Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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suffrage (droit de), (suite)

En 1795, la Constitution régissant le Directoire rétablit un cens (faible pour voter, mais élevé pour être électeur) et prévoit qu'à partir de 1804 seuls pourront voter ceux sachant lire et écrire. Boissy d'Anglas, l'un des inspirateurs de ce système, en explique l'enjeu en déclarant que le pays doit être gouverné par les « meilleurs », garants de l'« ordre social ». Sous le Consulat, toute condition censitaire est à nouveau annulée par la Constitution de 1799 ; mais les femmes et les domestiques ne peuvent voter et un système électoral pyramidal limite la portée du suffrage : l'électeur de base peut seulement désigner les membres d'une « liste de confiance » communale, qui, eux-mêmes, établissent une liste départementale, de laquelle résulte une liste nationale, et le Sénat - conservateur - « élit dans cette liste les législateurs ». La Constitution impériale de l'an X (1802) abandonne le système des listes de notabilités, mais réintroduit un cens d'éligibilité : tous les citoyens votent au premier degré, mais les élus des collèges électoraux sont choisis parmi les plus imposés du département.

La Restauration rétablit totalement le suffrage censitaire, très restreint : il faut avoir 30 ans et payer 300 francs d'impôts directs pour être électeur (le corps électoral ne comprend donc que 120 000 personnes), avoir 40 ans et acquitter 1 000 francs d'imposition pour être éligible (conditions remplies par 16 000 personnes). En outre, de 1820 à 1830, les plus imposés bénéficient d'un double vote. En 1830, sous la monarchie de Juillet, le cens est un peu abaissé, mais reste en vigueur. Cependant, la différence entre le « pays légal » (environ 200 000 électeurs) et le « pays réel » est de plus en plus mal ressentie. Dès 1840, le débat politique se cristallise sur cette question : les opposants prônent une diminution de moitié du cens, et les républicains sont favorables à sa suppression ; Guizot repousse ces propositions et préfère à toute extension du suffrage une évolution progressive des hiérarchies sociales, comme en témoigne sa célèbre formule : « Enrichissez-vous par le travail et par l'épargne. » Les républicains font de l'instauration du suffrage universel l'une de leurs principales revendications lors de la « campagne des banquets » (1847-1848) qui emporte le régime de Juillet.

Le 5 mars 1848, le suffrage universel masculin est proclamé par les révolutionnaires, puis confirmé par la Constitution de la IIe République. Mais, après des élections favorables aux socialistes, la loi de mai 1850 l'« épure » en écartant les plus pauvres par plusieurs biais (obligation d'être inscrit au rôle de la taxe personnelle ; absence de toute condamnation, même légère ; résidence fixe depuis trois ans). En 1852, cette loi est abrogée par Louis Napoléon Bonaparte, qui supprime ainsi définitivement toute forme, même indirecte, de suffrage censitaire.

La difficile reconnaissance du suffrage féminin.

• En 1848, les féministes sont nombreuses à réclamer que le suffrage devienne réellement universel par son extension aux femmes ; l'une d'elles, Jeanne Deroin, présente même sa candidature aux élections au nom de « l'égalité civile et politique des deux sexes ». Dès la fin des années 1860, elles se mobilisent : procédant par actions symboliques (refus de payer les impôts, candidatures illégales...) ou menant des campagnes auprès des députés, leur mouvement fait progresser l'opinion sur la question. Après la Première Guerre mondiale, la généralisation du vote des femmes dans de nombreux pays fait du cas français une anomalie. Dans l'Hexagone, les féministes, soutenues par certains hommes politiques, doivent donc poursuivre leur combat pour le suffrage. Mais le droit de vote des femmes, adopté par le Parlement en 1919, 1925, 1932, 1935, et 1936, est systématiquement repoussé par le Sénat. C'est finalement par l'ordonnance du Gouvernement provisoire (GPRF) du 21 avril 1944 que le droit de vote et d'éligibilité est accordé aux Françaises ; les élections de 1945 sont les premières à se dérouler au véritable suffrage universel.

Suffren de Saint-Tropez (Pierre-André de)

dit le bailli de Suffren, marin de la Royale et bailli de l'ordre de Malte, vice-amiral (château de Saint-Cannat, près d'Aix-en-Provence, 1729 - Paris 1788).

De bonne noblesse provençale, Suffren entre en 1743 dans les gardes de la marine pour devenir officier, puis rejoint l'ordre de Malte (1748), qui combat la piraterie barbaresque : il sera, successivement, chevalier, commandeur, puis bailli de cet ordre. Servant aussi dans la marine royale, il s'illustre lors de la prise de Port-Mahon (Minorque), en 1756, mais il est capturé par les Anglais l'année suivante. Après le traité de Paris (1763), qui met fin à la guerre de Sept Ans, il retourne chasser les Barbaresques à bord des galères de l'ordre de Malte. La participation de la France à la guerre de l'Indépendance américaine à partir de 1778 lui donne l'occasion de satisfaire son ambition et de se couvrir de gloire.

Sous le commandement du comte d'Estaing, il prend part à plusieurs batailles navales, aux Antilles notamment (combat de Grenade, en 1779, qui permet de reprendre cette île aux Anglais, jusqu'en 1783). En 1781, Suffren est chargé de secourir la colonie hollandaise du Cap (Afrique du Sud), menacée par les Anglais ; lors d'une escale aux îles du Cap-Vert, son escadre bat la flotte du commodore Johnstone, qui devait attaquer le port sud-africain. Passé dans l'océan Indien, où il s'appuie sur les îles Mascareignes, Suffren arrive à Madras en février 1782. Lors de cette campagne des Indes, il cherche l'affrontement pendant deux ans, rencontrant les Anglais de l'amiral Hughes à plusieurs reprises : à Provédien (15 avril 1782), la bataille n'est qu'une mêlée indécise ; à Négapatan (6 juillet), Français et Anglais s'infligent des pertes terribles ; à Trinquemalé, beau port ceylanais tout juste conquis, Suffren repousse l'escadre anglaise (3 septembre) ; à Gondeloure (20 juin 1783), il met ses adversaires en fuite. Offensif, accrocheur, sachant combiner opérations navales et ravitaillement terrestre parfois à longue distance (jusqu'à Sumatra), Suffren reçoit l'aide du rajah Hayder Ali, hostile aux Anglais. Ses succès ne sont jamais décisifs, mais ils vengent les anciennes défaites qu'ont subies les Français en Inde. Le traité du 3 septembre 1783 ayant mis fin au conflit, Suffren rentre en France, et est créé vice-amiral. Ce personnage obèse et truculent, redouté pour son caractère exécrable, meurt le 8 décembre 1788, peut-être au cours d'un duel.