Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
A

anticléricalisme, (suite)

L'anticléricalisme se renouvelle dans ses sources doctrinales (Vie de Jésus, de Renan, 1863 ; traductions du théologien Strauss, de Darwin et de Feuerbach ; dictionnaires de Littré et de Larousse) comme dans ses forces vives (franc-maçonnerie ; Ligue de l'enseignement). En 1868, à la tribune du Sénat, Sainte-Beuve exalte le « grand diocèse » des dissidents de tous ordres. En 1871, la Commune de Paris fait fermer les églises et fusiller l'archevêque, Mgr Darboy. Dans les années 1871-1877 (l'Ordre moral), une ligne de partage s'établit entre monarchistes et catholi-ques d'une part, républicains et anticléricaux de l'autre : « Le cléricalisme, voilà l'ennemi ! », s'écrie Gambetta le 4 mai 1877. La victoire des républicains entraîne, dans les années 1880, l'avènement des lois laïques (école gratuite, laïque et obligatoire ; suppression des prières publiques ; interdiction des processions ; introduction du divorce). L'anticléricalisme triomphe dans l'État comme dans le monde intellectuel. Tandis que la morale néokantienne des instituteurs laïcs se substitue à « la morale des jésuites » (Paul Bert, 1879), les mouvements plus radicaux de la libre pensée, avec leurs rites civils et leurs banquets du vendredi saint, se développent. La dissolution des congrégations religieuses, la rupture des relations diplomatiques avec le Saint-Siège (1904) et la loi de séparation du 9 décembre 1905 marquent le point d'aboutissement de l'anticléricalisme du XIXe siècle : désormais, la République « ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte ».

Des enjeux décalés.

• L'anticléricalisme du XXe siècle demeure vigoureux, tant dans la réflexion (l'Union rationaliste en 1930) et la presse (la Calotte d'André Lorulot, 1906 ; le Canard enchaîné, 1916), que dans le syndicalisme enseignant (l'École libératrice), mais il n'occupe plus une place centrale dans le débat politique. Après la Première Guerre mondiale, l'Église et l'État décident de favoriser la pacification religieuse et font chacun des concessions (maintien du concordat en Alsace-Lorraine, approbation des associations diocésaines, rétablissement des relations diplomatiques avec le Vatican). L'anticléricalisme regagne cependant du terrain avec la victoire du Bloc des gauches (1924), mais Édouard Herriot doit faire marche arrière. Pendant le Front populaire, la politique de la « main tendue » de Thorez aux catholiques tout comme le refus des radicaux d'accorder le droit de vote aux femmes isolent les anticléricaux des nouvelles luttes sociales.

Après 1945, l'anticléricalisme est principalement centré sur la question scolaire, comme l'illustrent le combat contre les lois Barangé (1951) et Debré (1959), l'adoption de la loi Savary (1984) ou la défense, paradoxale, de la loi Falloux (1994). Enfin, le maintien du concordat en Alsace-Lorraine, le financement public des bâtiments religieux (cathédrale d'Évry, mosquées) ou le rituel « concordataire » des funérailles de présidents de la Ve République à Notre-Dame peuvent constituer d'autres motifs de lutte.

anticolonialisme,

attitude politique qui remet en cause les principes et les objectifs de la domination coloniale.

Sa formulation date des années vingt, considérées comme l'apogée de l'empire colonial français, à un moment où se généralise l'usage péjoratif du terme « colonialisme », selon ses détracteurs, qui traduit « une forme d'impérialisme issu du mécanisme capitaliste ». Mais ses origines explicites remontent au XVIIIe siècle. Entre l'anticolonialisme philosophique des Lumières, l'humanitarisme libéral, la critique socialiste, le refus pragmatique et le tiers-mondisme, les diverses tendances anticolonialistes illustrent la difficile traduction politique de courants qui trouvent souvent leur légitimité au-delà du seul clivage droite/gauche.

Les origines du débat.

• Sous la Révolution éclate le débat entre « colonistes », partisans de l'esclavage, et « anticolonistes », favorables à son abolition. « Périssent les colonies plutôt qu'un principe ! » : la formule, attribuée à Robespierre, est devenue le symbole de l'anticolonialisme de principe, né des idéaux anti-esclavagistes de 1789. L'abolitionnisme, nourri des écrits de Rousseau et de l'abbé Raynal, constitue certes une matrice de l'anticolonialisme, mais celui-ci se réfère aussi, à la fin du XVIIIe siècle, à une critique pragmatique du système colonial qui, selon Voltaire, « dépeuple la métropole », et, d'après les physiocrates, est trop coûteux et affaiblit la puissance continentale de la France.

Du XIXe siècle jusqu'à la Première Guerre mondiale, il évolue avec la formation de l'empire colonial français. La critique utilitariste dénonce le « gaspillage de l'or et du sang » provoqué par les aventures coloniales en Algérie, en Tunisie et en Indochine. Les réprobations humanitaires portent surtout sur les excès des administrateurs et des militaires, excès qui éclatent au grand jour avec les atrocités commises par la mission Voulet-Chanoine autour du Niger en 1899. Le pamphlet de Paul Vigné d'Octon, la Gloire du sabre (1900), et les révélations de Victor Augagneur, administrateur de Madagascar (Erreurs et brutalités coloniales, 1905), illustrent cette position, qui remet en cause les abus coloniaux plus que le système en tant que tel. En 1914, la légitimité coloniale n'est contestée que par deux tendances politiques minoritaires : les nationalistes, qui refusent toute diversion des forces nationales, et l'extrême gauche socialiste et révolutionnaire, qui dénonce, sur les traces de Marx et de Hobson, les causes profondes de la conquête coloniale. Après le congrès de l'Internationale communiste en 1920, et avec la guerre du Rif (1924-1926), l'anticolonialisme devient l'un des fondements du militantisme communiste, qui s'illustre, en 1931, avec l'organisation de la contre-exposition « la Vérité sur les colonies françaises ».

Anticolonialisme et décolonisation.

• Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, après l'échec des positions réformistes associées à l'esprit de la conférence de Brazzaville, se développe un anticolonialisme radical, désormais attaché aux luttes menées par les autochtones à Madagascar, en Indochine et dans le Maghreb. Dans les années cinquante, il ne peut qu'aboutir à la décolonisation, trouvant des justifications parfois opposées. Les communistes, les jeunes socialistes, les trotskistes et certains catholiques revendiquent « l'indépendance de droit pour les peuples colonisés », un thème relayé par des intellectuels tels que Sartre, Merleau-Ponty, Mounier, Domenach ou Marrou dans une presse de qualité (les Temps modernes, Esprit et Témoignage chrétien). Quant aux nouveaux anticolonialistes « utilitaristes » et conservateurs, ils affirment la nécessité économique de se débarrasser des colonies : « La Corrèze avant le Zambèze... », proclame le journaliste Raymond Cartier. Selon Jean-Pierre Biondi, avec la guerre d'Algérie se serait opéré le basculement tardif de l'opinion française dans l'anticolonialisme massif, et amorcée la transition vers le tiers-mondisme.