Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Résistance. (suite)

Reste l'aspect le plus délicat de la mission : l'unification politique et militaire. Après de longues négociations et les voyages à Londres, en septembre 1942, de Frenay et d'Astier, Moulin impose aux trois grands mouvements de zone sud (Combat, Libération et Franc-Tireur) le principe de leur fusion dans les Mouvements unis de résistance (MUR). Le premier comité coordinateur des MUR, sous la présidence de Moulin, se réunit en janvier 1943.

L'unification de la zone nord est autrement plus difficile. Non seulement les oppositions politiques, en raison de l'importante implantation communiste, sont plus fortes qu'en zone sud, mais les mouvements y sont plus nombreux et plus éclatés du fait de l'impitoyable répression allemande. Au début de 1943, deux des principaux responsables du BCRA, Passy et Brossolette, se rendent personnellement en zone nord pour une mission exploratoire. En mars 1943, est constitué un Comité de coordination de zone nord, formé du Front national, de l'OCM, de CDLR, de CDLL et de Libération-Nord. Au même moment, Moulin, devenu commissaire du Comité national français, est de nouveau parachuté en France. Son autorité est désormais étendue aux deux zones. Sa mission, aux termes des instructions de de Gaulle, consiste à former un Conseil national de la résistance (CNR). La question de la participation des partis politiques continue de soulever des tempêtes. Toutefois, l'opposition des résistants de l'intérieur commence à s'émousser sous l'effet de la querelle de Gaulle-Giraud. En effet, le général Giraud a profondément choqué les résistants en faisant très peu de cas de leur combat et en maintenant, en Afrique, la législation de Vichy. De Gaulle apparaît ainsi chaque jour davantage comme le seul fédérateur possible de la Résistance. Surmontant leurs réticences, les résistants finissent par se résoudre à accepter la solution proposée par Moulin, qui, au reste, se montre conciliant (au sein du CNR, les partis ne sont pas représentés en tant que tels, mais seules sont officiellement admises des « tendances politiques »). Malgré cette subtile distinction, la création du CNR, le 27 mai 1943, marque le triomphe de la conception gaullienne de l'unification. Sous l'autorité de Moulin, le CNR réunit huit mouvements de résistance (les trois mouvements des MUR et les cinq du Comité de zone nord), six « tendances politiques » (communistes, socialistes, radicaux, démocrates-chrétiens et les deux familles de la droite libérale représentées avant la guerre par l'Alliance démocratique et la Fédération républicaine) et deux syndicats (la CFTC et la CGT, laquelle vient de se reconstituer en avril 1943 après la réconciliation des réformistes de Jouhaux et des communistes de Frachon). Après l'arrestation de Jean Moulin à Caluire (21 juin 1943), la direction du CNR revient à Georges Bidault. Cette nomination marque le début du refroidissement des relations entre le CNR et de Gaulle. Pour celui-ci, en effet, le CNR n'est qu'un organe de légitimation et sa présidence ne peut être exercée que par son propre représentant en France. Pour les résistants de l'intérieur, et en particulier pour les communistes (qui ont fortement appuyé la candidature de Bidault et qui ont entrepris une opération de conquête de la Résistance intérieure), le CNR, fort de sa propre légitimité, a vocation à devenir le gouvernement de la Libération. À partir de la fin de l'année 1943, une suite ininterrompue d'accrochages émaille les relations entre le CNR et le CFLN (Comité français de libération nationale).

Parallèlement au processus d'unification, les années 1942-1943 sont marquées par un net renforcement de la Résistance. La presse clandestine s'affirme comme une entreprise de toute première importance et pénètre en profondeur la société française. Les archives de la seule Bibliothèque nationale indiquent l'existence de plus de mille titres. Chaque mouvement dispose de son organe principal, aux tirages dorénavant considérables et aux éditions régionales diversifiées : Combat tire à 80 000 exemplaires en 1943, puis à 150 000 en 1944, et s'appuie sur cinq éditions régionales. Les mouvements développent également une presse spécialisée dans les études et la réflexion où les grandes questions de la Libération sont abordées (les Cahiers politiques pour le CGE, les Cahiers de la Libération pour Libération, ou l'Université libre pour le Front national). Alors que l'encre et le papier sont interdits à la vente, ces tirages importants contraignent les responsables de la Résistance à réaliser des prodiges. Les seuls besoins de Combat s'élèvent, en 1944, à 3 tonnes de papier par mois, et son responsable, André Bollier, n'hésite pas à monter de fausses sociétés qui passent des commandes jusqu'en Allemagne ! À la marge de la presse clandestine, surgit une abondante littérature résistante. Les Éditions de Minuit, fondées par Pierre de Lescure et Vercors, publient dans la clandestinité les chefs-d'œuvre de cette littérature : le Cahier noir de Mauriac, le Silence de la mer de Vercors ou le Musée Grévin d'Aragon.

Sur le plan des effectifs, l'année 1943 marque un tournant considérable. La loi sur la mobilisation de la main-d'œuvre (septembre 1942) et l'organisation du Service du travail obligatoire (STO), en février 1943, provoquent un brusque afflux de jeunes volontaires (les « réfractaires ») et l'apparition du phénomène des maquis. Alors que la Résistance manque d'armes et d'argent, il faut, en catastrophe, encadrer, former et nourrir ces milliers de volontaires. Les MUR créent un Service national des maquis (dirigé par Brault) et un Comité d'action contre la déportation (Yves Farge), qui fabrique des milliers de fausses cartes d'identité. Pourtant, tous les problèmes sont loin d'être réglés. Les armes et l'argent continuent à faire défaut, au point que la tentation est parfois forte d'accepter les offres d'enrôlement des services secrets américains. Certains maquis en sont réduits à des expédients (aide de la population paysanne, réquisitions, voire attaques de banques) ou à écouler les « bons du Trésor » émis à Alger par le CFLN. La question primordiale demeure celle des armes : dans les maquis, il n'est pas rare de compter une arme (bien souvent un vieux fusil) pour quatre ou cinq combattants. Cette pénurie s'explique par le fait que les Alliés, qui doutent de l'efficacité de la guérilla en France, ne souhaitent pas affecter les équipages de leurs bombardiers (déjà en nombre insuffisant sur l'Allemagne) à des opérations de parachutage des armes. En outre, lorsqu'il y a parachutage, c'est le plus souvent au bénéfice des réseaux ou des maquis directement encadrés par les services alliés, les FTP (communistes) faisant fréquemment les frais de ces partages inégaux. Il faut attendre le début de 1944, dans le cadre de la préparation du débarquement, pour voir les parachutages se faire plus nombreux, les Alliés finissant par être convaincus que des destructions sélectives peuvent être plus efficaces que les raids de terreur sur les agglomérations industrielles françaises.