Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Régence (suite)

Les arts expriment les aspirations d'une société en quête de nouveauté. Mécène et collectionneur, le Régent commande aux Coypel quatorze toiles célébrant les amours de Didon et d'Énée. Elles seront exposées dans l'immense galerie de l'aile gauche du Palais-Royal et qu'on appellera désormais « galerie d'Énée ». C'est l'une des curiosités de la capitale. Toujours au Palais-Royal, dans le salon conçu par l'architecte Oppenord et dans les cabinets qui suivent en enfilade, s'entassent les œuvres des plus grands maîtres italiens, flamands, allemands et français des deux siècles précédents et que le prince fait acheter dans l'Europe entière. Il augmente les collections de médailles et de pierres gravées apportées d'Allemagne par la princesse Palatine, sa mère.

Les artistes abandonnent la solennité majestueuse qui a fait la gloire du règne précédent. L'art louis-quatorzien cède la place à l'exubérance du rococo. On se plaît à représenter la vie quotidienne, à exalter l'intimité. Si Le Moyne (1688-1737) reste le peintre officiel, Watteau (1684-1721) s'affirme comme le plus original. C'est lui qui domine la période (les Comédiens-Italiens, les Comédiens-Français, [vers 1715], l'Embarquement pour Cythère [1717], l'Enseigne de Gersaint [1720] ...). La décoration intérieure évolue. Le « goût moderne » s'impose, avec ses tons clairs. Le meuble se transforme sous l'influence d'ébénistes tels que Cressent. En architecture, Boffrand et Lassurance poursuivent l'œuvre de Mansart. À Paris, on construit l'hôtel Matignon, l'hôtel de Lassay, l'hôtel d'Évreux (l'Élysée), le Palais-Bourbon...

Toutefois, cette effervescence créatrice ne concerne que les élites et ceux qui gravitent dans leur orbite. Aucun bouleversement notable n'affecte la vie économique. En dehors des grandes villes, la société change peu : 85 % de la population vit à la campagne, monde de « silence » peu propice aux mutations soudaines. En fait, la chronique quotidienne relate plus de crimes, de vols (affaire Cartouche), de ruines et de calamités que de fêtes galantes. La Régence est aussi le temps des hivers dramatiques (on parle de « petit âge glaciaire » pour la période allant de 1690 à 1730), des incendies dévastateurs (celui du Petit-Pont, à Paris, en avril 1718 ; celui de Rennes, en septembre 1720), des inondations et des épidémies. La variole frappe en 1716, en 1719-1720, en 1723, et la peste ravage Marseille en 1720. La Régence n'est une période de mutation que pour les privilégiés.

Régent (Philippe, duc de Chartres, puis duc d'Orléans, dit le),

neveu de Louis XIV, régent de France de septembre 1715 à février 1723, durant la minorité de Louis XV, puis principal ministre jusqu'en décembre 1723 (Saint-Cloud 1674 - Versailles 1723).

Mort en galante compagnie, ami des « roués », amant - dit-on - de sa propre fille (la duchesse de Berry), anglophile au point de combattre le Bourbon d'Espagne (1719), l'homme vaut pourtant mieux que sa légende. Intelligent, excellent musicien, peintre de talent, cultivé, pacifiste mais bon soldat, il sert en Flandre, est blessé au siège de Turin (1706) à la tête des armées d'Italie, commande les armées d'Espagne (1707-1708).

Il est le fils de Monsieur, frère homosexuel de Louis XIV, et de la princesse Palatine. Il a pour précepteur l'abbé Dubois, et, en 1692, on lui impose un mariage avec Mlle de Blois, fille de Louis XIV et de Mme de Montespan (sa mère, qui désapprouve cette mésalliance entre un duc de Chartres et une bâtarde, le gifle en public le jour des noces). À la mort de Monsieur, en 1701, il devient duc d'Orléans, et jouit d'une immense fortune. Le roi ayant un fils légitime, trois petits-fils et plusieurs arrière-petits-fils, Philippe n'apparaît guère en position d'accéder au trône, ni même au pouvoir. Privé d'avenir, il s'amuse. Le roi s'en scandalise et se méfie de ce prince dont on dit qu'il a intrigué avec l'Angleterre pour être fait roi d'Espagne. En 1710, néanmoins, Louis XIV marie la fille de Philippe, 15 ans, au deuxième de ses petits-fils, le duc de Berry. Puis meurent le dauphin (avril 1711), le petit dauphin et sa femme (février 1712), et leur fils, le duc de Bretagne (mars 1712). Philippe est suspecté : trop de morts autour de ce troublant amateur de chimie. Inquiet, Louis XIV viole les lois fondamentales du royaume et déclare ses fils légitimés - les ducs du Maine et de Toulouse - « aptes à régner ». Le roi mort (1er septembre 1715), Philippe d'Orléans fait casser le testament par le parlement et obtient la régence et la tutelle du jeune Louis XV. Il quitte Versailles, s'installe à Paris, au Palais-Royal, instaure la polysynodie - qui remet en selle la noblesse de cour au détriment des grands commis louis-quatorziens. En outre, il développe le commerce, s'intéresse à la mer, favorise Lorient, la Compagnie des Indes, crée la Compagnie des gardes du Pavillon amiral et le corps des Ponts et Chaussées (1716), le Dépôt des cartes et plans de la marine (1720). Certes, la banqueroute de Law ruine le « système » mis en place par le financier écossais, mais les actions de la rue Quincampoix, bien vendues ou perdues, génèrent un certain renouvellement des élites. En outre, l'anglophilie du Régent va assurer au royaume trente et une années de paix (1713-1744) à l'issue des cinquante années de guerre du règne du feu roi.

régicides,

nom donné, a posteriori, aux conventionnels qui votent la mort de Louis XVI, en janvier 1793.

Pourquoi les régicides sont-ils devenus objets d'un mythe ? La Restauration n'est pas seule en cause, même si elle donne consistance à l'image du « régicide-parricide » : la publication de l'Homme sans nom de Ballanche (1820), apologue complexe sur le conventionnel régicide, déchu et réhabilité, ouvre une large page à ce mythe dans la littérature du XIXe siècle, jusqu'aux Misérables de Victor Hugo (1862).

Sans évoquer le procès du roi, reconnu « coupable » par une majorité écrasante de la Convention, ni présenter le débat sur « l'appel au peuple », rejeté le 15 janvier 1793, intéressons-nous au troisième appel nominal : « Quelle peine Louis, ci-devant roi des Français, a-t-il encourue ? » Controversés, les résultats sont proclamés le 18 janvier : 28 des 749 députés conventionnels étant absents, la majorité absolue est donc de 361 voix ; or, 334 votent la détention ou le bannissement, 361 la mort pure et simple, et 26 la mort en demandant un débat sur le sursis, qui est refusé le lendemain. C'est sans doute cette courte majorité qui nourrira la légende du « roi martyr ». C'est aussi le fait que, le 20 janvier, Le Peletier de Saint-Fargeau tombe sous le poignard d'un ancien garde du corps royal et devient le premier « martyr de la liberté » : le « régicide » précède le « roi parjure » dans la mort.