Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Danton (Georges, Jacques), (suite)

Le personnage de Danton reste chargé de contradictions et de mystère. Il s'est indiscutablement enrichi grâce à la Révolution, mais ses revenus demeurent mal connus ; patriote belliciste, il n'a cessé de négocier avec les puissances étrangères ; révolutionnaire radical, puis indulgent, il n'a jamais adopté de ligne de pensée claire ; et son pragmatisme peut aussi bien correspondre à ses propres irrésolutions, à son incapacité de détenir le pouvoir, qu'à une propension authentique à l'indulgence ! Quoi qu'il en soit, Danton, ami de la vie, révolutionnaire enrichi, amoureux de ses épouses jusque dans l'excès, est devenu l'un des symboles de l'histoire révolutionnaire, figure légendaire aux aspects multiformes et contradictoires, qui influencent d'emblée toutes les approches scientifiques de l'homme tel qu'il a été.

Dardanelles (opération des),

expédition militaire franco-britannique, menée en 1915 contre l'Empire ottoman.

Née de la volonté d'échapper à l'impasse de la guerre de positions à l'ouest, l'opération des Dardanelles figure parmi les attaques désastreuses de la Grande Guerre. Les partisans de la stratégie indirecte, et en premier chef Churchill, tentent d'imposer l'idée qu'il faut affaiblir l'Empire ottoman, considéré comme le maillon le plus fragile des alliés des puissances centrales, tout en préservant les intérêts économiques et stratégiques en Méditerranée orientale. Mais les généraux sont sceptiques. C'est la raison pour laquelle la première action tentée dans les Dardanelles est uniquement navale ; c'est seulement après son échec qu'un débarquement dans la péninsule de Gallipoli est organisé, cependant trop hâtivement. Il est en effet facile aux Turcs, installés solidement en hauteur, de repousser les assaillants venus de la mer. Les Français et leurs alliés britanniques, principalement les troupes de l'ANZAC (Australiens et Néo-Zélandais), ne peuvent, pas plus que sur le front occidental, briser les lignes de défense par les assauts de l'infanterie, d'autant que l'apport de l'artillerie est insignifiant. Les assaillants restent bloqués à proximité des plages où ils ont débarqué le 25 avril 1915. La logique aurait consisté à reconnaître l'échec de l'opération le soir même ; mais l'ordre d'évacuation ne sera donné qu'en décembre. À quelques encablures de la Troie antique, l'« Iliade » s'est transformée en un enfer de pourriture : dysenterie, rats, mouches, manque d'eau et manque de place pour enterrer les cadavres. En janvier 1916, les Français doivent abandonner 27 000 morts sur les 80 000 soldats engagés. Ils reposent toujours dans l'immense cimetière militaire de la baie de Morto.

Darlan (François),

amiral et homme politique (Nérac, Lot-et-Garonne, 1881 - Alger 1942).

Après l'École navale, Darlan s'illustre pendant la Première Guerre mondiale, puis alterne, sous la protection de Georges Leygues, grands commandements et participations aux cabinets ministériels. Il joue un rôle important dans la modernisation de la flotte française. En 1937, il est chef d'état-major de la marine et, en 1939, amiral de la flotte. En juin 1940, commandant la seule arme invaincue, il occupe une position politique stratégique. Prônant d'abord la résistance, il se rallie rapidement à l'armistice et obtient le ministère de la Marine. En février 1941, après le renvoi de Laval, il accède à la vice-présidence du Conseil et devient le successeur désigné du maréchal Pétain. Cumulant plusieurs portefeuilles ministériels (Affaires étrangères, Marine, Information, Intérieur, puis Défense), il poursuit, avec un enthousiasme modéré, l'œuvre de la « révolution nationale ». Par la promotion de jeunes technocrates (Pucheu, Marion, Lehideux), souvent gagnés aux idées planistes, il privilégie la modernisation économique. Son gouvernement renforce les comités d'organisation et crée le service national de la statistique. Dans le même temps, il promulgue le second statut des juifs (juin 1941) et la Charte du travail (octobre 1941), et cautionne le virage répressif du régime en août 1941.

