Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Mitterrand (François), (suite)

Un profil insaisissable.

• En juin 1954, Mendès France l'appelle à l'Intérieur ; c'est le couronnement d'une carrière rapide. Mais, très vite, il pâtit de ses ambiguïtés. Il est l'un des principaux suspects dans l'« affaire des fuites ». Le débat qui s'ensuit à l'Assemblée et dans la presse le marque et tend à le pousser plus à gauche. Entre-temps, la crise algérienne éclate. Le 1er novembre, Mitterrand déclare dans l'hémicycle : « L'Algérie, c'est la France. » Une déclaration qui rend compte de la position alors dominante, et dont il ne faut pas a posteriori surestimer la portée. Toutefois, lorsque Mendès France tombe, Mitterrand souffre plus que jamais de sa personnalité fuyante, inclassable ; une situation que renforce le discrédit d'un mendésisme progressiste en Tunisie et conservateur en Algérie. Ballotté entre son goût pour le pouvoir, les solutions « évolutives » et le désir de défier une République malade, il reste insaisissable. Cette équivoque est confortée par sa participation au Front républicain (en tant que ministre de la Justice, de février 1956 à mai 1957), après sa réélection dans la Nièvre. Quand Guy Mollet lance la guerre à outrance en Algérie, certains démissionnent ; lui reste, par loyauté, cautionnant une politique qu'il croit pourtant vouée à l'échec.

L'opposant à de Gaulle, le leader de la gauche.

• En 1958, Mitterrand pense qu'il peut être un recours. Mais René Coty ne l'appelle pas. C'est une déception, une rupture, qu'approfondit Présence française et abandon, où il s'affiche anticolonial. Le 1er juin, Mitterrand accuse de Gaulle d'avoir pour compagnons non plus « l'honneur et la patrie » mais « le coup de force et la sédition ». En novembre, il perd son siège de député. La IVe République s'est effondrée, ses figures aussi. Il demande alors à entrer au Parti socialiste autonome (PSA), ce qu'on lui refuse. Une surprenante requête, prouvant qu'il cherche vainement une solution très à gauche, mais qu'il est trop indépendant pour se plier aux idéologies et trop marqué par « ses » passés pour être un homme neuf.

En 1959, il enlève la mairie de Château-Chinon (face à un socialiste), puis un siège au Sénat. Mais l'« affaire de l'Observatoire », une tentative d'attentat contre sa personne (d'aucuns prétendent qu'elle a été simulée), le déconsidère. Il se rétablit pourtant, et, lorsque paraît le Coup d'État permanent (1964), il est devenu l'incontestable champion de l'opposition au gaullisme, son appartenance à la gauche ne faisant plus de doute.

En 1962, il retrouve son siège de député. Fort de son aura, il lance sa stratégie de rassemblement. Son opiniâtreté lui permet, après avoir obtenu la présidence du conseil général de la Nièvre, de créer et de diriger la Convention des institutions républicaines (CIR, 1964). En 1965, il se lance dans la course à l'Élysée. Bénéficiant du soutien de l'ensemble de la gauche, il met de Gaulle en ballottage (31,7 %) et recueille 44,8 % des suffrages au second tour. Il est désormais le chef de file de la gauche, d'autant qu'il a réussi un autre coup d'éclat en prenant la présidence de la jeune Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS).

Vers la conquête du pouvoir.

• Les élections législatives de 1967 et l'accord de désistement FGDS-PC soulignent la validité de sa démarche, mais 1968 assombrit ses espoirs. L'explosion de Mai est celle d'une génération qu'il ne comprend qu'en partie ; il croit pourtant qu'elle lui ouvre la voie. Le 28 mai, considérant qu'« il n'y a plus d'État », il annonce sa candidature à une éventuelle élection présidentielle anticipée. Son erreur d'analyse aurait pu ruiner sa deuxième carrière. Il n'en est rien. En juin, il est réélu député. Abandonnant la direction de la Fédération, il rédige Ma part de vérité (1969) et prend du recul.

On a improprement parlé de cette époque comme d'une traversée du désert. Certes, 1969-1971 est une période de doute et de silence, mais qui s'avère féconde ; en particulier, parce que Mitterrand décide - par « méthode » et par choix idéologique, cette fois - d'opérer la seule métamorphose qui fera de lui « le » présidentiable de la gauche, en produisant d'authentiques brevets de socialisme. Il publie le Socialisme du possible (1971), prend la tête du PS dès sa fondation (juin 1971), s'allie avec les communistes (programme commun, 1972) et dénonce avec son talent de tribun les « monopoles » et le « capital ».

Les législatives de 1973 confirment celles de 1967, et les 49,19 % des voix obtenues lors de l'élection présidentielle de 1974 face à Giscard d'Estaing prouvent que Mitterrand perçoit les dividendes de ses efforts. Son image est plus nette, incisive, plus idéologique, et il exploite cette identité nouvelle - d'opiniâtre artisan du rassemblement et de la rénovation à gauche - en ciselant sa silhouette d'esthète du politique (la Paille et le grain, 1975 ; l'Abeille et l'architecte, 1978). Il profite, en outre, d'un double phénomène. Au terme d'un long processus de sédimentation, plusieurs générations de gauche se réunissent pour former un courant unioniste fort et durable. Par ailleurs, l'affaiblissement du PC favorise les ralliements au PS. L'éclatement de l'Union de la gauche et les législatives de 1978 n'apportent qu'un démenti provisoire à la stratégie mitterrandienne.

Deux septennats.

• Ici et maintenant paraît en 1980. Un titre incantatoire. Mitterrand remporte l'élection présidentielle, le 10 mai 1981 (avec 51,75 % des voix). Le PS et le MRG dominent les législatives. Ce succès lui ouvre sa troisième carrière.

Après un état de grâce ponctué par des décisions symboliques (nationalisations, abolition de la peine de mort), la situation s'obscurcit. Le virage de la rigueur (1982-1983) renvoie l'image d'un échec, d'une reculade et d'une gauche desservie par son manque de culture gouvernementale. L'impopularité croît. Après la nomination de Laurent Fabius à Matignon en 1984, le tournant « libéral » et l'affaire du Rainbow Warrior altèrent l'image de 1981. Mais la cohabitation avec Jacques Chirac (1986-1988) prouve combien Mitterrand maîtrise le pouvoir : il prend finalement la droite à revers et remporte la présidentielle de 1988 avec plus de 54 % des voix.