Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
I

Indochine française, (suite)

L'achèvement de la conquête.

• C'est la IIIe République qui va mener à bien la construction de l'Indochine française, notamment sous le second ministère Ferry (1883-1885). En 1873, l'expédition de Francis Garnier à Hanoi pour défendre les intérêts du commerçant Jean Dupuis s'est soldée par un échec et par la mort de Garnier. En 1882-1883, l'expédition du commandant Henri Rivière connaît un sort identique. Mais, à la suite de la mort de Rivière, tué par des Pavillons-Noirs, Jules Ferry ordonne le bombardement des forts de Huê, capitale de l'Annam, qui doit accepter l'établissement d'un protectorat français (traité du 6 juin 1883). La conquête du Tonkin est également engagée, et aboutit à la même issue (traité du 25 août 1884). Mais l'affaire de Lang Son, un insignifiant accrochage militaire, est fatale à Jules Ferry, qui est renversé le 30 mars 1885, et dont la carrière politique est brisée. Le protectorat n'en reste pas moins établi sur l'empire d'Annam et sur le Tonkin. Toutefois, la « pacification » complète de ce dernier territoire n'est effective qu'en 1897. La France contrôle ainsi totalement l'ancien empire du Viêt Nam (ou du Dai-Viêt). En 1887, ces quatre territoires (colonie de Cochinchine et protectorats du Cambodge, de l'Annam et du Tonkin) sont regroupés au sein de l'Union indochinoise, qui devient en 1897 le Gouvernement général de l'Indochine.

À la suite des missions d'Auguste Pavie dans la vallée du Mékong et d'un accord avec le Siam (1893), le royaume de Louang Prabang et les autres principautés laotiennes passent également sous protectorat français, et un résident supérieur au Laos est installé à Vientiane en 1893. L'Union indochinoise compte désormais cinq territoires. Des zones d'influence au Siam (1896) ainsi que dans les trois provinces de la Chine du Sud (1898), et l'acquisition d'un territoire à bail dans la baie de Guangzhouwan, viennent compléter l'ensemble, parachevé en 1907 avec la rétrocession par le Siam de trois provinces cambodgiennes.

Mise en valeur économique et rigidités politiques.

• Sous l'impulsion de quelques gouverneurs (de Lanessan, 1891/1894 ; Paul Doumer, 1896/1902 ; Albert Sarraut, 1911/1914 et 1916/1919), une œuvre importante est accomplie dans les domaines de la santé (fondation de l'institut Pasteur de Nha Trang en 1907 par le médecin d'origine suisse Yersin, spécialisé dans la lutte contre la peste), des travaux publics et des transports (chemin de fer du Yunnan, 1910 ; le Transindochinois, achevé en 1936 ; routes impériales, canaux de drainage), et de l'éducation (création de l'université de Hanoi en 1918). L'École française d'Extrême-Orient effectue un travail considérable pour la sauvegarde du patrimoine archéologique et culturel. La prospérité de l'Indochine fait de cette colonie le joyau de l'empire français, cette prospérité entraînant celle de la puissante Banque de l'Indochine, qui, par ses filiales, contrôle une bonne partie de l'activité économique.

Toutefois, la rigidité des structures politiques, les excès de la bureaucratie, les brutalités administratives ou fiscales (effets des monopoles de l'opium, de l'alcool et, surtout, du sel qui sont péniblement ressentis), une scolarisation insuffisante (80 % d'analphabètes en 1940), et, d'une manière générale, le refus de prendre en compte l'évolution des esprits, vont engendrer un malaise croissant. L'« exercice loyal du protectorat » promis par Albert Sarraut reste lettre morte, et l'autonomie des États protégés est quasiment réduite à néant. Les souverains et leurs ministres n'ont plus qu'un rôle de figuration - sauf peut-être au Laos -, et l'autorité coloniale se contente d'adopter des réformes insignifiantes (à partir de 1922, quelques notables annamites siègent au Conseil de gouvernement de la Fédération).

Ce mécontentement, accru par les effets d'une habile propagande chinoise, menée par le parti nationaliste Guomindang, et japonaise, se manifeste pendant l'entre-deux guerres par la prolifération de sectes syncrétistes et, surtout, par la naissance en 1927 d'un parti nationaliste vietnamien - le Viêt Nam Quôc Dan Dang (VNQDD) -, puis d'un parti communiste (fondé à Hongkong en mars 1930). La révolte de la garnison de Yên Bai (1930), qui sera suivie d'une jacquerie dans la province du Nghê Anh, apparaît comme un signe avant-coureur dont l'administration n'a certainement pas pris la mesure, se bornant à procéder à une répression qui décapite le parti nationaliste et fait des milliers de victimes.

L'Indochine dans la Seconde Guerre mondiale.

• Gouverneur général nommé par Vichy, d'esprit rétrograde et disposant d'effectifs militaires dérisoires, l'amiral Decoux est confronté à une situation très difficile. Il fait preuve de grands égards pour les souverains autochtones, et octroie même quelques avantages aux nationalistes ; il associe certains notables au gouvernement en les appelant à siéger au sein d'un conseil fédéral de l'Indochine (décembre 1941). Mais, en dépit d'un brillant succès de ses forces navales sur la flotte siamoise (combat de Koh Sichang, 17 janvier 1941), Decoux doit, sur injonction japonaise, consentir à la rétrocession au Siam des trois provinces cambodgiennes (convention de Tokyo, 9 mai 1941). Une pression japonaise de plus en plus forte l'engage dans une série de concessions avant tout militaires (bases aériennes et navales) mais aussi économiques - l'Indochine étant incluse dans la « sphère de coprospérité » de la mer de Chine mise en place par les dirigeants nippons -, tandis que des agents japonais encouragent les sectes (CaoDai, Binh Xuyen, Hoa Hao) et favorisent en sous-main les milieux nationalistes. En outre, les communistes ont fondé en mai 1941 la Ligue révolutionnaire pour l'indépendance du Viêt Nam (Viêt-minh), qui mène la résistance contre les occupants français et japonais, et s'implante dans la clandestinité.

Le point final de cette escalade est le coup de force japonais du 9 mars 1945 qui anéantit quasiment la présence française en Indochine. Tous les responsables administratifs ou militaires coloniaux sont internés ; certaines garnisons sont entièrement massacrées, seules quelques unités militaires françaises parvenant à se réfugier au Laos et en Chine du Sud. Dans le même temps, le gouvernement de Tokyo proclame l'indépendance des trois États du Cambodge, du Laos et du Viêt Nam, ce dernier étant théoriquement unifié par la réunion des « trois ky » (Tonkin, Annam, Cochinchine). Mais les gouvernements locaux ne sont guère en mesure d'assumer une indépendance à laquelle ils ne sont nullement préparés. Au Nord-Viêt Nam, le Viêt-minh déclenche un soulèvement populaire en août 1945, s'empare de Hanoi, et y forme un gouvernement à dominante communiste présidé par Hô Chi Minh. Ce dernier proclame une République populaire, entraînant l'abdication de l'empereur Bao Dai, le 25 août, à Huê.