Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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République (Ve). (suite)

C'est en cette même année 1960 qu'a lieu la seconde inflexion décisive : le chef de l'État semble s'engager dans la recherche d'une solution négociée conduisant à l'indépendance. En septembre, il évoque pour la première fois l'éventualité d'une « République algérienne », et, en janvier 1961, un référendum portant sur le principe de l'autodétermination obtient 75,2 % de « oui ». Ce succès renforce l'autorité du général de Gaulle tout en radicalisant la position de ses adversaires. Le symptôme en est, les 21-25 avril suivants, le « putsch des généraux », qui tourne court, la fermeté du chef de l'État ayant dissuadé l'armée de rejoindre massivement les putschistes. Les temps ont changé. À la différence de la IVe République face au 13 mai 1958, le nouveau régime reste maître de la situation : chaque crise surmontée paraît faire la preuve de son efficacité et contribue à son enracinement.

Loin de décroître, la tension se fait encore plus vive en Algérie. Sur fond d'attentats commis par le FLN et l'OAS (une organisation clandestine de partisans de l'« Algérie française »), une véritable psychose s'empare des Européens d'Algérie, qui craignent désormais pour leur sécurité et pour leur vie, tant le fossé entre les deux communautés - européenne et musulmane - s'est élargi. Meurtris et amers, les « pieds-noirs » commencent à quitter l'Algérie avant même le référendum d'autodétermination du 1er juillet 1962. Celui-ci donne 99,7 % de « oui » en faveur de l'indépendance, qui devient effective dès le 3 juillet. L'exode des « pieds-noirs » s'accélère, dans des conditions précaires et souvent dramatiques : en quelques semaines, la quasi-totalité d'entre eux traversent la Méditerranée, et deviennent des « rapatriés ».

Un automne 62.

• En dépit des sanglants soubresauts de la fin de la guerre d'Algérie, la Ve République, somme toute, est sortie renforcée de ses tumultueuses premières années. Cela étant, ses formes institutionnelles ne sont modifiées qu'au cours de cette même année 1962, au terme d'un second semestre marqué par une grande bataille politique entre le général de Gaulle et la plupart des partis. Après l'indépendance de l'Algérie, en effet, le chef de l'État, loin de considérer que son action est terminée, comme le pense une partie de la classe politique, entend non seulement mener à terme son septennat mais, de surcroît, prémunir la Ve République contre tous dangers d'affaiblissement. Deux facteurs ont alors joué en ce sens, qui tiennent aux conceptions politiques du président : la volonté gaullienne de promouvoir un État fort, sous-tendu par un exécutif solide et stable, et celle de doter la fonction présidentielle d'une légitimité incontestable, grâce au suffrage universel. En outre, ce projet de révision constitutionnelle a été, semble-t-il, accéléré par l'attentat du Petit-Clamart, le 22 août 1962 : ce jour-là, le chef de l'État échappe de peu à une tentative d'assassinat fomentée par des membres de l'OAS. Cet épisode et l'âge déjà avancé du Général - il a alors 72 ans - ont probablement incité ce dernier à hâter un processus de réforme pour en faire bénéficier ses successeurs. Dès le 12 septembre, il annonce un référendum sur une révision constitutionnelle instaurant l'élection du président au suffrage universel.

Une bataille politique s'engage immédiatement, sur un double registre. En effet, la plupart des parlementaires critiquent la procédure choisie : ils considèrent que c'est à eux, en premier ressort, de trancher sur une éventuelle révision constitutionnelle et qu'il n'y a pas lieu de recourir au référendum. De plus, la plus grande partie de la classe politique condamne le principe même de l'élection présidentielle au suffrage universel. Le 5 octobre, 280 voix sur 482 expriment leur hostilité en votant la censure du gouvernement dirigé par Georges Pompidou (ce dernier a remplacé Michel Debré en avril 1962). De Gaulle riposte immédiatement par la dissolution de l'Assemblée nationale, comme l'y autorise la Constitution. Le peuple français est donc appelé à arbitrer cette bataille politique par deux consultations : le référendum, programmé pour le 28 octobre, puis les élections législatives, prévues pour les 18 et 25 novembre.

A priori, la partie est loin d'être gagnée par le chef de l'État. Au moment du référendum fondateur de l'automne 1958, la SFIO, le MRP et le Centre national des indépendants (CNI) - soit un large éventail allant de la gauche non communiste à la droite libérale - appuyaient les gaullistes. En 1962, au contraire, ces derniers sont presque seuls contre tous : exceptées l'UNR gaulliste et une fraction dissidente du CNI emmenée par le jeune ministre des Finances Valéry Giscard d'Estaing, l'ensemble des autres partis, vite appelé le « cartel des non », recommande de refuser la réforme. Pourtant, le verdict des urnes est doublement - et très largement - favorable au général de Gaulle. Lors du référendum, le « oui » l'emporte avec 61,7 % des suffrages exprimés. Ces résultats sont assurément moins spectaculaires que ceux obtenus en 1958 ou lors des deux référendums sur l'Algérie, mais, compte tenu du rapport de forces initial, ils peuvent être considérés comme une incontestable victoire personnelle pour le général de Gaulle. La réforme constitutionnelle est donc adoptée par voie référendaire. La date du 28 octobre 1962 peut être considérée comme historique car elle donne lieu à une « refondation » de la Ve République : désormais, son magistrat suprême sera élu au suffrage universel. La victoire du général de Gaulle est confirmée, « en appel », par les élections législatives : les gaullistes obtiennent à eux seuls 233 sièges (soit presque la moitié) ; avec l'appoint de 35 Indépendants dissidents, ils sont assurés d'une majorité stable. Celle-ci soutient le gouvernement Pompidou, ce dernier ayant été reconduit dans ses fonctions après les élections législatives.

Au cœur des « Trente Glorieuses ».

• Les années 1962-1965 correspondent à une période nouvelle dans l'histoire de la Ve République. En effet, les institutions ont reçu deux fois l'adoubement du suffrage universel, leur fondateur est sorti renforcé des crises successives, la guerre d'Algérie est terminée depuis l'été 1962, et la prochaine consultation électorale importante n'est programmée que pour la fin de l'année 1965. De plus, cette phase 1962-1965 est nichée au cœur des « Trente Glorieuses », qui emportent la France dans une croissance conquérante et dans une mutation sociologique sans précédent. Tandis que le Premier ministre prend en charge la politique économique et sociale - l'historien Jean Touchard parle, pour cette période qui n'est du reste pas exempte de conflits sociaux, comme la grève des mineurs en 1963, d'un « gaullisme de gestion » -, le président de la République se consacre à son autre grand dessein : après avoir forgé des institutions garantes, à ses yeux, de la stabilité politique du pays, il entend promouvoir son indépendance et, maître mot du vocabulaire gaullien, son « rang ». Avant même 1962, il avait poussé à la mise en œuvre rapide d'une force de dissuasion nucléaire. Après la première expérimentation d'une « bombe A », réalisée en février 1960, la France se lance dans la construction de sous-marins nucléaires, qui viendront s'ajouter aux bombardiers Mirage IV. Et en 1966, le chef de l'État, tout en restant fidèle à l'Alliance atlantique, décide la sortie de la France du commandement militaire de l'OTAN.