Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
U

union sacrée, (suite)

Les divisions surmontées.

• Si la formule a eu un tel impact, c'est que les Français de 1914 se perçoivent comme profondément désunis, du fait des graves querelles politiques de l'époque, relatives notamment aux questions de défense. L'« union sacrée », sans mettre fin aux divergences, permet néanmoins une série d'accords destinés à faire passer celles-ci au second plan pendant la durée d'une guerre qu'on imagine courte. Droite et gauche s'entendent alors sur un point fondamental : une France attaquée doit être défendue. L'union se fait dans un premier temps contre l'agression, dans un second temps contre l'envahisseur qui occupe une partie du sol « sacré » de la patrie. Une trêve des luttes politiques s'instaure très rapidement. L'assassinat de Jaurès en donne le signal tragique, comme en témoigne la « une » de la Guerre sociale du 1er août : « Défense nationale d'abord ! Ils ont assassiné Jaurès ! Nous n'assassinerons pas la France ! » Le matin du 4 août, devant la tombe de Jaurès, le secrétaire général de la CGT, Léon Jouhaux, abandonne le pacifisme au nom de la démocratie et de l'espoir de la fraternité socialiste : « Empereurs d'Allemagne et d'Autriche-Hongrie, hobereaux de Prusse et grands seigneurs autrichiens qui, par haine de la démocratie, avez voulu la guerre, nous prenons l'engagement de sonner le glas de votre règne. » L'« union sacrée » n'a évidemment pas la même signification pour les socialistes et pour les nationalistes : ces derniers espèrent surtout la défaite de la nation allemande et la revanche de la France. Mais l'ardeur patriotique est telle que l'état-major, qui s'attendait à avoir au moins 13 % de réfractaires, n'en décompte que 1,5 %, un pourcentage considéré comme infime.

De la mystique nationale à la négociation.

• Le mot « sacré » n'a pas été choisi au hasard par Poincaré. Comme l'« amour sacré » de la Marseillaise, l'« union sacrée » est une forme de ferveur à la fois nationale et religieuse, à laquelle se joignent des antimilitaristes, les antirépublicains et les cléricaux qui ont été malmenés dans les années précédentes. Socialistes et catholiques vivent, toutes proportions gardées, le même déchirement entre leurs élans universalistes et leur sentiment national : devant l'agression, ils optent avec résolution pour le second. Les 98 députés socialistes, le 4 août, votent à l'unanimité les crédits de guerre, tandis que les membres des congrégations religieuses dispersées rentrent pour s'engager. Tous s'accordent sur un messianisme français, qu'il soit celui de la « République en danger » ou de la « France éternelle de Jeanne d'Arc » ; surtout, ils croient se battre pour la dernière des guerres, celle qui amènera le triomphe de leur cause, la fraternité républicaine ou les valeurs traditionnelles de la patrie, de l'armée ou de la religion.

L'organisation pratique et politique de cette unité n'en est pas moins délicate. On ne parvient à former un cabinet d'« union sacrée » que le 26 août et, durant toute la guerre, les divisions politiques, sociales et religieuses ne manqueront pas. En 1917, l'ardeur « sacrée » des débuts est largement entamée. Pourtant, si des Français - en nombre infime en 1914 et 1915, plus nombreux à partir de 1916 - ont refusé l'« union sacrée », la majorité d'entre eux a consenti jusqu'en 1918 aux efforts considérables exigés par la guerre. C'est sans doute pourquoi le désastre de 1940 peut, en partie, s'expliquer par les désillusions nées de l'« union sacrée », martelées pendant les années 1920 et 1930, à gauche comme à droite.

Univers (l'),

quotidien catholique publié à Paris de 1833 à 1914.

L'Univers religieux, politique, philosophique, scientifique et littéraire - son titre d'origine - est une entreprise éditoriale de l'abbé Migne, confiée à Melchior du Lac. À l'initiative de Montalembert, l'Univers absorbe en 1842 le journal légitimiste l'Union, et s'adjoint en 1843 la collaboration de Louis Veuillot. Promu rédacteur en chef en 1848, ce dernier fait de l'Univers l'organe du catholicisme intransigeant et lui imprime son talent polémique et son âpreté de ton parfois outrancière. L'Univers lutte contre le monopole universitaire et pour la liberté de l'enseignement, mais condamne la loi Falloux (1850) sur l'enseignement secondaire, la considérant comme une formule de transaction. Il mène avec dom Guéranger, abbé de Solesmes, la bataille pour la liturgie romaine et avec Mgr Gaume la lutte contre les classiques païens. Il combat le libéralisme catholique (Montalembert, Lacordaire, Maret) et s'appuie sur Rome contre l'épiscopat (Mgrs Sibour, Dupanloup, Darboy). Après avoir soutenu l'Empire autoritaire, il lutte contre la politique italienne de Napoléon III, se voit suspendu en janvier 1860 pour la publication d'une encyclique de Pie IX, et ne reparaît qu'en mars 1867. Il applaudit à l'infaillibilité pontificale proclamée au concile Vatican I (1870), puis soutient les tentatives de restauration monarchique. En 1874, Louis Veuillot abandonne la direction du journal à son frère Eugène, qui adopte en 1892 la ligne politique du ralliement à la République préconisée par Léon XIII ; sa sœur, Élise, regroupe alors les monarchistes autour de la Vérité, tandis que l'Univers ne peut enrayer son déclin.

universités.

Les universités sont des établissements regroupant ce qu'on appela d'abord des « écoles », puis des « collèges » ou des « facultés », où est dispensé l'enseignement supérieur.

Elles disposent d'un régime administratif et financier légalement défini. L'importance de la notion d'autonomie ou d'indépendance universitaire remonte aux origines mêmes de l'institution.

Naissance de foyers d'« intellectuels ».

• Les troisième et quatrième conciles du Latran (1179 et 1215) décident qu'à tout évêché doit être attaché un maître de théologie. La lecture et l'explication de la Bible deviennent alors, et pour longtemps, le fondement de toute science. Au XIIe siècle, à Paris, l'école cathédrale du cloître Notre-Dame, qui donnait exclusivement, et sous la direction de l'évêque, l'enseignement de la théologie, voit naître et prospérer les écoles indépendantes de la montagne Sainte-Geneviève, où des étudiants toujours plus nombreux, attirés par la renommée de maîtres tels qu'Abélard ou Guillaume de Champeaux, viennent se former aux disciplines du trivium (grammaire, rhétorique, dialectique) et du quadrivium (arithmétique, géométrie, astronomie, musique). L'Université de Paris, la première de France, est née de la fusion de ces diverses écoles. C'est d'ailleurs à cette époque que Jacques Le Goff situe la « naissance des intellectuels », qui professent la nécessité d'une liaison entre science et enseignement, c'est-à-dire d'une diffusion, d'une mise en circulation des connaissances et des idées : « À ces artisans de l'esprit entraînés dans l'essor urbain du XIIe siècle, écrit-il, il reste de s'organiser, au sein du grand mouvement corporatif couronné par le mouvement communal. Ces corporations de maîtres et d'étudiants, ce seront, au sens strict du mot, les universités. Ce sera l'œuvre du XIIIe siècle. »