Mais la grande affaire de Darlan reste la Collaboration. Persuadé que l'Allemagne a gagné la guerre et qu'une reprise des hostilités serait catastrophique pour la France, il recherche un accord politique, préalable à une révision de l'armistice. Il signe ainsi les protocoles de Paris (mai 1941), qui ouvrent la voie à une collaboration militaire. Sa politique se solde par un cinglant échec : il assume la responsabilité de la perte du Levant (juin 1941), subit l'hostilité des collaborationnistes parisiens (Doriot, Déat) et des pétainistes patriotes (Weygand), demeure impuissant devant l'inexorable dégradation des conditions de vie et, surtout, constate que les Allemands n'envisagent aucune réelle concession. En avril 1942, il s'efface devant Laval, mais reste à la tête de l'armée de l'armistice. En novembre 1942, il est fortuitement présent à Alger au moment du débarquement anglo-américain. Ayant d'abord donné l'ordre aux forces vichystes de résister, il se rallie aux Américains, qui lui confient l'administration de l'empire libéré. En butte à l'hostilité radicale des gaullistes, il engage alors la politique qui sera celle du premier giraudisme : la reprise de la guerre sans le désaveu du régime de Vichy. Le 24 décembre 1942, il est assassiné par un jeune résistant royaliste, Fernand Bonnier de La Chapelle, dans des circonstances fort troubles.

Daunou (Pierre Claude François),

homme politique et historien (Boulogne-sur-Mer 1761 - Paris 1840).

Grand érudit, ce républicain modéré, libéral, proche des Idéologues, est l'un des plus influents techniciens de la Convention thermidorienne et du Directoire. Élève de l'Oratoire, professeur de philosophie et de théologie dans des collèges oratoriens, ordonné prêtre en 1787 et adepte de Rousseau, il s'engage dès 1789 dans la Révolution, défendant notamment la Constitution civile du clergé et l'éducation civique, l'une de ses préoccupations majeures. En 1792, il abandonne la prêtrise lorsque le département du Pas-de-Calais l'élit député à la Convention. Proche des girondins, il vote pour la réclusion et le sursis lors du procès de Louis XVI mais, s'il est hostile au mouvement populaire, il n'entre guère dans la lutte contre les montagnards. Spécialiste des questions juridiques, il défend la Constitution girondine, combat vigoureusement celle de 1793 et proteste contre les journées des 31 mai au 2 juin, ce qui lui vaut d'être arrêté et emprisonné en octobre 1793. Libéré après la chute de Robespierre et réintégré à la Convention en décembre 1794, il est le père, avec Boissy d'Anglas, de la Constitution de l'an III. Député au Conseil des Cinq-Cents, il est, entre autres, l'auteur de la loi du 3 brumaire an IV (25 octobre 1795), qui organise l'instruction publique et crée les écoles centrales, ainsi que l'Institut national, dont il devient membre. En 1798, sur la demande du Directoire, il rédige la Constitution de la République romaine, réplique de celle de l'an III. Mais, conscient des insuffisances du régime, il se fait révisionniste et plaide, peu de jours avant le 18 Brumaire, pour le renforcement de l'exécutif dans un important article de la Décade philosophique. Après le coup d'État, il participe à la commission chargée de rédiger une nouvelle Constitution ; toutefois, son projet libéral n'est pas retenu. Dès lors, critiquant le pouvoir personnel de Bonaparte, il devient l'un des principaux opposants au Consulat au sein du Tribunat, qu'il préside avant d'en être écarté en 1802. L'Empire instauré, il se consacre à ses travaux historiques à l'Institut ou aux Archives, dont il prend la direction en 1804, avant d'en être exclu sous la Restauration. Fondateur de l'archivistique et de l'historiographie modernes, membre du Collège de France en 1818, directeur du Journal des savants, il est élu député libéral en 1819 et en 1830. Comblé d'honneurs par la monarchie de Juillet, qui lui rend la direction des Archives et le fait pair de France en 1839, il laisse une œuvre considérable.