Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
R

Révolution française (suite)

Sans-culottes et « enragés » veulent en effet une révolution sociale (ils réclament notamment la taxation des riches et la fixation du prix des grains) ; ils s'allient aux montagnards, lesquels acceptent les principes de l'égalité sociale, pour dénoncer le « modérantisme » des girondins. Ces derniers, refusant ces atteintes au droit de propriété, contre-attaquent en mettant en accusation Marat et des chefs de file sans-culottes (tel Hébert), et en menaçant Paris d'une invasion de troupes qui viendraient des départements. Mais, le 31 mai et le 2 juin, employant la force armée, les sans-culottes parisiens donnent la direction de la Convention aux montagnards et obtiennent l'arrestation des principaux députés girondins. Or, dans le même temps, à Lyon, le pouvoir change de mains au profit des girondins, et les administrateurs de nombreuses villes et départements refusent également l'« anarchie » de la capitale : cependant, ce mouvement de protestations, qui va bientôt recevoir de ses adversaires le nom de « fédéralisme », ne réussit pas à s'organiser et à s'opposer militairement aux sans-culottes, notamment par peur de livrer le pays aux contre-révolutionnaires. Les montagnards et sans-culottes parisiens, appuyés sur le réseau des sociétés jacobines, assimilent le fédéralisme à la Contre-Révolution et le combattent. Ils identifient la révolution dirigée depuis Paris à l'unité nationale, justifiant le centralisme français. Les montagnards tentent, en adoptant une nouvelle Constitution (24 juin 1793), de « fixer » la Révolution autour de principes généreux, mais dont l'application est repoussée à la paix. Au-delà des catégories consacrées par l'historiographie pour distinguer les modérés des extrémistes sur les questions économiques et sociales, girondins et montagnards sont, de fait, attachés aux principes universalistes, libéraux, alors que les sans-culottes appartiennent aux courants communautaristes. Les conflits politiques doivent donc être interprétés selon ces multiples critères, qui expliquent les alliances, les revirements brutaux et les luttes byzantines, donnant lieu à des configurations complexes.

L'été et l'automne 1793 sont marqués par un effort de guerre exceptionnel contre les armées étrangères et les ennemis de l'intérieur (fédéralistes, vendéens). L'assassinat de Marat par Charlotte Corday, le 13 juillet, aggrave la tension. « La terreur est mise à l'ordre du jour » par la Convention le 5 septembre, et le Tribunal révolutionnaire, créé en mars, est réorganisé. Fédéralistes, émigrés et prêtres réfractaires sont déclarés coupables de « crimes contre-révolutionnaires » et passibles de la peine capitale ; les « rebelles » vendéens doivent être détruits, en même temps que les insurgés de Lyon et de Marseille (ces deux villes reçoivent de nouveaux noms : « Commune-Affranchie » et « Ville-sans-Nom »). Cette surenchère est d'abord liée à la vacuité du pouvoir - une situation qui exacerbe les rivalités entre factions révolutionnaires. Ainsi, les montagnards acceptent des mesures sociales (loi du maximum, mise en vente par petits lots des biens nationaux, abolition définitive des droits pesant sur la terre) et rompent symboliquement avec le passé en remplaçant le calendrier romain par le calendrier révolutionnaire : cela leur vaut un soutien populaire, qui, paradoxalement, leur permet d'envoyer en prison les enragés (Varlet et Jacques Roux sont arrêtés, en septembre 1793) et de fermer les clubs les plus extrémistes, dont ceux des femmes révolutionnaires (30 octobre).

Durant les derniers mois de l'année 1793, les troupes ennemies sont repoussées ou contenues sur tous les fronts (batailles de Wattignies en octobre, ou de Wissembourg en décembre), et une victoire importante est remportée sur les vendéens (bataille de Cholet, 17 octobre). Cependant, les sans-culottes restent puissants : ils contrôlent le ministère de la Guerre, dirigent une « armée révolutionnaire », jouent un rôle prédominant en Vendée, et l'un de leurs chefs principaux, Hébert, détient l'un des journaux les plus lus, le Père Duchesne. Ils obligent le Tribunal révolutionnaire à juger la reine - accusée ignoblement par Hébert -, et à la faire exécuter (16 octobre). Plusieurs dizaines de personnalités, de la Gironde (notamment Brissot et Vergniaud, le 31 octobre ; Mme Roland, le 8 novembre) ou d'autres tendances révolutionnaires (Bailly, le 12 novembre ; Barnave, le 29) sont également condamnées à l'échafaud. En province, certains représentants en mission organisent une véritable déchristianisation et mènent une répression violente contre les prêtres, les riches et les modérés. Quelques groupes d'extrémistes couvrent par des mots d'ordre politiques des pratiques relevant du droit commun. Javogues à Saint-Étienne, Fouché à Lyon, Tallien à Bordeaux, Carrier à Nantes, puis le général Turreau dans les campagnes du sud de la Loire, commettent et laissent commettre des atrocités et des massacres.

Toutefois, les montagnards du Comité de salut public opèrent progressivement une reprise en main, parvenant à contrôler la situation au début de l'année 1794. La liberté des cultes est réaffirmée, le « vandalisme » condamné par la voix de Grégoire, et surtout la Terreur centralisée à Paris. L'atténuation des dangers immédiats permet d'accuser les hébertistes de complot et de les faire exécuter le 24 mars 1794, mettant fin ainsi à la « première terreur » provinciale. Les montagnards se retournent ensuite contre les « indulgents », ces révolutionnaires précédemment radicaux, comme Danton, qui souhaitent abandonner l'usage de la violence politique. Mis en cause pour corruption, Danton et ses amis sont envoyés à la guillotine le 5 avril. Les montagnards robespierristes, qui dominent le Comité de salut public, obtiennent tous les pouvoirs, contrôlent les sections sans-culottes, suppriment les tribunaux extraordinaires et tentent de réaliser une révolution morale, exigeante et utopique afin de créer une société régie par l'égalité et la vertu. Ainsi, le décret du 7 mai 1794 stipule que « le peuple français reconnaît l'existence de l'Être suprême et l'immortalité de l'âme », et instaure une fête spécifique, célébrée en grande pompe sous la conduite de Robespierre le 8 juin 1794. Ces mesures, censées assurer la cohésion nationale, achèvent en fait de désorienter nombre de révolutionnaires, qui ne comprennent plus les épurations successives.