Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Tocqueville (Charles Alexis Henri Clérel de), (suite)

L'Ancien Régime et la Révolution française.

• Comme nombre de ses contemporains, Tocqueville cherche à comprendre la France à travers l'épisode révolutionnaire. Marqué par la pensée de Montesquieu, il ne peut envisager le cours de la Révolution sans ausculter les institutions. Son enquête le conduit à dépouiller systématiquement les cahiers de doléances de la généralité de Tours, ville où il réside durant l'année 1853. Lors de sa parution en 1856, l'Ancien Régime et la Révolution tranche sur l'ensemble des tentatives antérieures et devient une enquête sur le passage d'une ancienne à une nouvelle France. Le cœur de la démonstration fait de la Révolution l'héritière d'une mission centralisatrice que la crise de l'Ancien Régime ne permettait plus de mener à bien. Et l'Ancien Régime, par l'abaissement progressif de l'aristocratie, y est dépeint comme l'ouvrier secret et inconscient du phénomène démocratique. Tocqueville établit une opposition entre liberté et démocratie, un lien entre la mort de l'aristocratie et la montée du despotisme : « Parmi toutes les sociétés du monde, celles qui auront toujours le plus de peine à échapper pendant longtemps au gouvernement absolu seront précisément ces sociétés où l'aristocratie n'est plus et ne peut plus être », écrit-il dans l'Ancien Régime et la Révolution

Une pensée, une démarche.

• Sur un plan historiographique, la dernière œuvre de Tocqueville marque le dépassement de l'opposition entre des auteurs qui s'attachent à intégrer le legs de la Révolution dans l'histoire nationale (Mignet, Thiers, Guizot, Louis Blanc) et d'autres qui sont nostalgiques de l'Ancien Régime (Bonald, de Maistre...). Avec lucidité, il utilise son appartenance au clan des vaincus pour dévoiler le sens caché de l'événement, pour « penser la Révolution », selon la formule de François Furet. Cet apport, qui rend sa figure singulière jusqu'à nos jours, s'appuie sur une remarquable qualité d'investigation : qu'il s'agisse de l'enquête sur le terrain en Amérique ou de l'exploration pionnière des sources d'archives telles que les cahiers de doléances, Tocqueville fonde ses hypothèses générales sur une documentation de première main. Avec l'Ancien Régime et la Révolution, il offre l'un des premiers modèles d'interprétation sociologique d'une crise historique.

Bien que croyant à des lois de l'histoire et au comparatisme hérité de Montesquieu - ce qui l'amène à surestimer le rôle déterminant des institutions au détriment des hommes -, il partage avec Marx l'intérêt pour les facteurs idéologiques à l'œuvre dans le corps social et la conviction que les « classes, elles seules, doivent occuper l'histoire ». Situer Tocqueville demeure donc une épreuve : Jaurès et Taine y puisent, chacun, des arguments. Versant aristocratique de l'idéologie libérale, il demeure irréductible à Guizot, pour qui l'aristocratie est un obstacle à la liberté. Si sa nostalgie l'enracine à droite, sa vision de l'histoire en fait le prophète d'un usage raisonné de la démocratie.

Toison d'or (ordre de la),

ordre de chevalerie fondé à Bruges, le 10 janvier 1430, par le duc de Bourgogne Philippe le Bon.

L'ordre de la Toison d'or, ainsi nommé par référence à la légende de Jason et à la tunique de Gédéon, rassemble 31, puis 51 et finalement 61 nobles des états bourguignons, élus par cooptation puis nommés, sous l'autorité du duc, grand-maître de l'ordre. À l'instar des autres ordres de chevalerie créés aux XIVe et XVe siècles, celui de la Toison d'or cherche à restaurer l'état nobiliaire et les valeurs chevaleresques minés par la crise économique et sociale et par l'essor des pouvoirs souverains. Ses statuts insistent ainsi sur les rites de la fraternité chevaleresque et sur le faste des fêtes qui réunissent régulièrement l'ensemble des membres. Toutefois, l'ordre de la Toison d'or se distingue par l'accent mis sur l'idée de croisade et par la volonté des ducs de Bourgogne de regrouper autour d'eux l'élite de la noblesse d'une principauté éclatée entre la Flandre et leur domaine. Ces caractéristiques expliquent sans doute la postérité exceptionnelle de l'ordre au XVIe siècle, une fois celui-ci transmis à la maison de Habsbourg après la mort de Charles le Téméraire. L'ordre connaît un second apogée sous Charles Quint, qui élargit son recrutement à la dimension de son Empire et l'ouvre à des Espagnols, des Italiens et des Allemands. Il demeure le conservatoire de l'idéologie chevaleresque et de l'esprit de croisade, qui s'incarne alors dans la lutte contre les Turcs. Après l'extinction des Habsbourg d'Espagne, en 1700, il est conféré à la fois par les Habsbourg d'Autriche et par les Bourbons d'Espagne.

Tolbiac (bataille de),

affrontement entre les Alamans et les Francs (vers 496), qui, selon la tradition, marque une étape majeure dans le processus de conversion de Clovis au christianisme.

À la fin du Ve siècle, les Francs sont encore divisés : les Rhénans ont pour capitale Cologne, et les Saliens Tournai. Les Alamans, quant à eux, sont alors, avec les Thuringiens et les Romains de Syagrius, l'un des peuples à entrer en conflit avec les guerriers francs ; ils se sont stabilisés dans la région du Rhin supérieur, mais la menace thuringienne les amène à étendre leur territoire vers le nord en se heurtant aux Francs Rhénans. Sigebert, roi des Rhénans, est blessé (de là son surnom de « Boiteux ») lors d'un premier assaut contre la forteresse de Tulpiacum (Tolbiac, aujourd'hui Zülpich), située à une trentaine de kilomètres au sud-ouest de Cologne. Il appelle à la rescousse son allié Clovis, roi des Francs Saliens. Celui-ci espère prendre les Alamans à revers en contournant Cologne par la rive droite du Rhin, mais il doit abandonner sa tactique et rejoindre Tolbiac, que les Rhénans n'ont pas pu tenir. Selon les récits - écrits bien après les événements - de Grégoire de Tours (vers 538-594) et de Jonas de Bobbio (vers 600-659), Clovis invoque le dieu chrétien de sa femme Clotilde, dieu auquel il promet de se convertir par le baptême s'il lui donne la victoire. Peu après ce serment, les Alamans, dont le roi meurt, sont mis en déroute, et Clovis devient catéchumène. Les Alamans sont de nouveau battus par Clovis à Tolbiac en 506 et passent alors sous le contrôle des Mérovingiens.