Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
I

Italie (guerres d') (suite)

La guerre n'est dès lors plus une crise ponctuelle destinée à régler un conflit dynastique ou une querelle sur le tracé des frontières. Elle devient une donnée permanente de la politique, la forme ordinaire des relations internationales, qui fait fi des impératifs du droit et de la morale. À partir du moment où la politique ne peut être pensée sans penser le conflit, les raisons de l'État, qui deviendront à la fin du siècle la « raison d'État », sont déjà celles de la guerre de conquête. Puisque la paix entre chrétiens n'est plus l'horizon obligé des relations entre États, le pape n'est qu'un souverain temporel comme les autres et les traités ne sont plus que des chiffons de papier, sauf quand le rapport de force existant impose leur respect. La bataille cesse d'être un ballet de duels juxtaposés où les nobles chevaliers accomplissent leur mission divine au service de leur suzerain. Complexe mécanique de forces, l'harmonisation des différentes armes - cavaleries légère et lourde, infanteries de piquiers et d'arquebusiers, artillerie, génie - prend le pas sur la prouesse individuelle. Ironie du sort, Bayard trouve la mort en 1524, frappé par un de ces arquebusiers que les chevaliers tenaient pour des traîtres qui n'avaient pas le courage de les affronter en combat singulier. Les nouveaux États se renforcent et se structurent, car le degré de professionnalisation de l'organisation militaire suppose désormais des sommes d'argent toujours plus importantes. Le roi ne peut plus être seulement le monarque juste et pieux du Moyen Âge, censé préparer l'accession de ses fidèles sujets au Paradis : il doit ressembler au « prince nouveau » de Machiavel qui, confronté à l'état d'urgence imposé par la guerre continuelle, s'efforce, tout à la fois, de se maintenir au pouvoir et d'assurer sécurité et prospérité du royaume, quitte à agir par le fer et par le feu.

L'Italie, tout éloignée qu'elle soit du centre politico-militaire de la nouvelle Europe, va pourtant continuer à forger pour celle-ci nombre de ses codes sociaux et artistiques. Castiglione, avec son Livre du courtisan (1528), ou Della Casa, avec son Galatée (1549-1555), livrent une grammaire du comportement pour une société polie et courtisane, tandis que les jésuites, en étendant le réseau de leurs collèges dans toute l'Europe catholique, jouent un rôle déterminant dans la formation de la classe dirigeante de l'Ancien Régime. Lettrés, savants ou hommes politiques italiens vont volontiers se mettre au service des princes qui règnent dans les États du Nord, où l'histoire continue à se faire. Dès les années 1530, selon un paradoxe qui n'est qu'apparent, la défaite avait coïncidé avec la floraison, en France, d'œuvres produites ou inspirées par les artistes ou hommes de lettres italiens. L'exemple le plus notable en est l'interminable chantier du château de Fontainebleau (1527-1570), dont la décoration intérieure est le fruit d'une élaboration complexe, pour laquelle lettrés et artistes travaillent de concert. Un nouveau goût s'impose dans tout le royaume, sensible en particulier dans l'architecture, grâce aux dépenses somptuaires des grandes familles de la noblesse ou de la bourgeoisie. Poètes et lettrés italiens - parfois exilés pour leurs convictions républicaines ou anti-espagnoles - alimentent les discussions sur la langue vulgaire et sa poésie : du Bellay tira d'ailleurs l'essentiel de l'argumentation de sa Défense et illustration de la langue française (1549) du débat italien sur la réglementation de la langue toscane. La plupart des ouvrages importants publiés en Italie sont immédiatement traduits de l'autre côté des Alpes et, à partir du règne d'Henri II et de Catherine de Médicis - son épouse florentine -, le toscan devient la seconde langue de la cour de France, au point de susciter parfois de violentes diatribes - plus ou moins teintées de xénophobie - contre une France trop « italianisée ».

Au regard de la modification radicale des équilibres européens dans la longue durée, et de l'influence italienne sur le gouvernement des hommes, des mots et des choses dans l'Europe de l'Ancien Régime, le débat historiographique dominant en France jusqu'au début du XXe siècle à propos des guerres d'Italie paraît profondément dépassé : peu importe, en effet, de savoir si les expéditions italiennes des Valois ont ou non servi un « intérêt national », qu'un homme politique français du XVIe siècle eût été bien en mal de définir. Trop longtemps considérées comme une erreur et un mirage, pour la plupart, ou comme une tentative malheureuse mais justifiée, pour quelques-uns - parce qu'elle s'inscrivait dans le cadre d'un tropisme méditerranéen du royaume de France -, les guerres d'Italie méritent surtout de faire l'objet de nouvelles études sur ce qu'elles furent : une « époque » qui explique en partie l'« invention » de l'Ancien Régime européen.