Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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croisades. (suite)

Néanmoins, la croisade en Terre sainte échoue : après avoir subi en Anatolie des revers militaires sans guère recevoir d'appui des Grecs, Conrad gagne Acre par mer, tandis que Louis VII se rend à Antioche, où Raymond de Poitiers, oncle de la reine de France Aliénor, lui conseille vainement d'attaquer Alep. Jaloux des rapports trop étroits qui semblent s'établir entre Aliénor et Raymond, le roi entraîne la reine et le reste de son armée vers Jérusalem, où il retrouve Conrad. Une expédition commune contre Damas échoue piteusement (juillet 1148). Conrad, puis Louis VII rentrent en Occident sans avoir rien obtenu. Le roi de France échappe à une flotte de Byzantins, alors qu'Aliénor, voyageant sur un autre navire, tombe quelque temps entre leurs mains ; cet épisode illustre à la fois la mésentente qui règne désormais dans le couple royal (et qui doit conduire au divorce), et l'animosité accrue entre Grecs et Occidentaux. La croisade d'Espagne, en revanche a davantage de succès : Lisbonne, Almería, Lérida, sont prises par les croisés de la Péninsule, mais aussi par ceux de France, d'Italie, d'Allemagne et des Pays-Bas. L'échec de la croisade en Terre sainte a un énorme retentissement et provoque une profonde désillusion en Occident. Saint Bernard, qui l'avait prêchée, en subit l'opprobre et invoque, pour expliquer le désastre, les voies impénétrables de Dieu ; il ne peut toutefois atténuer le désenchantement et le durable affaiblissement de l'esprit de croisade.

Celui-ci renaît pourtant, en 1187, après la déroute des armées d'Outremer à Hattin (4 juillet) et la prise de Jérusalem par le sultan Saladin (2 octobre), qui s'empare de la relique de la vraie croix. Le pape Clément III fait alors prêcher la troisième croisade (1188-1192) par son légat Henri d'Albano. Les principaux souverains d'Occident y prennent part : l'empereur germanique Frédéric Ier Barberousse suit la voie de terre de la première croisade, remporte quelques succès, mais se noie en traversant à gué une rivière de Cilicie (10 juin 1190), et son armée se désagrège. Le roi de France Philippe Auguste débarque à Acre assiégée le 20 avril 1191, où le roi d'Angleterre Richard Cœur de Lion le rejoint le 8 juin, après avoir conquis Chypre sur un usurpateur byzantin. Les croisés obtiennent la levée du siège, la restitution de la vraie croix et la libération de prisonniers chrétiens. Philippe Auguste regagne alors la France, laissant son rival anglais démontrer sa prouesse chevaleresque en Terre sainte. Toutefois, apprenant que son frère Jean complote contre lui, Richard rembarque à Acre le 9 octobre 1192, après avoir obtenu de Saladin la reconnaissance du royaume chrétien sur une frange côtière de Tyr à Jaffa, et le droit pour les pèlerins sans armes de se rendre à Jérusalem. Une nouvelle croisade allemande, en 1197, reprend aussi Beyrouth.

La quatrième croisade (1202-1204), à l'initiative du pape Innocent III (qui lui attribue une indulgence élargie), est prêchée principalement en France par Foulques de Neuilly. Le passage par voie maritime a lieu à Venise ; mais les croisés sont si nombreux qu'ils ne peuvent payer le prix exigé. Pour s'en acquitter, les chefs de la croisade acceptent de prendre pour les Vénitiens la ville chrétienne de Zadar, en Dalmatie, qu'ils pillent (novembre 1202) et où ils hibernent. Ils s'engagent peu après à rétablir sur le trône de Constantinople Isaac II Ange, renversé par un usurpateur. Toutefois, leurs exactions rendent l'empereur rétabli hostile aux Occidentaux. C'est la raison pour laquelle les croisés l'évincent et établissent un Empire latin, attribué à Baudouin de Flandre, qui durera jusqu'en 1261. Ainsi, au lieu de la libération de Jérusalem, la quatrième croisade aboutit au siège, à la prise, puis au pillage de Constantinople, capitale de l'Empire grec chrétien orthodoxe. De très nombreuses reliques y sont dérobées et emportées en Occident.

