Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
I

INVENTION DU CINÉMA. (suite)

En projetant ses films avec un dispositif d'avance intermittente, Edison aurait complètement inventé le cinéma. Curieusement, cet homme d'affaires avisé ne crut pas en l'avenir commercial du projecteur. Il conçut une machine à sous, le Kinetoscope, où une boucle sans fin d'environ vingt mètres de film défilait de façon continue derrière un oculaire individuel, les images étant « immobilisées au vol », devant une petite ampoule électrique, par un disque obturateur à fente. Fabriqué en série à partir de 1893, le Kinétoscope constitua une attraction foraine prisée, y compris en France.

Le Cinématographe.

En répandant le film, le Kinetoscope hâta la naissance du cinéma. Seul manquait encore le projecteur. De nombreux chercheurs s'attaquèrent au problème, tout particulièrement aux États-Unis, où Acmé-John Le Roy, Woodville Latham, Thomas Armat et Charles Francis Jenkins réalisèrent des modèles qui donnèrent lieu, en 1894-95, à un certain nombre de démonstrations, voire des représentations publiques.

En 1895, on était donc, ici et là, près du but lorsque les frères Louis et Auguste Lumière, inspirés par le Kinetoscope mais repensant le problème, firent véritablement naître le cinéma. Reprenant l'idée des perforations, ils conçurent un mécanisme original d'avance intermittente — la griffe ( CAMÉRA) — qui demeure le mécanisme de toutes les caméras actuelles professionnelles ou d'amateur. L'appareil Lumière, boîte carrée d'environ 20 cm de long sur 12 de large, était en outre universel : muni d'une boîte porte-négatif, il était caméra ; il devenait ensuite tireuse, le négatif développé et le positif vierge défilant en superposition ; placé devant une lanterne et muni d'un objectif de projection en place de l'objectif de prise de vues, il était enfin projecteur. Mis au point en 1894, ce Cinématographe (un nom de marque déjà employé par Léon Bouly) fut présenté en 1895 dans diverses réunions scientifiques.

Les premières représentations publiques et payantes commencèrent à Paris le 28 décembre 1895 dans le Salon indien, au sous-sol du Grand Café. La séance durait environ vingt minutes, et l'on y projetait dix bandes, dont la Sortie de l'usine Lumière à Lyon et le Jardinier (aujourd'hui connu comme l'Arroseur arrosé). Le succès fut immédiat. Dès 1896, l'exploitation commençait à Lyon ; en février, elle commençait à Londres ; en mai-juin, à New York. Le cinéma était né.

Après le Cinématographe.

Le cinéma, avec le Cinématographe, sortit de l'ère des chercheurs pour entrer dans l'ère industrielle. (En 1895, dix brevets français avaient été pris dans ce domaine, dont ceux des frères Lumière ; l'année suivante, il y en eut 129.) Dès 1896, les appareils surgirent un peu partout : pris de court, Edison faisait acquisition des droits du projecteur Armat-Jenkins, présenté au public en avril sous le nom deVitascope Edison ; le Britannique Robert William Paul sortait son projecteur Theatograph, et Birt Acres une caméra ; en Allemagne, Oskar Messter sortait son projecteur ; en Italie, Filoteo Alberini présentait son Cinetografo, etc. En France même, de nombreux appareils voyaient le jour, notamment le Cinématographe Joly, les appareils Pathé (dérivés de l'appareil Lumière), le Chronophotographe de Demenÿ et Gaumont, etc.

Dans ce déferlement d'inventions, toutes sortes de dispositifs furent imaginés, dont il faut surtout retenir les débiteurs et la croix de Malte, qui sont aujourd'hui encore fondamentaux.

Dans le Cinématographe Lumière, le film était entraîné par les seules griffes, qui avaient à tirer toute la bobine débitrice : il en résultait une certaine trépidation de l'image, et les perforations subissaient un effort important, peu compatible avec une utilisation prolongée du film. En faisant tirer le film, avant le couloir, par un débiteur denté tournant à vitesse constante, le mécanisme d'avance intermittente n'avait plus à entraîner qu'une courte longueur de film. En France, l'invention du débiteur est attribuée à Joly. Mais le débiteur se trouve aussi sur les projecteurs de Latham puis d'Armat, et la boucle (« loop ») qui s'allonge et se reforme à chaque image entre débiteur et couloir est d'ailleurs appelée aux États-Unis « Latham loop ». (Une longue querelle de brevet opposa, à ce sujet, Latham et Armat.) Un second débiteur, placé à la suite du mécanisme d'avance intermittente, permit de réaliser l'enroulement du film sur une bobine réceptrice entraînée par friction. (Dans le projecteur Lumière, le film se dévidait dans un sac situé sous l'appareil.)

Si la griffe s'avéra idéale pour la prise de vues, la projection appelait un mécanisme d'avance intermittente qui sollicite moins les perforations et qui accepte... les perforations un peu usées. La solution consistait à entraîner le film par un tambour denté tournant de façon intermittente, l'effort de traction étant alors réparti sur plusieurs perforations. Pour obtenir cette rotation intermittente, le dispositif qui s'imposa fut la croix de Malte ( PROJECTION), dérivée de l'ancienne croix de Genève des horlogers, employée sur certains stroboscopes et essayée par Edison. À qui faut-il attribuer l'invention — revendiquée un moment par Raoul Grimoin-Sanson — de la croix de Malte ? On en trouve des modèles à 12 branches sur un Tachyscope d'Anschütz en 1894, à 7 branches sur le projecteur Paul, à 5 branches sur les premiers modèles Continsouza et Messter... Il semble que la formule définitive à 4 branches, qui est encore celle des projecteurs professionnels, soit à porter au crédit de Continsouza et de Messter. (L'avance intermittente par came Demenÿ, qui était à la base du projecteur Armat, fut employée pendant quelques années, notamment sur les premiers chronophotographes Gaumont. Incapable d'assurer l'équidistance des images sur film non perforé, cette came donne des résultats acceptables lorsqu'un débiteur régularise le débit du film.)

Dès les premières années du XXe siècle, les appareils de cinéma ont pris leur allure définitive. La caméra, à entraînement par griffe, est désormais complètement distincte du projecteur, à entraînement par croix de Malte. Tous les apports ultérieurs (et notamment le remplacement de la manivelle par un moteur) ne seront qu'amélioration progressive de ces dessins de base. Les premiers studios existent. Les premières machines à développer en continu, les premières tireuses modernes vont apparaître avant 1910. Vers 1910, la création des usines Agfa à Wolfen (Allemagne) et Pathé à Joinville briseront le monopole Eastman pour la fabrication des films. C'est également vers 1910 que les producteurs américains, à la recherche de cieux cléments, commenceront à s'installer, près de Los Angeles, aux alentours d'un hameau inconnu du nom de Hollywood...