Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
S

Saint-Barthélemy (massacre de la), (suite)

Les incertitudes quant au déroulement d'une tuerie.

• Une chronologie succincte peut être proposée, qui débute le 18 août avec la cérémonie du mariage royal, accompagnée de festivités le soir et les jours suivants. Tout bascule le 22 août, vers 11 heures du matin, lorsque, au sortir du Louvre, l'amiral Coligny est blessé par un homme embusqué ; dans l'après-midi, le roi, ses frères, sa mère et des grands du royaume se rendent au chevet de l'amiral. Les capitaines huguenots auraient alors réclamé justice, soupçonnant les Guises d'être les instigateurs de l'attentat. Un climat de tension s'instaure, qui ne s'apaise pas avec la nuit. Le lendemain, des huguenots seraient venus réitérer au roi leurs exigences de justice, et Charles IX aurait demandé aux Guises de quitter Paris. Ceux-ci auraient fait mine d'obtempérer, tout en se repliant dans leur hôtel. Dans la soirée, l'histoire se dérobe : plusieurs conseils, plus ou moins formels, se seraient tenus au Louvre, qui auraient décidé, dans des conditions encore obscures, l'exécution d'un nombre limité de huguenots avec l'appui des Guises. Vers 11 heures ou minuit, Claude Marcel, l'ancien prévôt des marchands, et Antoine Le Charon, le prévôt en exercice, auraient été convoqués au Louvre, recevant l'ordre de mobiliser la milice, de faire fermer les portes de la capitale et d'installer des pièces d'artillerie en place de Grève.

Le 24 août, entre 1 heure et 4 heures du matin, des groupes d'hommes se répandent dans la ville, mettant à mort les capitaines réformés, à commencer par l'amiral Coligny, et poursuivant leur forfait dans la population civile calviniste. Les cloches sonnent dans Paris ; surtout, un « miracle » advient dans le cimetière des Saints-Innocents, où une aubépine, sèche depuis plusieurs années, fleurit à contre-saison : l'imaginaire des « bons » catholiques y voit un signe d'acquiescement divin. Vers 11 heures, le roi tente d'arrêter le massacre en faisant publier un mandement selon lequel la mort de l'amiral et de ses lieutenants est due à un conflit privé. Le prévôt des marchands est convoqué au Louvre et reçoit l'ordre de faire cesser la tuerie, sans qu'aucun résultat n'intervienne.

Dans la soirée et tout au long de la journée du 25, Charles IX et sa mère adressent des lettres aux gouverneurs de province, dans lesquelles ils dénient toute responsabilité dans une violence qu'ils ne peuvent toujours pas contenir. Ils demandent que tout soit fait pour que les vies des huguenots soient préservées et que les clauses de l'édit de pacification d'août 1570 continuent à être appliquées.

L'instant capital a lieu le mardi 26, alors que Paris est toujours en sédition : le roi se rend solennellement au parlement et, au cours d'un lit de justice ou d'une séance royale, il renverse son argumentation, déclarant que les événements ont été déclenchés par sa volonté, qu'il a lui-même commandité l'exécution des huguenots et de leurs chefs parce qu'ils complotaient contre lui, sa famille et l'État. Il ordonne, d'une part, la fin des violences - qui ne cesseront que le 28 août sans doute - et, d'autre part, réaffirme la validité de l'édit de pacification de Saint-Germain. Entre-temps, ce sont 1 500 à 3 000 calvinistes qui sont assassinés, traînés sur les berges de la Seine ou exécutés dans les rues. Les corps sont jetés dans le fleuve. Celui de Coligny, décapité, émasculé et horriblement mutilé, est abandonné sur les berges par un groupe d'enfants, avant d'être suspendu au gibet de Montfaucon.

Les massacres en province.

• La Saint-Barthélemy n'est pas un événement exclusivement parisien. À la fin du mois d'août, des maisons huguenotes auraient été pillées à Tours, Blois, Vendôme, Amboise, et probablement à Beaugency et Jargeau, ainsi que dans les campagnes environnantes. À Soissons, le 29 août, « trois de condition » furent tués. À Montreuil, il y aurait eu également quelques morts. À Parthenay, des maisons huguenotes furent pillées, et deux civils tués, ainsi qu'un capitaine. Poitiers aurait été atteint, mais plus tardivement : le 27 octobre, on dénombrait quatre procureurs « et autres huguenots morts ».