Innocent III suscite également une croisade vers la région baltique (Livonie), présentée comme une contribution à la défense des missions chrétiennes dans cette région. En France, après l'assassinat de son légat Pierre de Castelnau, il exhorte les barons du Nord à une croisade contre les albigeois. Si celle-ci n'entraîne pas la totale disparition de l'hérésie, elle contribue à la mainmise du royaume de France sur les terres occitanes (traité de Paris, 1229). Innocent III proclame aussi une croisade en Espagne, qui aboutit à la victoire de Las Navas de Tolosa (1212), tournant décisif de la Reconquista.

Toutefois, au grand scandale de nombreux croyants, Jérusalem demeure encore entre les mains des musulmans. En 1212, en Allemagne, puis en France, naît un mouvement populaire qui réclame sa « libération ». Cette « croisade des enfants » (peut-être faut-il entendre par « enfants » des petites gens) présente de nombreuses similitudes avec la première croisade populaire : aucunement soutenus par les autorités ecclésiastiques, ces « enfants » sont en partie détournés vers la croisade albigeoise, en partie dispersés en Lombardie, tandis que d'autres sont capturés en mer et vendus comme esclaves. Quant à la cinquième croisade (1217-1221), elle est surtout le fait d'éléments germaniques. Après quelques opérations militaires en Terre sainte, puis en Égypte (prise de Damiette), les croisés se font battre près du Caire et doivent rendre Damiette. La sixième croisade (1227-1229), est lancée par l'empereur germanique Frédéric II, pourtant excommunié. Celui-ci traite avec le sultan d'Égypte al-Kamil et obtient Bethléem, Nazareth et même Jérusalem, qui ne devait toutefois pas être fortifiée ; cet accord avantageux dû à la diplomatie est mal accueilli par les chrétiens, qui y voient une trahison et la négation de l'idéal de croisade. D'ailleurs, en 1244, Jérusalem est reprise définitivement par les musulmans. Les croisades de Saint Louis (1248 et 1270) sont directement dictées par la perte de la Ville sainte. Prenant à sa charge les frais de l'expédition, le roi s'embarque à Aigues-Mortes en août 1248, et débarque en Égypte pour y affronter les musulmans. Le succès de Damiette (juin 1249) est suivi d'une défaite à Mansourah. Les croisés doivent se rendre ; Louis IX est fait prisonnier (avril 1250) ; libéré contre forte rançon, il demeure en Terre sainte plus de quatre ans, faisant fortifier plusieurs châteaux et laissant une centaine d'hommes en garnison. Après la reconquête systématique de la Palestine par les Mamelouks d'Égypte, Louis IX prend de nouveau la croix en 1267 ; il s'embarque en 1270 pour Tunis, imaginant peut-être que la ville est proche de l'Égypte, mais il meurt de maladie à Carthage, le 25 août 1270. En Terre sainte, les Mamelouks reprennent toutes les forteresses des chrétiens. La dernière, Acre, tombe en 1291. La mission et l'action des ordres religieux militaires en sont profondément modifiées : les Hospitaliers s'établissent à Rhodes, puis à Malte, continuant la lutte contre les musulmans sur mer, tandis que les Teutoniques se tournent contre les païens de la région baltique et constituent un État en Prusse. Les Templiers, quant à eux, accusés d'hérésie par Philippe IV le Bel et ses juristes, voient leur ordre supprimé en 1312. Dès lors, si la croisade en Terre sainte occupe toujours les esprits, elle demeure à l'état de projet ; désormais, on utilise la notion (et les privilèges) de croisade pour des opérations militaires de toutes sortes dirigées contre les musulmans, les hérétiques, les schismatiques et, plus généralement, tous les ennemis de la papauté, laquelle est souvent confondue avec la chrétienté.