Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
N

Napoléon Ier.

Figure extraordinairement populaire de l'histoire universelle - qui, au fond, peut lui disputer la prééminence ? -, Napoléon a engendré autant de haines féroces que d'idolâtries.

Son destin a d'emblée fasciné les contemporains, avant que les jugements vibrants de passion de la postérité ne s'en emparent. La bibliographie napoléonienne n'a cessé de s'allonger au fil des décennies, et les interprétations de la geste impériale sont aussi variées que contradictoires. Une telle diversité tient sans doute à la position particulière de Napoléon, personnage exceptionnel situé aux confins de deux époques : ce fondateur du « régime moderne », pour reprendre la formule de Taine, promu parfois ancêtre des dictatures du XXe siècle, est également un homme du XVIIIe, profondément marqué par l'esprit des Lumières ; il fraie les voies de l'avenir tout en demeurant attaché au passé.

Bonaparte et la Révolution

Sans la Révolution, Bonaparte aurait probablement connu une carrière d'officier dénuée de relief particulier. Il a lui-même conscience que, sous le règne pacifique de Louis XVI - la guerre de l'Indépendance des États-Unis mise à part -, la gloire va plus à la plume qu'à l'épée.

Né à Ajaccio le 15 août 1769, dans une Corse qui vient à peine d'être cédée par Gênes à la France, le 15 mai 1768, il appartient à une famille de notables assimilée à la noblesse continentale. Pourvu de quatre frères (Joseph, Lucien, Louis et Jérôme) et de trois sœurs (Élisa, Pauline et Caroline) dont il doit s'occuper bien que l'aîné soit Joseph, Napoléon Bonaparte ne peut guère nourrir d'illusions sur son avenir, dans une France marquée par la réaction nobiliaire qui caractérise le règne de Louis XVI. En dépit de ses études au collège d'Autun, puis à l'école militaire de Brienne (1779-1784), ses perspectives de carrière ne sont guère enthousiasmantes. Le 28 septembre 1785, il est affecté comme officier à Valence et découvre l'ennui des garnisons de province. La littérature du siècle l'attire. Lecteur avide, il accumule de nombreuses notes de lecture. Sa prédilection va aux Philosophes, notamment Rousseau et l'abbé Raynal : « Ô Rousseau, écrit-il, pourquoi faut-il que tu n'aies vécu que soixante ans ! Pour l'intérêt de la vertu, tu eusses dû être immortel ! »

C'est de sa lecture de Rousseau qu'il tire l'idée que la Corse a atteint, avec la Constitution de 1755, l'idéal en politique. Au début de la Révolution, le jeune officier suit les événements avec curiosité, mais son intérêt est ailleurs, dans son île natale où se fait sentir le contrecoup des bouleversements du continent. Faut-il aller vers une nation corse, comme le souhaite le patriote Paoli, ou vers une intégration à la France ? Bonaparte publie une Lettre à Buttafuoco (un député favorable à la France), où il prend parti pour Paoli. Mais il finit par se séparer du vieux chef corse en avril 1793, et se réfugie avec sa famille sur le continent, renonçant du même coup à jouer un rôle politique dans l'île.

Resté fidèle à Paoli, Bonaparte eût été entraîné dans la fuite de celui-ci au moment où la Convention a repris l'île. En France, il choisit le camp des montagnards. Il écrit alors le Souper de Beaucaire, dans lequel il défend le point de vue centralisateur des jacobins contre Paoli et les girondins entrés en insurrection contre la Convention.

Bonaparte s'illustre à Toulon, qu'il contribue efficacement à reprendre aux Anglais. Remarqué par le frère de Robespierre, représentant en mission dans le Var, il devient général de brigade en décembre 1793. Mais un tel parrainage s'avère compromettant : la chute de Robespierre aîné, le 9 thermidor, le laisse sans commandement. La réaction royaliste qui suit la fin de la Terreur menace d'emporter la Convention : les sections modérées de la rive droite de la Seine marchent sur l'Assemblée, le 5 octobre 1795 (13 vendémiaire an IV). Barras, chargé de la défendre, fait appel à Bonaparte, qu'il a remarqué lors de ses missions dans le Midi. Les insurgés royalistes sont décimés par les canons que Murat est allé chercher au camp des Sablons et que Bonaparte dispose efficacement. La République est sauvée. En récompense, le jeune général reçoit le commandement en chef de l'armée d'Italie, le 2 mars 1796. Une semaine plus tard, il épouse Joséphine Tascher de La Pagerie, veuve du général de Beauharnais.

Vers la conquête du pouvoir

Contre l'Autriche, la stratégie de Carnot, qui dirige les opérations militaires au Directoire, consiste à lancer trois armées sur Vienne. La première, sous le commandement de Jourdan, doit prendre la vallée du Main, et la deuxième, sous le commandement de Moreau, celle du Danube ; quant à la troisième, elle doit jouer un rôle de diversion dans la plaine de Pô, et éventuellement menacer les Alpes autrichiennes. C'est en fait Bonaparte qui porte le coup décisif, lorsqu'il s'empare de Milan en mai 1796 après la victoire de Lodi, et fait le siège de Mantoue, qui tombe le 2 février 1797. Les armées autrichiennes, envoyées pour débloquer la citadelle, sont battues à Castiglione, Bassano, Arcole et Rivoli. La route de Vienne est alors ouverte. Les victoires de Bonaparte acquièrent un relief d'autant plus éclatant que les autres généraux français sont vaincus en Allemagne.

Bonaparte sait amplifier ces victoires grâce à une habile propagande fondée sur la presse et l'imagerie populaire. « Après Lodi, dira-t-il, je me regardai non plus comme un simple général, mais comme un homme appelé à influer sur le sort d'un peuple. » Toutefois, malgré le prestige que lui assure la paix de Campoformio qui met fin à la guerre sur le continent, Bonaparte juge qu'il est encore trop tôt pour renverser le Directoire. Il doit pourtant éviter de se faire oublier. Il est élu à l'Institut, le 25 décembre 1797. C'est le moyen pour lui de s'assurer l'appui des Idéologues, influents tenants des Lumières et des conquêtes de la Révolution, et d'ajouter à la gloire militaire le prestige scientifique.

Mais il lui faut également prendre du champ pour ne pas être entraîné dans les intrigues du Directoire. C'est ainsi que naît le projet de l'expédition d'Égypte, qui s'inscrit dans la grande lignée des voyages scientifiques du XVIIIe siècle et dans la continuité de la lutte contre l'Angleterre, à laquelle on entend couper la route des Indes. En juillet 1798, après la victoire des Pyramides sur les Mamelouks qui dominaient le pays, la conquête de l'Égypte tourne au cauchemar. Nelson détruit la flotte française à Aboukir, empêchant tout retour de l'armée. Au nord, la progression de Bonaparte est arrêtée à Saint-Jean-d'Acre. La guerre qui reprend sur le continent européen lui fournit un alibi commode pour rentrer en France, et il laisse le commandement de l'armée d'Égypte à Kléber.