Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
C

Commune. (suite)

Le mouvement révolutionnaire n'est cependant pas à l'origine directe de la Commune. Il reflue en effet après l'échec de l'insurrection du 31 octobre 1870, qui suit l'annonce de la capitulation de Metz. Mais l'armistice et la capitulation de Paris suscitent la colère d'une population qui a enduré de grandes souffrances depuis le début du siège (19 septembre 1870), sans jamais cesser de croire à la libération promise. Elle s'estime dupée par le gouvernement de la Défense nationale, qu'elle accuse de l'avoir trahie. L'effervescence est immédiate, les protestations fusent de nombreux bataillons de la Garde nationale, qui se sont multipliés pendant le siège et que l'armistice a laissé armés. Ils se fédèrent à partir de la seconde quinzaine de février 1871 et élisent un comité central (15 mars). Si le parti révolutionnaire - républicain ou internationaliste - n'exerce qu'une influence minime, la Garde nationale, qui se comporte comme un pouvoir indépendant, constitue au contraire un mouvement populaire d'ampleur et une force potentielle pour la future Commune. L'exaspération et l'humiliation du peuple de Paris sont portées à leur comble à la fin février lors de l'occupation prussienne de Paris, pourtant brève et limitée aux beaux quartiers de l'Ouest.

Le divorce entre Paris et l'Assemblée nationale élue le 8 février 1871 achève de rendre l'épreuve de force inévitable. Paris a désigné des députés républicains, favorables à la poursuite de la guerre, parmi lesquels Gambetta, Victor Hugo, Garibaldi et Louis Blanc ; la province rurale a voté pour des candidats partisans de la paix et majoritairement monarchistes. La République paraît en péril : on n'a nulle confiance en Thiers (chef du pouvoir exécutif de la République française depuis le 17 février), malgré sa promesse de ne pas régler dans l'immédiat la question du régime (c'est-à-dire de ne pas remettre en cause tout de suite la République). Or le peuple parisien place la « République [...] au-dessus de tous les principes, même du suffrage universel » (Jacques Rougerie). L'Assemblée achève de se discréditer par des mesures qui sont autant de provocations et témoignent d'une méconnaissance de la situation dans la capitale et de la psychologie de ses habitants : suppression de la solde des gardes nationaux (à l'exception des indigents), alors qu'elle est leur ressource unique en période d'arrêt de l'activité économique ; abrogation du moratoire pour le règlement des loyers et des effets de commerce, qui risque de jeter à la rue des milliers de locataires démunis et d'acculer à la faillite la petite bourgeoisie commerçante, laquelle, dès lors, rejoint les mécontents ; implantation à Versailles (symbole de la monarchie s'il en est !) du siège de l'Assemblée ; nomination à la tête de la Garde nationale d'un général bonapartiste en la personne d'Aurelle de Paladines.

Tout se joue le 18 mars, lorsque Thiers envoie l'armée reprendre les canons que la Garde nationale avait mis hors de portée des Prussiens, sur les collines de Montmartre, Belleville et des Buttes-Chaumont. L'affaire tourne mal, la troupe fraternise avec les gardes nationaux et avec la foule, indignée qu'on veuille désarmer Paris. Les généraux Lecomte et Thomas sont sommairement fusillés. La rapide détérioration de la situation conduit le chef du gouvernement à abandonner la rive droite, puis à évacuer Paris, contre l'avis de ses ministres républicains, habitués à des épreuves de force pendant le siège. Il n'y eut pas, comme l'a prétendu l'accusation lors du procès des communards, un complot prémédité de la part des insurgés : les combats de la matinée du 18 mars sont défensifs et non coordonnés ; les insurgés hésitent avant de s'emparer de l'Hôtel de Ville. Le comité central de la Garde nationale, tenu peu informé, se retrouve maître involontaire de Paris au terme d'une journée qui, loin de s'inscrire dans la logique d'un processus révolutionnaire réfléchi, apparaît comme un événement imprévu.

Soixante-douze jours d'insoumission

Embarrassé de sa victoire, le comité central de la Garde nationale, après avoir refusé de marcher sur Versailles, décide la tenue d'élections municipales immédiates, tout en gardant des contacts avec le gouvernement de Thiers par l'intermédiaire des maires d'arrondissement. Le scrutin du 26 mars, destiné à élire le conseil général de la Commune, voit le succès des révolutionnaires (surtout de tendance jacobine), accentué par l'importance de l'abstention (52 %). La proclamation de la Commune, le 28, marque la rupture définitive avec Versailles. Paris est en effet proclamé « ville libre », et la nouvelle municipalité se comporte en pouvoir souverain. Elle annule les récentes décisions de l'Assemblée nationale qui concernaient Paris, décide la laïcisation des écoles communales, prend des initiatives en matière sociale, notamment d'assistance publique. En outre, elle décrète l'abolition des armées permanentes et la séparation de l'Église et de l'État, empiétant ainsi sur la compétence nationale de l'Assemblée.

Le fonctionnement des institutions de la Commune est marqué par un enchevêtrement des compétences entre les instances centrales et d'arrondissements, entre anciens et nouveaux pouvoirs (le comité central de la Garde nationale refuse de se dissoudre). Les préoccupations militaires l'emportent vite ; l'armée de Versailles, constituée le 6 avril, est grossie des renforts provinciaux et de prisonniers libérés par Bismarck. La Commune ne dispose, quant à elle, que de 40 000 fédérés, peu disciplinés malgré les efforts du délégué à la guerre Cluseret, visant à créer une véritable armée. Après une vaine offensive sur Versailles, les 3 et 4 avril, les communards sont refoulés sur la rive gauche de la Seine, à l'ouest de Paris. Les versaillais font alors fusiller plusieurs fédérés prisonniers. En représailles, la Commune vote le décret sur les otages (5 avril) et fait arrêter des membres du clergé, parmi lesquels Mgr Darboy, archevêque de Paris. Après la manifestation d'unité qu'est la « Déclaration au peuple français » du 19 avril (qui demande « l'autonomie absolue de la Commune étendue à toutes les localités de la France [...] dont l'association doit assurer l'unité française »), les revers militaires et l'isolement de Paris provoquent la division dans les rangs de la Commune. La décision de ressusciter un Comité de salut public, adoptée le 1er mai, entraîne une rupture entre la majorité jacobine et la minorité internationaliste, qui fait sécession entre le 15 et le 21 mai. En outre, la Commune dévore ses chefs militaires : Cluseret est limogé le 30 avril, son successeur Rossel démissionne avec éclat le 9 mai, ne supportant pas les intrusions du pouvoir civil dans l'exercice de la discipline militaire ; il laisse la place à Delescluze, qui n'a qu'une autorité morale et contribue à la désorganisation de la résistance après l'entrée des troupes versaillaises dans Paris le 21 mai. L'anarchie parisienne a aggravé une situation qui déjà condamnait la Commune à être écrasée.