Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
C

colonnes infernales,

expéditions militaires particulièrement sanglantes menées en Vendée sous l'autorité du général Turreau, au début de l'année 1794.

Depuis décembre 1793, la grande armée catholique et royale est anéantie, mais des bandes restent actives dans le Marais et dans les Mauges. Turreau, commandant des troupes républicaines dans l'Ouest, entend les soumettre par la force : négligeant le plan de pacification musclé proposé par le général Kléber, et se réclamant des mots d'ordre lancés par la Convention en août et octobre 1793 pour détruire les « brigands de Vendée », il organise vingt-quatre « colonnes incendiaires ». Le Comité de salut public, averti, renouvelle sa position : exterminer les insurgés, mais évacuer les femmes, les enfants et les hommes sans armes. Sur place, Turreau donne blanc-seing à ses généraux, qui, dans l'ouest de la région, continuent de traquer Charette de la Contrie, tandis que, dans l'est et le centre, Huché, Cordelier et Amey laissent leurs hommes tuer, violer, incendier, villages et bourgades. Le bilan humain est effroyable : certaines communes perdent des centaines d'habitants ; le bilan politique et militaire n'est pas moins catastrophique : les premières tentatives de pacification sont ruinées, le conflit renaît et les chefs vendéens - Charette et Stofflet - se taillent de véritables fiefs. Et la guerre de Vendée acquiert à cette occasion ce caractère de cruauté qui a marqué les consciences jusqu'à nos jours.

colporteurs,

vendeurs ambulants dont l'apparition est certainement liée au développement des villes et des foires, et qui se sont organisés en une corporation vers le XIIIe siècle. « Colporter » vient du latin comportare (« transporter [pour vendre] »), mais, dès le XIVe siècle, « colporteur » - et non plus « comporteur » - est compris comme « porteur à col », portant sur son dos à l'aide d'une courroie (ou bricole) une vaste hotte (la balle).

La plupart des colporteurs sont trop modestes pour pouvoir s'offrir une bête de somme ou véhiculer leurs marchandises sur une charrette. De village en village, ils vendent les produits de l'industrie urbaine : étoffes et mercerie, médailles et remèdes, et, à partir du XVIe siècle, petits livres imprimés.

Le colportage des livres.

• Cette activité remonte probablement à l'époque de l'invention de l'imprimerie, puisque le plus ancien ouvrage imprimé en français est un almanach, le Grand Compost ou Calendrier des bergers (1493). Au XVIe siècle se tient, à Lyon, une foire aux livres annuelle, où Rabelais lance, en 1532, Pantagruel, inspiré par le succès des anonymes Chroniques gargantuines. Bien que les colporteurs remplissent toujours leur balle au gré de l'offre et de la demande, sans exclusive, certains éditeurs tels Oudot et Garnier à Troyes, au XVIIe siècle, orientent leur production pour ce marché particulier. Au XVIIIe siècle, toute grande ville située au nord de la Loire a son imprimeur-libraire travaillant pour le colportage. Le succès commercial repose d'abord sur une fabrication à moindre coût : papier rugueux, réemploi de caractères usés et de vieux bois gravés, et, en guise de reliure, le grossier papier bleu dans lequel on enveloppe aussi les pains de sucre - d'où le nom de « bibliothèque bleue » que les éditeurs troyens donnent, au XVIIIe siècle, à leur collection. Le fonds de commerce des colporteurs se compose essentiellement d'almanachs, de livres de piété, d'ouvrages pratiques - conseils en agriculture, astrologie et médecine populaire -, de romans médiévaux sentimentaux et de contes traditionnels ou plus récents. Considérée, avec dédain, par Voltaire et d'autres lettrés comme un facteur d'immobilisme, refuge d'ignorance et de superstitions, la littérature de colportage s'ouvre pourtant, à la veille de la Révolution, et sous l'impulsion de Benjamin Franklin - lui-même imprimeur et fondateur d'almanachs -, à un rôle très différent de relais culturel et politique. De fait, parce que les colporteurs se jouent aisément de la surveillance policière, les régimes autoritaires du XIXe siècle redoutent leur influence sur l'esprit public. La Commission d'examen des livres de colportage, créée en 1852, marque, à double titre, un tournant : critiquant le fonds ancien aussi bien que les nouveautés - romans populaires et almanachs « rouges », accusés de démoraliser les campagnes et de favoriser l'irréligion -, elle précipite la ruine d'éditeurs spécialisés tels que Pellerin à Épinal ou Noblet à Paris. Le rapporteur de cette commission, Charles Nisard, dresse le premier inventaire systématique de leurs catalogues, et mène la première étude historique concernant la littérature de colportage.

Une profession qui évolue.

• Du XVIIe au XIXe siècle, les règlements de police, les patentes et la diffusion des ouvrages spécialement imprimés pour le colportage permettent de suivre l'évolution de cette corporation. Les petits colporteurs, souvent munis d'un certificat d'indigence qui les dispense du paiement de la patente, pratiquent leur activité aux alentours de leur domicile, vendant des almanachs et de la bimbeloterie de manière intermittente, en complément, par exemple, de travaux agricoles saisonniers. D'autres colporteurs, tout aussi pauvres et également pourvus d'un certificat d'indigence, parcourent la France en n'importe quelle saison : cette errance permanente leur permet de passer à travers les mailles de la police et du fisc. Au cours du XIXe siècle, le pouvoir considère avec méfiance le colportage des livres, alors qu'il encourage celui des produits manufacturés. Apparaissent, sous la Restauration, des chefs d'entreprise employant dix à douze vendeurs ambulants, chevronnés et solidaires, souvent issus des zones montagneuses trop peuplées, tels le massif de l'Oisans ou le haut Comminges. À partir du Second Empire, la vente ambulante bénéficie du progrès des postes et des chemins de fer : certains colporteurs, de mieux en mieux organisés et de plus en plus prospères, commencent à se spécialiser, à passer commande sur catalogues, et même à commercer dans des contrées lointaines (Claude Chouvin, colporteur-fleuriste dauphinois, vend des graines et des bulbes d'Europe en Amérique latine). Les colporteurs traditionnels disparaissent peu à peu, et sont remplacés par les commis voyageurs ou les représentants modernes.