armée, la justice, l'administration, l'Église, les fondements de l'État, les ressorts mêmes de l'identité nationale. La réaction première de l'ensemble de la classe politique est la défense instinctive des institutions. Le patriotisme des premiers dreyfusards n'est pas moins ferme que celui des antidreyfusards, comme le montre le cas du dreyfusard Péguy, ardent socialiste non moins qu'ardent patriote. C'est à l'occasion de l'affaire Dreyfus que surgit un autre nationalisme, hanté par l'angoisse de la décadence, plus xénophobe, plus antisémite et plus axé sur les questions de réforme intérieure que ne l'avait été le boulangisme. La Ligue de la Patrie française, fondée en 1898, rassemble, sous l'égide de Jules Lemaître et de François Coppée, une coalition de notables, soucieux d'assainissement intérieur, par la réforme de l'État et par l'épuration des éléments « anti-nationaux », tels les juifs, les étrangers, les francs-maçons. Repris dès 1899 par la revue l'Action française, que fondent en juin deux jeunes intellectuels, Maurice Pujo et Henri Vaugeois, le combat nationaliste se renforce par l'adhésion de Charles Maurras, qui définit les linéaments d'une doctrine nationaliste - le « nationalisme intégral » - dans son Enquête sur la monarchie (1900). Ce néo-nationalisme dresse un impitoyable procès du régime républicain, fondé sur le principe de l'élection, qui laisse s'établir des étrangers sur le territoire national, et qui accumule, depuis 1789, défaites, reculs et crises en politique intérieure comme en politique extérieure. Seule la restauration de la « monarchie traditionnelle, antiparlementaire et décentralisée », conforme à la nature et attestée par l'expérience historique (l'« empirisme organisateur »), rendra la parole au « pays réel », étouffé par des années de gouvernement parlementaire. Pour des raisons qu'il n'est pas toujours facile d'apprécier, cette doctrine connaît une étonnante fortune : classes moyennes atteintes par la crise économique des années 1880 et l'industrialisation accélérée des années 1900, catholiques nostalgiques de la monarchie et désemparés, ouvriers dispersés, exploités et hostiles à la répression des grèves des années 1906-1910. Des années 1905 à 1925, le nationalisme d'Action française est servi par une conjoncture favorable, au point qu'il s'identifie au nationalisme français. Sa façon d'accaparer l'« union sacrée » pendant la guerre et de parler au nom des forces catholiques, au moins jusqu'à la condamnation de la ligue d'Action française et du journal du même nom par Pie XI en 1926, accrédite cette impression.

Le nationalisme défensif des républicains.