Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
A

almanach, (suite)

Diffusés par colportage et vendus très bon marché (quelques sous), offrant la possibilité de lire à ceux qui maîtrisent à peine la lecture, les almanachs sont souvent les seuls ouvrages qui pénètrent dans les milieux populaires ruraux et urbains : ils constituent « le livre de la classe la plus modeste, et qui lit peu » (le Messager boiteux, 1794). Leur large diffusion explique la surveillance dont ils sont l'objet, notamment à l'époque de la Contre-Réforme, en raison de leur contenu parfois sulfureux (édits de 1560, 1579, 1620), mais aussi la tentation du pouvoir royal d'y inscrire sa propagande.

Le succès des almanachs perdure au XIXe siècle. Depuis la Révolution française, la politique y a fait son entrée : aux almanachs révolutionnaires (le Père Duchesne, 1791), puis socialistes ou anarchistes (le Père Peinard, 1894), répondent les almanachs contre-révolutionnaires (Almanach de l'abbé Maury), conservateurs ou cléricaux (Almanach du pèlerin). Tandis que les almanachs spécialisés (de mode ou de chansons, « calendriers gourmands », etc.) se multiplient, les almanachs « généralistes » poursuivent leur carrière, parfois jusqu'au XXe siècle (ainsi l'Almanach Vermot, né en 1886, ou le toujours populaire Almanach du facteur). Mais la concurrence de la presse grand public et des autres médias de masse leur ôte peu à peu leur caractère de lecture privilégiée des milieux populaires.

alphabétisation.

Ce néologisme, d'apparition assez récente mais d'usage universel, pose des problèmes de définition qui tiennent à l'évolution de la place et des fonctions de l'instruction dans les sociétés avancées, mais aussi à la diffusion des valeurs fondamentales de ces sociétés dans l'ensemble des pays du monde. La colonisation a en effet éveillé, au cours du XXe siècle, des aspirations nationales et sociales qui avaient auparavant conféré, dans les pays développés, une importance primordiale à l'accès des populations à la culture écrite.

Polysémie d'un terme.

• Dans son Grand Dictionnaire universel du XIXE siècle (1866), Pierre Larousse fait figurer le verbe alphabétiser, ainsi défini : « lire, épeler l'alphabet ». De cette définition du mot par l'apprentissage qu'il désigne, on est passé, dans la seconde moitié du XXe siècle, à une définition par l'enseignement que cet apprentissage suppose. Et le Trésor de la langue française précise que cet enseignement des « rudiments de la lecture et de l'écriture » s'adresse « à des couches sociales ou à des groupes ethniques défavorisés », tant la géographie et la sociologie actuelles de l'analphabétisme dans le monde entretiennent de liens de causalité réciproques avec celles du sous-développement. L'élargissement du contenu de l'alphabétisation, dont témoignent les définitions des experts de l'UNESCO en 1951 puis en 1962, indique le moment de notre histoire où la promotion de chaque homme a été jugée déterminante pour le développement des peuples et des nations.

La lecture : du religieux au politique.

• C'est dire les difficultés que soulève l'emploi rétrospectif du même terme par les historiens lorsqu'ils abordent la question des lents progrès passés de l'instruction populaire. La situation particulière de la France ajoute encore à ces difficultés de principe, dans la mesure où la question, comme l'ont souligné François Furet et Jacques Ozouf, a longtemps été liée aux enjeux essentiels de notre vie politique. Au lendemain de la défaite de 1871, cause immédiate du grand élan qui a conduit les républicains à placer l'enseignement primaire obligatoire en tête de leur programme, le linguiste Michel Bréal, futur conseiller de Jules Ferry, affirmait que l'enseignement primaire, partout où il s'était développé avant le XIXe siècle, était fils du protestantisme. L'obligation de la lecture directe de la Bible, source et aliment constant de la foi protestante, a en effet ouvert et longtemps commandé le processus d'alphabétisation des Français. Car elle a aussitôt fait naître une concurrence féconde : pour triompher des protestants sur leur propre terrain, les catholiques ont à leur tour privilégié l'accès au texte sacré comme instrument d'évangélisation.

De religieuse qu'elle était aux temps de l'affrontement entre Réforme et Contre-Réforme, la question est devenue politique une fois consommée la rupture de 1789. La philosophie des Lumières avait certes préparé l'émergence des nouveaux termes du débat : l'instruction ne devait plus seulement servir à former des croyants et des sujets, mais éclairer les hommes et leur ouvrir les voies de l'émancipation. Nul ne l'a mieux montré que Condorcet : le remplacement de la monarchie absolue par un régime fondé sur la souveraineté du peuple impose à l'État la formation de citoyens proclamés libres et égaux. L'obligation nouvelle est de leur rendre intelligibles non plus les dogmes de leur foi, mais leurs droits et leurs devoirs. Dans une société désormais travaillée par les oppositions entre traditionalistes et libéraux, en marche vers la réalisation d'idéaux laïques et démocratiques, le déplacement du conflit de la sphère religieuse sur le terrain politique a eu pour effet de valoriser plus que jamais l'accès à l'instruction. La vie politique française à partir de 1789 le confirme constamment, et ce conflit ne se distingue plus, dès lors, de celui qui oppose Révolution et Contre-Révolution.

L'enquête de Maggiolo : débats et constats.

• Il est très significatif que l'enquête fondatrice sur l'évolution historique de l'alphabétisation en France ait été lancée en 1877, au moment même où se jouait l'avenir des institutions républicaines. Son initiateur, Louis Maggiolo, ancien recteur de l'académie de Nancy, obtient alors du ministère une mission de recherche sur l'état de l'enseignement primaire avant 1789. La logique de ce projet traduit les préoccupations du temps : l'alphabétisation n'est pas conçue indépendamment de l'activité scolaire, dont elle est le signe et le résultat, et il s'agit de comparer l'état de l'instruction populaire avant et après la Révolution. Ni l'idée de cet inventaire ni le souci d'utiliser des procédures statistiques n'étaient nouveaux. L'État réunit des données chiffrées sur le degré d'instruction des conscrits à partir de 1827, sur les signatures au mariage à partir de 1854, enfin sur le degré d'instruction des Français dans les recensements de la population de 1866 et 1872, et de nouveau à partir de celui de 1901. L'apport considérable de Maggiolo tient à l'extension chronologique de son enquête et aux moyens qu'il a su se donner pour la mener à bien. Près de 16 000 instituteurs ont relevé pour lui, dans leur commune, les signatures des époux sur les actes de mariage pour quatre périodes quinquennales : 1686-1690, 1786-1790, 1816-1820 et 1872-1876.