Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
I

invasions barbares (suite)

Mais il était aussi arrivé que l'attraction exercée par les richesses de l'économie et de la civilisation romaines sur les populations d'outre-Rhin les jetât, en des raids fulgurants et dévastateurs, sur les contrées frontalières, et parfois jusqu'au cœur de la Gaule, comme naguère les Cimbres et les Teutons. Or, il est incontestable que ces raids se multiplièrent aux alentours de 250, contraignant presque aussitôt l'autorité romaine à l'abandon des champs Décumates et au repli défensif sur la haute vallée du Rhin. C'est que, dans le courant du IIIe siècle, d'importantes mutations étaient en train de se produire en Europe centrale et septentrionale.

Les Germains

Ces régions étaient occupées par des peuples que les Romains considéraient comme germaniques. Pour les historiens aussi, il s'agissait de Germains, dans le sens où ils parlaient une langue germanique et où ils possédaient certains traits de culture (par exemple, en matière religieuse ou institutionnelle) germaniques. Mais il est clair qu'on ne saurait se satisfaire d'une définition ethnique de la germanité : il a souvent suffi qu'un groupe dominant, généralement originaire de Scandinavie - cette « matrice des nations » dont parlerait au VIe siècle l'historien goth Jordanès, dans sa Getica (IV, 25) - ou des plaines maritimes de l'Europe du Nord, impose son autorité, et avec elle une langue et une culture à caractères réputés germaniques, aux populations soumises par lui ou agglomérées à lui au long de sa migration pour que tout le peuple adhère à un mythe commun des origines (souvent réputées divines) et soit considéré comme germanique.

D'ailleurs, les archéologues eux-mêmes, qui peinent à reconnaître des équations sûres entre les peuples germaniques mentionnés dans les textes et les cultures matérielles qu'ils identifient sur le terrain, sont de plus en plus réticents à définir un profil archéologique germanique homogène. Les modes funéraires ont pu connaître une grande variabilité temporelle et spatiale ; la diffusion de tel ou tel type de mobilier (armes, fibules, boucles de ceinture) a pu devoir davantage aux phénomènes de l'échange ou de la mode qu'aux déplacements de populations ; et l'analyse ostéologique, là où elle s'avère possible, montre qu'on ne saurait réduire à la grande taille et à la dolicocéphalie - naguère mises en avant par l'idéologie nazie - un éventuel profil anthropologique germanique.

Au IIIe siècle, la répartition et la dénomination de ces peuples n'étaient plus tout à fait ce qu'elles avaient été au moment où César les découvrait (au milieu du Ier siècle avant J.-C.), ou au moment où Tacite les décrivait dans sa Germania (à la fin du Ier siècle après J.-C.). D'une part, des regroupements ou des confédérations d'un type nouveau étaient apparus sur les frontières de la Gaule : ainsi les Francs (les « hardis » ou les « libres », on en débat), le long de la rive droite du Rhin, depuis son cours moyen jusqu'à son delta ; ainsi les Alamans (« tous les hommes »), d'entre haut Rhin et haut Danube, face au limes des champs Décumates. D'autre part, certains peuples constitués sur les rivages de la mer du Nord et de la Baltique avaient entrepris aux IIe et IIIe siècles le long périple qui, par des voies parfois détournées, les conduirait, un à deux siècles plus tard, aux frontières, puis au cœur de la Gaule : ce fut en particulier le cas des Vandales, des Suèves et des Burgondes, qui avaient commencé de se répandre au cœur de la Germanie ; et celui des Goths (Wisigoths d'abord, Ostrogoths ensuite), qui, dès le IVe siècle, en viendraient à frapper aux portes de l'Empire d'Orient.

Premières menaces barbares et premières adaptations de Rome

Pourquoi cette effervescence, qui bientôt se généraliserait et perturberait toutes les populations de la Germanie ? Fut-elle le produit de la croissance démographique ? d'une modification climatique ayant entraîné aussi bien un relèvement des eaux des mers du Nord qu'une sécheresse destructrice de la steppe eurasiatique ? de la pression exercée sur des peuples germaniques alors en voie de sédentarisation par des pasteurs nomades tels les Huns et les Alains, que la sécheresse, justement, aurait chassés d'un Orient plus lointain ? Peut-être y eut-il de tout cela... Les historiens en discutent à l'infini.

Toujours est-il que, vers 250, la pression redoubla aux frontières de la Gaule : raids des pirates francs et saxons sur les rivages septentrionaux ; attaques frontales des Francs et début de leur infiltration diffuse jusque dans la Gaule Belgique ; percée alémanique dans les champs Décumates et bientôt vers les Alpes. La multiplication des enfouissements de trésors rend peut-être compte de l'affolement des populations gallo-romaines confrontées à une menace désormais omniprésente. Dans un contexte très agité et favorable aux usurpations (elles se multiplièrent en Gaule même, où Posthumus, puis Tetricus prirent, entre 260 et 274, la tête d'un « Empire gaulois » dissident), quelques grands empereurs réagirent, notamment Dioclétien (284/305) et Constantin (306/337).

D'abord, ils réarmèrent le limes et mirent les cités en défense ; ensuite, ils réorganisèrent l'armée en créant des unités de campagne particulièrement mobiles, ouvertes de surcroît à des éléments barbares ; enfin - et surtout -, ils restructurèrent l'Empire en partageant la dignité d'empereur entre deux Augustes, un en Orient et un en Occident, et deux Césars, ainsi qu'en faisant déplacer les centres de décision au plus près des frontières : Trèves devint capitale, dotée d'un César et d'une armée ; et Constantin en fit, pendant quelques années, le principal point d'appui de la résistance romaine à l'avancée des Francs et des Alamans. Grâce à ces diverses mesures, la Gaule eut droit à un répit de quelques décennies.

Mais, au milieu du IVe siècle, le retour des guerres civiles et des usurpations impériales en Occident donna le signal d'une nouvelle avancée des Alamans, encouragée par l'empereur Constance II, et d'une reprise de la progression des Francs, finalement arrêtée par Julien (vers 360), qui conclut sans doute avec certains de leurs chefs un fœdus (ou « traité de fédération ») par lequel ils étaient autorisés à s'installer en Toxandrie (région sise au sud de la basse vallée du Rhin). Ainsi donc, l'Empire, d'une façon délibérée quoique sous la pression des circonstances, commençait à cautionner l'installation à l'intérieur de ses frontières de ces Barbares qu'on appellerait désormais fœderati (« fédérés »). Ces derniers, contre l'obtention de terres ou de revenus fiscaux, s'engageaient à mettre leurs armes au service de la défense de Rome et de ses idéaux.