Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
I

impôt, (suite)

Le recours aux impôts indirects, en particulier sur la consommation, à laquelle par définition nul n'échappe, est un autre moyen mis en œuvre pour contourner le privilège fiscal, dont la monarchie n'a jamais pu - ou voulu - remettre en cause le principe. C'est pourquoi les impôts indirects finissent par constituer, au XVIIIe siècle, 60 % des rentrées fiscales. Dans leur chronologie, leur assiette, leurs taux et leur mode de perception, ils constituent un maquis inextricable. Toute production, tout échange, toute consommation, est susceptible d'être imposée à un moment ou à un autre, notamment au cours d'une guerre, qui peut provoquer une véritable « crue fiscale » - ainsi, entre 1634 et 1643, lors de la guerre de Trente Ans.

On peut classer schématiquement en trois catégories les impôts indirects de l'Ancien Régime : les taxes sur les produits, qui sont levées principalement au moment de leur consommation (aides sur les boissons, le tabac, les marchandises de luxe) ; les taxes sur les échanges (traites, péages, octrois royaux, en concurrence avec les taxes équivalentes au niveau municipal ou seigneurial) ; la gabelle, monopole du sel autant qu'impôt (les sujets, à l'exception des plus pauvres, sont tenus d'acheter dans les greniers à sel royaux une quantité donnée de sel, à un prix extrêmement différent selon les régions, d'où une intense contrebande).

Exigeant une bureaucratie importante, compétente, et donc coûteuse, la gestion de la fiscalité indirecte est concédée, sous l'Ancien Régime, à des sociétés financières par actions. Ces dernières assurent au Trésor des versements annuels, et elles se remboursent auprès des contribuables par la perception des impôts indirects, en réalisant de gros bénéfices. Peu à peu, elles sont concentrées par la monarchie entre les mains de quelques « traitants », et aboutissent en 1726 à la création de la Ferme générale.

Tout au long du XVIIIe siècle, ce système fiscal a suscité de vives critiques, y compris de la part des administrateurs, alors que, dans l'ensemble, les violentes révoltes populaires antifiscales du siècle précédent se sont apaisées. Stigmatisée par les révolutionnaires, la fiscalité d'Ancien Régime a conservé une image négative dans la mémoire nationale. Ce système a pourtant assuré à la monarchie française des ressources que lui ont enviées les autres monarchies européennes. Il est vrai que le royaume de France était alors nettement plus peuplé que les États voisins.

Une « révolution » de l'impôt ?

• S'il est un domaine où les futurs révolutionnaires élus en 1789 aux états généraux ont l'intention de faire table rase du passé, c'est bien celui de la fiscalité. À la transition techniquement difficile à négocier entre un système d'imposition ancien et un système entièrement nouveau, s'ajoute, à partir de 1792, le contexte de guerres civiles et extérieures : les Français ne paient donc quasiment pas d'impôts de 1790 à 1797, alors que l'activité législative en matière fiscale est intense. L'édifice construit par la Révolution demeurera presque inchangé, jusqu'en 1914 en ce qui concerne les impôts, et jusqu'à nos jours quant aux principes généraux et à l'administration de la fiscalité.

Les grands axes de la fiscalité contemporaine découlent de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (tous les textes constitutionnels similaires en reprendront les termes) : l'impôt est universel, nul citoyen ne peut en être exempt, sinon par un acte législatif ou réglementaire ; l'impôt, sous tous ses aspects concrets - assiette, quotité, taux -, est voté par les représentants des citoyens. Le changement de vocabulaire introduit par la Révolution est significatif : le mot « impôt » est remplacé par celui de « contribution », demeuré en usage jusqu'à une date très récente.

Les impôts directs, qui, dans les intentions des constituants, doivent représenter le seul type de taxation, sont au nombre de quatre : la contribution foncière (novembre 1790), pesant sur les propriétés foncières ; la contribution mobilière (janvier 1791), concerant les autres types de propriétés ; la patente (mars 1791), portant sur les entreprises commerciales et industrielles ; la contribution des portes et fenêtres (novembre 1798), frappant les propriétés immobilières. Avec le temps, on parlera des « quatre vieilles ».

Des impôts indirects sont cependant rétablis : le droit de timbre et d'enregistrement, les taxes sur les actes civils et judiciaires, les droits de succession et de mutation (1798), les droits d'octroi (1798,1809), les droits sur le tabac (1798) et les alcools (1804).

Dans le cadre plus général de la construction d'une administration financière, du Directoire à la Restauration, la confection des rôles, la perception de l'impôt, l'acheminement de son produit vers le Trésor, sont le fait de fonctionnaires spécialisés (inspecteurs, contrôleurs, receveurs-percepteurs), personnellement responsables, et présents jusqu'au niveau du canton.

Malgré ces changements, le XIXe siècle témoigne d'une certaine continuité avec la fiscalité d'Ancien Régime, puisque les impôts indirects enrichissent davantage les caisses de l'État que les impôts directs. Le principal impôt, la contribution foncière, est un impôt de répartition : la loi de finances en fixe le produit global pour l'année suivante, et l'administration le répartit entre les départements, les communes et les foyers. Les rôles de cette foncière et de la contribution des portes et fenêtres sont établis, sans déclaration, d'après des signes extérieurs. La réalisation du cadastre, décidée en 1807, et achevée en 1850, permettra néanmoins d'estimer avec plus de précision les facultés contributives des particuliers assujettis à la contribution foncière.

Après quelques manifestations d'opposition au rétablissement des taxes sur les boissons et le tabac sous l'Empire, la fiscalité du XIXe siècle est, dans l'ensemble, bien acceptée par la population - un phénomène remarquable après des siècles de contestation antifiscale. Il est vrai que le poids de l'impôt est resté modeste, ce qui a obligé l'État à privilégier l'emprunt à plusieurs reprises. D'autre part, la fiscalité épargne alors totalement les bénéfices des entreprises et les profits financiers. Cependant, en 1872, est instaurée une faible taxation du revenu des valeurs mobilières. La fiscalité française du XIXe siècle demeure celle d'une nation agricole et rentière, alors que le pays devient une puissance capitaliste et industrielle.