Toutes les agressions antiprotestantes postérieures à la Saint-Barthélemy ne répondent pas toutefois à une même impulsion. Le massacre d'Orléans, commencé dans la nuit du 25 au 26 août, est comme une continuation des violences parisiennes, avec une plus grande intensité sans doute (entre 500 et 1 500 morts), de même que les violences de La Charité-sur-Loire, Saumur et Angers. Les modalités d'exécution du crime sont autres à Meaux, Lyon, Troyes et Bourges : les événements s'y déroulent en trois temps. Le premier est celui de l'emprisonnement préventif des huguenots, une fois parvenues en ville les nouvelles de Paris. Suit une phase d'attente, entrecoupée d'agressions ponctuelles contre des huguenots ou des suspects d'« hérésie » qui n'ont pas été emprisonnés, ou contre leurs maisons. Enfin, après l'arrivée de messagers venus de Paris, les prisons sont le théâtre de massacres, dans lesquels peut être soupçonné le rôle d'éléments issus des notabilités ultracatholiques. Plus éloignés, dans le temps, de la Saint-Barthélemy, les derniers massacres concernent Rouen (17-20 septembre), Romans (20-21 septembre), Bordeaux (3 octobre), Toulouse (4 octobre), Gaillac (5 octobre)...

Pourquoi la Saint-Barthélemy ?

• Les contemporains disposèrent sur-le-champ de deux versions contradictoires, mais devint dominante celle qui fut élaborée par les polémistes huguenots dans les années 1573-1580 : de grands pamphlets avancèrent l'idée d'un plan machiavélique inspiré par la Florentine Catherine de Médicis ; le massacre n'aurait été que l'aboutissement d'un long travail de dissimulation, commencé vers 1565, et qui visait à faire tomber dans un piège les réformés français et à les exterminer. Récemment, à partir de 1970, certains historiens ont avancé l'explication d'une préméditation dans le court terme : Charles IX se serait rallié au projet anti-espagnol de Coligny, délaissant le conseil de sa mère. À la fois pour éviter une guerre contre l'Espagne catholique et pour ne pas perdre le pouvoir, la reine mère aurait fait tirer sur Coligny, en collusion avec les Guises. Inquiète des conséquences de l'échec de l'attentat, elle aurait contraint le roi à accepter le principe d'un massacre général des réformés de Paris. Il y aurait donc eu un crime politique suivi d'un crime « populaire » (Janine Garrisson). Plus récemment, Jean-Louis Bourgeon a présenté la Saint-Barthélemy comme un coup de force ultracatholique dirigé par les Guises contre la politique de modération royale. Auraient joué aussi le mécontentement de la bourgeoisie parisienne contre la fiscalité royale, la pression de l'ambassadeur d'Espagne, les soldes impayées des gardes royaux, l'hostilité du parlement et des élites à l'égard de la paix de 1570. Charles IX aurait été contraint d'accepter le principe d'un massacre. Enfin, il faut souligner la source néoplatonicienne de la politique de concorde royale, une politique que l'attentat du 22 août vient déstabiliser. Dans l'espoir de la préserver et face à un blocage des rapports de forces, Charles IX et sa mère auraient conclu un accord avec les Guises, leur concédant la mort de Coligny et des chefs militaires protestants. Un arrangement politique aurait été élaboré, qui laissait la royauté à l'écart de la violence et devait lui permettre de tenter de maintenir la paix. Il y aurait eu, en quelque sorte, « crime d'amour », qui échoua parce que la capitale s'emplit d'un « rêve mystique » d'adhésion à une geste de violence « inspirée divinement ». Dans ces circonstances, Charles IX aurait pris l'initiative d'un autre simulacre, avec la déclaration qui revendiquait la responsabilité de l'ensemble du massacre. Mais, en définitive, par-delà la réalité du massacre, la Saint-Barthélemy demeure, dans son interprétation, un sujet historique dont les clés apparaissent plurielles.